Chapitre 5

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Dans la rue paisible, le détective discutait avec des parents, prenant leurs coordonnées. Tout à coup, une femme cria. Les gens se précipitèrent. Chris repéra que le hurlement venait de l'arrière de l'école. Avec un juron, il accélérera, si bien qu'il arriva avant les autres. Il vit une femme pétrifiée devant Keira, à moitié allongée au sol, la main droite serrée sur les grilles, les yeux révulsés, en pleine crise de convulsions.

Il resta sidéré un dixième de seconde. Horrifié, il se jeta sur sa compagne et tenta de délasser ses doigts afin qu'elle ne se blesse pas. Rien n'y fit, elle était agrippée si fort que ses jointures avaient blanchi. Dans ces spasmes incontrôlés, Chris, penché sur elle, ne put éviter un violent coup de coude dans la mâchoire. Personne n'osait s'approcher. Certains avaient sorti leurs téléphones et filmaient pendant que d'autres appelaient les secours.

Tout à coup, Keira lâcha la grille et ses convulsions se calmèrent. Elle glissa au sol, inconsciente. Chris la rattrapa immédiatement. Elle était avachie, plus molle qu'une poupée de chiffon. Il sentit une pierre tomber dans son estomac, il ne la voyait pas respirer. Son cœur était prêt à exploser alors qu'il l'allongea sur le dos. Il se pencha sur elle, l'oreille contre sa bouche, les yeux fixés sur sa poitrine. Elle se soulevait... à peine, mais elle se soulevait. Un souffle chaud s'échappait régulièrement des lèvres de la jeune femme. Soulagé, il calma sa respiration pour placer correctement Keira en position latérale de sécurité.

— J'ai appelé les secours, annonça un homme, une ambulance arrive.

— Merci, répondit Chris.

— P...

— Keira, vous m'entendez ?

— P... O... 7... 6...

— Que dites-vous ?

— P... O... 7... 6... 5... E... D... P... O... 7... 6... 5... E... D...

— Qu'est-ce que c'est ?

— P... P...

Par habitude, le détective sortit un calepin et nota tout. Il pourrait lui demander ce que ça signifiait lorsqu'elle serait apte à parler.

— Une ambulance arrive, Keira.

— Non... murmura-t-elle en tentant difficilement d'ouvrir les yeux.

— Ne bougez pas, lui intima Chris.

— Pas... ambulance... pas... hôpital.

— Mais...

— Ramenez-moi...

Elle commençait à reprendre conscience, tout son corps était fourbu. Dans la brume de son esprit, elle ne savait qu'une chose, si elle entrait dans un hôpital, où la souffrance était le lot quotidien, elle ne le supporterait pas.

— Vous devez aller à l'hôpital...

— Non, répondit-elle en essayant de se lever. Jamais...

— Bon, très bien... céda Chris.

Il passa son bras autour de la taille de Keira et l'aida à se relever. Elle semblait si fragile. Sa tête mollement posée contre son épaule, il avait l'impression qu'au moindre obstacle, elle allait s'écrouler.

— Mais elle ne devrait pas bouger, dit quelqu'un.

— Ne vous inquiétez pas, je vais appeler un médecin dès que je l'aurais raccompagné.

Sur ces mots, ils se dirigèrent vers la voiture. Après cet accès de faiblesse, ses jambes ne supportaient plus Keira. Chris devait pratiquement la porter. Il semblait incroyablement réel au milieu du brouillard dans lequel elle se trouvait. Cette fois, elle ne vit rien à son contact. Elle ressentait une sensation de paix et de réconfort dans cette intimité sans contrepartie. Elle percevait la chaleur de son corps pressé contre le sien, ses bras solides qui la soutenaient avec douceur, son odeur. Une odeur musquée et suave comme elle n'en avait jamais senti auparavant, le parfum d'un autre être humain, celui d'un homme. La tête lui tournait.

Au bout de quelques pas, ses genoux cédèrent sous son poids. Chris la retint en jurant. Elle s'excusa, puis se remit tant bien que mal sur ses jambes. Elle ignorait combien de mètres les séparaient encore du véhicule. Ses yeux embrumés ne parvenaient pas à le distinguer. Elle ne se sentait pas capable de continuer. Pourtant, elle força ses pieds à se déplacer, un pas après l'autre. Elle ne comprit pas immédiatement ce qui se passait quand son corps, si lourd, s'éleva et qu'elle se retrouva allongée. Les bras solides de Chris la serraient contre son torse. Il la porta jusqu'à la voiture, puis l'y déposa.

Il hésita tout à coup, puis baissa les yeux sur Keira. Elle était touchante, fragile, mais elle le détournait de l'enfant. Dans quelques minutes, tous les parents seraient partis. Il se passait exactement ce qu'il avait craint, elle le gênait. Il se demanda pourquoi il l'avait emmené. La colère l'envahit. Il avait été stupide. Il s'était laissé attendrir. Elle simulait probablement. Il devrait l’abandonner là et chercher des témoins. Pourtant...

— Je reviens dans une minute, lança-t-il avant de fermer la portière.

Keira accueillait le calme de la voiture avec joie. Elle avait réussi à voir quelque chose. Elle devait s'en servir, mais son cerveau anesthésié ne parvenait pas à articuler cette pensée.

Chris partit au pas de course. Nombre de parents étaient toujours attroupés et commentaient le malaise de la jeune femme. Le détective en profita pour faire un tir groupé. Il se présenta rapidement à ceux qu'il n'avait pas encore rencontrés avant de distribuer des cartes de visite. Après seulement quelques mots, il fit demi-tour, puis sprinta jusqu'à la voiture, en priant pour que Keira aille bien. Essoufflé, il pénétra dans l'habitacle. Elle dormait à moitié, la tête posée sur ses genoux ramenés contre sa poitrine. Il démarra.

Quand ils arrivèrent, les membres de Keira lui paraissaient déjà plus fiables. Sa somnolence sur le trajet avait été salutaire. Son corps et son cerveau se remettaient petit à petit en marche. Chris enlaça sa taille. Par réflexe, elle recula avant de réaliser qu'une fois encore, elle n'avait rien perçu. C'était comme si ses batteries étaient déchargées. Elle se sentit libre de profiter du contact d'un homme, de connaître la sensation d'être dans ses bras. Elle poussa un soupir et se laissa guider jusqu'à son appartement.

Chris l'installa sur le canapé avant de se diriger vers la cuisine, son téléphone à la main.

— C'est quoi le numéro de votre médecin ?

— Pas la peine. Je vais bien.

Ces mots réveillèrent les doutes du détective. Il avait abandonné ses recherches pour elle. Il avait abandonné Laurine pour elle.

— Oh ! bien sûr que vous allez bien, maintenant que vous m'avez empêché de faire mon job ! grogna-t-il. Vous ne pouvez qu'aller bien ! Pour quelqu'un qui ne doit pas me gêner, on peut dire que vous commencez bien !

— Mais je voulais seulement aider !

— Aider ? Et en quoi m'avez-vous aidé ? demanda-t-il acerbe.

— Je...

Soudain, Keira sentit la brume de son cerveau s'évanouir, tout lui revint en mémoire en même temps, la vision, la voiture, l'homme, la nécessité de dire ce qu'elle savait. Elle se redressa d'un coup et manqua de heurter la tête de Chris.

— Je l'ai vu !

— Pardon ?

— J'ai vu ce qui s'est passé ! Aucun des parents ne pourra vous aider parce qu'ils n'étaient pas de ce côté de l'école quand Laurine est sortie.

Chris la regarda, incrédule, puis éclata de rire. Un rire dépourvu de joie.

— Évidemment ! Enfin, que peut-on attendre de plus d'une voyante ?

— Non ! protesta-t-elle. Je vous assure ! C'est un homme qui lui a montré le passage. Il l'a emmenée dans une voiture noire, une berline, une Chevrolet.

— C'est ça...

Comme il commençait à s'éloigner, elle se leva pour le retenir et saisir son bras.

— Je l'ai v...

***

Keira sentit sa tête exploser. Dans un jardin, elle regardait l'enfant aux cheveux bruns jouer avec un Jack Russell. Il s'amusait, il était joyeux, plein de vie. Il ne pensait pas à l'avenir, il était heureux avec son chien. Soudain, elle se retrouva dans un salon, elle percevait de la tristesse et un désespoir incommensurable. Une femme pleurait. Un homme se pencha sur elle, Keira ne comprit pas ses paroles, mais l'espoir s'anima en elle.

Emportée par la vision, elle se tenait à présent près d'une rivière, un petit corps sans vie était allongé sur le sol dur. Sa peau était bleue. Autour de lui, la femme, soutenue par un policier, le regardait sans le voir. Elle ne ressentait ni peine ni colère, rien. Tout en elle était brisé.

Plusieurs mètres derrière, Chris, beaucoup plus jeune, s'était jeté sur la personne qui se trouvait dans le salon. Sa rage était telle que Keira elle-même faillit le rejoindre pour mêler ses coups aux siens. Il frappait, encore et encore, du sang coulait de ses poings serrés, celui de l'autre homme. Des policiers se précipitèrent pour le retenir. Ils le trainèrent pour l'éloigner de sa victime. Quand il releva la tête, ses yeux étaient noirs et sa bouche déformée. Keira n'avait pas besoin de ça pour le savoir, s'ils avaient été seuls, Chris aurait tué ce type sans la moindre hésitation. Soudain, elle sentit une vive douleur dans sa poitrine.

***

La jeune femme entendit son nom. Quelqu'un l'appelait. Elle avait mal à la poitrine et au dos. Elle voulut soulever ses paupières, mais elles étaient si lourdes.

— Keira ?

Chris, songea-t-elle. C'est lui qui l'appelait. Sa voix était toute proche. Au prix d'un effort considérable, elle ouvrit légèrement les yeux. L'inquiétude se lisait sur le visage du détective penché sur elle.

— J'appelle les urgences, dit-il déterminé.

— Non !

Elle essaya de se redresser, mais aussitôt la tête lui tourna. Ses membres lui faisaient encore plus mal qu'auparavant. Elle ne savait plus où elle se trouvait. Elle s'écroula à nouveau, seulement retenue par les bras de Chris qui la rattrapa promptement. Serrée contre lui, elle appréhenda une nouvelle vision, mais comme après son précédent accès de faiblesse, il ne se passa rien.

Libre d'agir comme elle le souhaitait, elle saisit le jeune homme par sa chemise.

— Je ne le supporterai pas...

— Vous ne supporterez pas de rester ici surtout ! Je me fiche de vos angoisses, j'appelle les urgences.

L'hôpital l'achèverait. Elle mobilisa toutes ses forces pour s'emparer du téléphone que Chris tenait de la main gauche et le lança mollement.

— Bon sang ! Vous êtes complètement cinglée !

C'était vrai, songea la jeune femme le cœur serré. Quel que soit le point de vue, elle était folle. Elle avait peur de tout en plus d'être victime d'hallucinations. Quelque chose clochait chez elle, elle le savait depuis toujours, mais se l'entendre dire était difficile.

Chris poussa un soupir, puis passa sa main libre sous les jambes de Keira. Il la souleva avec une facilité surprenante. Tous ses muscles se rebellèrent au moment où il la hissa dans ses bras. Mais la douleur était éclipsée par la sensation étrange qui s'éveilla dans son ventre à ce soudain rapprochement. Elle était tout entière contre lui. Elle aurait voulu protester, pour la forme, mais ne s'en sentait pas la force. Elle goûtait cette intimité rassurante.

Avec délicatesse, il la déposa dans le canapé et se dirigea vers la cuisine. Elle l'entendit fouiller dans les placards. Les yeux fermés, elle tentait de reprendre le dessus sur sa lassitude. Chacun de ses mouvements lui faisait mal, même respirer. Si seulement elle avait pu simplement dormir. Mais il y avait plus important... Laurine.

Chris revint avec un verre d'eau qu'il lui tendit.

— Je m'excuse, je n'ai pas été très correct. Mais vous devez consulter un médecin de toute urgence. Ce n'est pas anodin.

— Je le sais, répondit Keira en buvant une gorgée.

— Alors, allez aux urgences.

— Je ne peux pas. Je sais bien que vous ne me croyez pas, mais je vois vraiment des choses. Comment expliquer...? Je ressens ce qui s'est passé à certains endroits, lorsque des évènements forts, bons ou mauvais, s'y sont déroulés. C'est comme si, quelque chose restait sur place, une émotion que je parviens à capter. Et c'est pareil avec les gens. Chaque fois, c'est difficile physiquement. Je suis toujours fatiguée après. Là, c'est pire. Je pense que c'est parce que j'ai forcé les choses tout à l'heure. J'ai juste besoin de temps pour me remettre.

Devant l'air sceptique de son interlocuteur, elle ne put s'empêcher d'ajouter une précision.

— Ça m'est déjà arrivé... Autrefois, quand j'étais petite. J'ai eu une vision très... forte. J'ai été amené à l'hôpital et j'ai failli en mourir. J'ai dû m'enfuir de ma chambre, à huit ans, dans le même état qu'aujourd'hui. J'ai dû fuir cet endroit. Il y avait eu trop de souffrances, je ne pouvais pas le supporter.

— Bien sûr...

— Oh ! vous êtes détective après tout ! Si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à vérifier ! En attendant, il faut s'occuper de Laurine.

Son petit accès de colère lui avait redonné un peu de forces. Elle se redressa. Sa tête tournait, mais c'était tolérable.

— Vous avez dit quelque chose tout à l'heure, déclara Chris songeur. Mais vous n'étiez pas vraiment consciente.

— Quoi ?

— P. O. 7. 6. 5. E. D, répondit-il en lisant son carnet.

— C'est quoi ça ?

— C'est ce que j'aimerais savoir.

— P... O..., réfléchit-elle à voix haute.

Ça devait avoir un rapport avec sa vision de Laurine. P... O... 7... 6... 5... E... D. Elle ne décelait aucun lien entre ces lettres et ces chiffres, pourtant il devait y en avoir un.

Pendant que Keira s'interrogeait sur la signification de ses paroles, Chris en faisait autant au sujet de la jeune femme. Il allait devoir faire un choix, la croire, ou la laisser seule pour repartir à la pêche aux informations. Pêche qui risquait d'être décevante puisqu'à priori, il n'y avait aucun témoin. Pourtant, il ne pouvait se résoudre à faire confiance à une soi-disant voyante. Il savait ce que valait ce genre de charlatan. Cependant, il devait reconnaître que celle-ci différait singulièrement de ceux qu'il avait eu le malheur de côtoyer. Elle était étrange, mais de bonne volonté et d'une fragilité surprenante. Sa perte de connaissance pouvait toujours être une ruse. Elle aurait pu prendre un produit, mais quand ? Sous la douche ? Quel produit ? Il avait fouillé l'appartement. Aurait-il raté quelque chose ? Pourquoi aurait-elle fait cela ? Elle ne réclamait pas d'argent au couple Coudert. Elle n'avait pas l'air de chercher la publicité. Au contraire. Si elle avait un lien avec l'affaire, ce dont il doutait sincèrement, aucune rançon n'avait été demandée. Il avait beau tourner la situation dans tous les sens, il ne trouvait aucun intérêt à une telle mise en scène.

Le détective fut coupé dans ses réflexions par la sonnerie de son téléphone. Numéro masqué. Après un soufflement d'exaspération, il décrocha.

— Allô ?

— Bonjour, vous enquêtez sur la disparition de la petite fille ?

— En effet. Qui est à l'appareil ?

La voix était jeune, faiblarde, presque tremblante.

— J'ai vu un truc, ça n'a peut-être aucun rapport...

— Dis-moi ce que tu as vu, tout indice peut être vital pour Laurine.

Chris avait volontairement cité le nom de la fillette, il espérait la rendre plus réelle aux yeux de son interlocuteur.

— C'est sûrement rien. C'était en plein après-midi, j'ai tourné dans la rue et je crois qu'un gars faisait entrer un enfant dans une voiture. Je ne sais pas, ça s'est passé très vite. C'était peut-être juste un parent ou je sais pas, mais c'était pendant la récré des petits. Comme il paraît que personne n'a rien vu...

Bien sûr, un témoignage étayant la « vision » de Keira. Elle avait bien monté son coup, sinon comment ce gamin aurait-il eu son numéro ? Il allait raccrocher lorsqu'un doute l'assaillit. Et si c'était un vrai ? Il se décida en une fraction de seconde. Il allait traiter ce témoignage comme n'importe quel autre. Il ne commettrait pas d'imprudence à cause d'une médium.

— Tu as bien fait de m'appeler. Il vaut toujours mieux en dire trop que pas assez. Et puis ça peut m'aider. Tu peux me décrire la voiture ?

— Elle était noire. C'était une grosse voiture, avec les vitres teintées. C'était une Chevrolet.

Évidemment, songea Chris.

— Est-ce que tu as vu sa plaque ?

— Non, je suis désolé.

— Ce n'est rien. Et l'homme, tu serais capable de le reconnaitre ?

— Non, monsieur, il était loin. Tout ce que je peux dire c'est qu'il avait les cheveux bruns, mais plutôt clairs.

— Ce n'est pas grave, tu m'as déjà bien aidé. Est-ce que tu as prévenu la police ?

— Oui, j'ai appelé hier. Mais ils voulaient mon nom...

— Pourquoi ne veux-tu pas donner ton nom ?

— Ben... J'avais rien à faire là-bas, vous comprenez...

— Tu aurais dû être en cours.

— Ouais.

— Écoute, je ne dirai rien tes parents, mais j'ai besoin de pouvoir te contacter, pour l'instant tu es la seule personne à avoir vu quelque chose.

À une exception près, pensa-t-il, amer.

— ... Bon, d'accord. Je m'appelle Mickaël Devaux. Mon numéro c'est le 06.27.91.46.22.

Chris le nota d'une main dans son calepin.

— OK, merci Mickaël. Au fait, comment as-tu eu mon numéro ?

— J'ai trouvé votre carte par terre derrière l'école tout à l'heure. Une carte de visite marquée « agent de recherche privé, spécialisé dans les disparitions » à l'endroit où une petite fille a disparu, il ne faut pas être un génie pour faire le rapprochement.

— C'est sûr. Si tu te souviens de quoi que ce soit, n'hésite pas à m'appeler.

— D'accord monsieur.

Le garçon raccrocha, abandonnant Chris à son désarroi. Il ne savait plus quoi penser : coup monté ou réalité ? S'il creusait dans la direction de la voiture noire, n'allait-il pas laisser passer d'autres pistes plus intéressantes ? Les chances étaient minces, il avait déjà interrogé de nombreuses personnes. De plus, ce témoignage ne devenait douteux que s'il se méfiait de Keira Amara. Ça lui faisait mal de l'avouer, mais il n'avait rien trouvé qui mette en cause la bonne foi de la jeune femme.

Keira attendait le détective avec un grand sourire. Une phrase qu'il avait dite avait ravivé sa mémoire « Est-ce que tu as vu sa plaque ? ».

— Je sais ce que ça veut dire, annonça-t-elle sur un ton triomphant.

— Pardon ?

— Les lettres, les chiffres, je me souviens ! C'est la plaque d'immatriculation de la voiture.

— Ah... Euh OK.

Qu'est-ce que je vais faire de ça ? songea le jeune homme. Il ne devait plus perdre son temps en tergiversation et choisir si oui ou non il allait suivre la piste de la médium. Formuler cette pensée lui était difficile, mais il avait un témoin oculaire et aucune autre option satisfaisante.

— Bien, lança-t-il plus déterminé. Je vais chercher dans la direction de la voiture.

S'il n'en parlait pas immédiatement à la police, elle pourrait continuer ses investigations de son côté sans intervention « médiumnique ». Il se sentait plus léger maintenant qu'il s'était décidé.

— Vraiment ? répondit Keira incrédule. Alors vous me croyez ?

— Toujours pas. Mais vous finirez peut-être par me convaincre, ajouta-t-il avec un clin d'œil. Vous êtes sûre que je n'appelle pas de médecin ?

— Non, je sais d'où ça vient. Je ne suis pas malade. Tant que je reste un peu tranquille, il n'y a pas de risque de rechute.

— Bon, comme vous voudrez, se résigna Chris.

— Je peux vous poser une question ? Pourquoi enquêter sur la voiture si vous ne me croyez pas ?

— J'ai un témoin. Ce n'est pas grand-chose, mais c'est une piste au moins. Je vais devoir vous laisser. Vous avez bien ma carte ?

— Hein ? Oui, je suppose.

Elle en fouilla dans la poche de son jean, d'où elle tira le papier.

— OK, appelez-moi s'il y a quoi que ce soit.

— Je peux venir avec vous ?

— Pas question. Vous m'avez fait perdre assez de temps.

C'était une réponse sans appel, il ne voulait plus qu'elle le gêne. Elle sentit un pincement au cœur à cette pensée. Elle avait l'impression de n'être qu'un boulet qui ralentissait le détective. Elle aurait souhaité partir de son côté pour rechercher Laurine à sa façon, mais elle ne savait pas du tout comment faire. De plus, même si elle refusait de se l'avouer, elle avait trop peur.

La solitude pesa sur Keira dès que Chris l'eut quittée. Allongée sur son canapé, elle se sourit à elle-même. C'était le monde à l'envers. Tous ses repères disparaissaient. Elle avait toujours fui ses visions autant que tout ce qui pouvait les provoquer, les gens, les lieux publics, même les objets d'occasion. Et voilà qu'aujourd'hui, elle se forçait pour « voir », sortait de chez elle à la poursuite d'indices et abritait un étranger sous son toit. Elle n'en revenait pas de son audace, elle qui avait toute sa vie été hantée par la crainte.

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