Chapitre 7

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À l'intérieur de la maison, Keira avança tant bien que mal. Ses jambes flageolaient. Sa bouche semblait emplie de sable. Elle fit un effort surhumain pour contrôler sa respiration afin d'éviter la crise de panique. Elle devait profiter de cette occasion, pour Laurine ! Elle jeta un coup d'œil, en passant, dans la cuisine, où une femme blonde lavait la vaisselle. Puis elle aperçut le garçon, dans le salon. Il jouait sur sa console avec un casque sur les oreilles.

— C'est la porte sur votre gauche, intervint Simon Caron qui l'avait accompagnée.

Keira sursauta comme s'il l'avait touchée. Il se tenait juste derrière elle. Si près. Ses poils se hérissèrent. La souillure qui émanait de cet être lui donnait la nausée. Elle se sentait comme un animal pris au piège. La terreur faillit lui faire tourner de l'œil quand elle croisa le regard de Chris.

Il n'avait pénétré que de quelques pas dans l'entrée, mais sa présence la rassura instantanément. Il attira l'attention de Simon Caron pour s'excuser du dérangement qu'elle lui causait. Elle cala sa respiration sur les mouvements lents de la poitrine de son compagnon. Les battements de son cœur se calmèrent. Elle reprit ses observations en se dirigeant vers la porte indiquée. Dans un coin, un escalier montait vers l'étage, mais il ne semblait pas y avoir de sous-sol. Si Laurine se trouvait ici, la famille devait être au courant. À moins qu'il ne la cache dans le grenier, à condition que la maison en possède un. Mais ça paraissait peu probable.

Les jambes tremblantes, elle pénétra dans les toilettes et se laissa tomber sur le battant fermé. Keira s'autorisa enfin à verser des larmes de panique. Elles glissèrent silencieusement le long de ses joues. Ses bras serrèrent sa poitrine qui montait et descendait à un rythme inquiétant. Pas de bruit. Inspire doucement. Expire. Ils ne doivent pas t'entendre, se répétait-elle en boucle.

Elle s'offrit quelques minutes afin de retrouver son calme, puis examina attentivement son visage. Ses yeux verts brillaient, mais ils n'étaient pas rougis par les larmes. C'était acceptable. Elle tira la chasse d'eau, se rinça la figure, l'essuya et sortit, bien décidée à ne rien laisser paraître.

Elle rejoignit l'entrée sans noter davantage de détails. L'air lui manqua quand elle passa entre leur suspect et son épouse qui quittait la cuisine. Chris, insoucieux de sa présence, ne sembla pas se rendre compte qu'elle se glissait derrière lui, aussi près que la bienséance le lui permettait. Elle effleura sa veste, désireuse de s'y accrocher, mais c'était trop risqué.

Le détective remercia le couple avant de faire demi-tour. Le cœur au bord de l'explosion malgré la proximité de son compagnon, Keira aurait souhaité se retourner pour voir si l'homme les regardait, s'il avait remarqué leur petit jeu, s'il s'apprêtait à s'attaquer à eux. Au lieu de cela, étouffée par sa peur, elle avançait, comme un automate, les yeux vissés au sol devant elle.

Chris et Keira sortirent ainsi du jardin. Au lieu de se diriger vers la voiture, le détective saisit discrètement sa main et la guida vers la maison voisine. Il sonna.

— Qu'est-ce que vous faites ? chuchota la jeune femme.

— Silence.

Il avait répondu sans bouger les lèvres. Personne ne vint ouvrir. Il frappa à la porte. Toujours personne. Au bout de quelques minutes, il se tourna en soupirant, scruta les alentours et l'attira jusqu'à son véhicule.

— C'est bon, il ne nous regarde plus, maintenant.

— C'est parce qu'il nous regardait que vous êtes allé à côté ?

— Dans le doute, oui. Il vaut mieux être prudent. Surtout s'il s'est rendu compte que son portable a disparu.

Une fois à l'abri dans l'habitacle, Chris brandit un smartphone, un sourire canaille aux lèvres.

— Vous avez volé son téléphone ? lança Keira, affolée.

— Pas d'inquiétude, il ne s'en apercevra pas tout de suite.

— Pourquoi ?

Son regard d'animal traqué faisait l'aller-retour de l'appareil à la maison sans interruption.

— Il est trop occupé avec sa dame, répondit-il en manipulant le portable. Avant qu'on arrive, ils étaient en train de se disputer.

— Comment le savez-vous ?

— Vous n'avez pas entendu ? Ce n'était pourtant pas très discret. Vous devriez être plus attentive à votre environnement.

Il se détourna du téléphone volé pour sortir le sien qui venait de vibrer. Il plaça son oreillette et composa un numéro avant de se retourner vers son butin.

— Je n'ai rien vu de particulier à l'intérieur.

Keira se demandait qui il appelait dans un moment pareil.

— Moi non plus, mais ça ne me surprend pas tellement. C'est la maison de monsieur Tout-le-Monde. Et ils se disputent encore, ajouta-t-il.

— Comment le savez-vous ?

— Vous avez des visions, moi, j'entends des choses, plaisanta-t-il en montrant son oreillette. J'ai posé un micro chez eux. Bien joué le coup des toilettes.

Le cœur de Keira bondit dans sa poitrine. Elle s'empourpra et baissa les yeux.

— Contente d'avoir pu être utile.

Elle avait l'impression de pouvoir déplacer des montagnes. Elle n'avait pas été gênante ! Mieux, elle avait fourni de bonnes informations et avait permis au détective de dissimuler un micro dans la maison. Elle s'enfonça confortablement dans le siège et dut se concentrer pour ne pas afficher un sourire béat tant elle était satisfaite.

Elle laissa ses pensées vagabonder. Elle songeait à Laurine, qu'elle espérait retrouver saine et sauve au plus vite. À Anis qui devait être chez elle, à quelques mètres de là, à se morfondre. Cela devait être si dur pour elle et Jérémy. L'inquiétude, la peur, l'impuissance. Elle aurait aimé les soulager, leur dire que l'affaire avançait, mais elle ne devait pas les rejoindre pour l'instant.

Avant eux, elle n'avait jamais tenu à qui que ce soit, excepté ses parents. Elle avait toujours passé son temps cloîtrée chez elle, devant la télévision ou avec un livre. Elle vivait sa vie au travers de l'imagination. Jusqu'à l'arrivée d'Anis. Anis qui l'avait acceptée telle qu'elle était, avec ses bizarreries, même si elle ne croyait pas en ses dons. Elle était restée, tout simplement.

Avec les évènements récents, Keira se demandait ce qui était le mieux, être seul, avec pour unique souffrance la solitude, ou avoir des proches, des gens que l'on aime, qui nous apportent du bonheur, mais également du malheur. Imaginer la peine, si profonde, de son amie lui broyait le cœur.

Tout à coup, les occupants de la maison sortirent. Keira et Chris s'enfoncèrent dans les sièges pour se rendre invisibles. L'adolescent était resté à l'intérieur, pendant que ses parents descendaient l'allée en direction de leurs voitures. Avant de se séparer, Simon Caron se pencha vers sa femme. Elle évita son baiser, puis se dirigea vers son propre véhicule.

Comment peut-elle habiter avec un homme comme lui ? se demanda Keira. Quand on vivait avec quelqu'un depuis des années, il devait bien y avoir des signes, des choses qu'un conjoint ne pouvait pas ignorer.

Lorsqu'ils se furent un peu éloignés, Chris démarra et suivit discrètement la voiture de leur suspect. Ils s'arrêtèrent à distance d'un immeuble de bureaux dans lequel Simon Caron entra. Les deux enquêteurs patientèrent quelques minutes.

— Bien, dit le détective en ouvrant la portière, j'ai besoin de voir cette voiture. Faites le guet pour moi, s'il vous plaît. Vérifiez que personne ne me remarque. Ne me surveillez pas directement, faites juste tomber le livre si quelqu'un s'approche ou a l'air de m'observer.

Il lui tendit Le Seigneur des Anneaux, l'édition de poche. Keira saisit l'ouvrage avec enthousiasme.

— Pas de problème.

Pourtant, sortie du cocon rassurant de la voiture devenue plus familière, les visages des passants entamèrent une nouvelle fois son entrain. C'est avec appréhension qu'elle s'assit sur un muret. Elle se dissimula derrière son livre afin de scruter les alentours discrètement. Les mains encombrées par le volume, elle ne pouvait pas attraper sa bombe au poivre sans montrer qu'elle ne lisait pas vraiment. Dépourvue de son arme, au milieu de cette rue, elle se sentait exposée.

Contrairement à elle, Chris était d'un naturel époustouflant. Adossé au véhicule du suspect, il allumait une cigarette qui sembla lui échapper. Il la ramassa avec un juron, puis posa la main sur la voiture pour se relever. Il la fuma sans se presser pendant qu'il pianotait sur son téléphone, puis la laissa tomber afin de l'écraser sous sa chaussure. Encore une fois, il se baissa pour récupérer le mégot et s'aida du véhicule pour se remettre debout. Il jeta la cigarette éteinte dans la poubelle avant d'aller s'assoir près de Keira.

— Rien à signaler ? lui demanda-t-il avec un regard charmeur.

Il donnait l'impression de la draguer. Probablement pour duper les curieux. Si ce n'était que ça, elle entrerait dans son jeu. Un sourire timide étira ses lèvres. Depuis qu'il était près d'elle, son stress s'envolait.

— Aucun problème.

Elle fit mine de fuir son regard et fixa la voiture par-dessus son livre, Laurine avait peut-être été transportée dans cette voiture, le jour de son enlèvement ou... Non, elle refusait de penser à ça. Mais il y avait peut-être quelque chose. Elle devait être sûre.

— Je veux toucher la voiture, murmura-t-elle.

— Hein ? répliqua le jeune homme surpris. Pourquoi ?

— À votre avis ?

— Oh non, pas encore... soupira-t-il.

— Je me fiche que vous y croyiez ou pas. Je peux aider et je le ferai. Si Laurine a été...

Les mots se perdirent dans sa gorge. Elle déglutit avec difficulté avant de reprendre.

— Si quelque chose de mal lui est arrivé dans cette voiture, je le saurais. Qu'est-ce que je dois faire ?

Chris l'étudia. Il évalua sa détermination. Elle était ferme. Avec ou sans conseils, elle ne cèderait apparemment pas. Sans lui faire totalement confiance, il avait décidé qu'elle n'était pas une menace. Le moment semblait venu de joindre les actes aux pensées.

Le problème c'était que s'il lui permettait de refaire son cirque, il risquait de devoir, une fois de plus, la reconduire en urgence à son domicile. Il n'avait pas de temps pour ça, il devait se remettre en planque. Si le fils Caron sortait de la maison, il n'aurait pas de meilleure occasion de la visiter.

— Si vous tombez de nouveau dans les pommes, j'appelle une ambulance et je vous laisse là, affirma-t-il gravement. Je ne pourrais pas perdre encore du temps pour vous ramener.

Keira hocha la tête en sentant un poids peser sur son estomac : il était sérieux, il le ferait. Elle devait le reconnaître, avec les enjeux de la situation, elle comprenait. Cependant, l'idée qu'il soit prêt à l'abandonner si froidement en pleine rue, avec un criminel potentiel dans les environs, l'accablait.

— Je fais quoi ?

— De quoi avez-vous besoin ? demanda-t-il avec un nouveau soupir.

— D'un contact physique. Ou de me tenir dans la zone où quelque chose s'est produit.

— Vous devez donc entrer dans la voiture ou la toucher.

— C'est ça.

— Alors c'est simple, il suffit de vous diriger vers l'arrêt de bus là-bas. Pour ça, vous devez nécessairement passer près de la voiture. Après vous la longez la main sur la carrosserie. Par contre, essayez de ne pas vous écrouler, il vaut mieux que rien d'étrange n'arrive à proximité de ce type ou de ses affaires. Je ne voudrais pas qu'il se pose des questions.

— Dit l'homme qui a volé son téléphone, ricana Keira.

Elle se leva, puis lui adressa un clin d'œil accompagné d'un sourire mutin avant de s'éloigner. Son livre fermé dans une main, elle s'avança de la façon la plus décontractée possible. Elle tendit les doigts vers le véhicule. Sa poitrine lui faisait mal. Sa respiration s'accéléra. Elle se demanda à quel moment elle allait craquer.

Depuis la veille, elle repoussait sans cesse ses limites. Elle sortait de chez elle, accueillait un inconnu, cherchait les visions qu'elle avait fuies toute sa vie. Elle ne résisterait pas indéfiniment. Son corps fourbu, ou son esprit, l'un des deux finirait par céder. Mais si elle parvenait à aider Laurine avant, ça en vaudrait la peine.

Un frisson la parcourut lorsque sa peau entra en contact avec le métal froid. Son estomac se contracta douloureusement. Elle avait peur de ce qu'elle allait voir. Mais rien ne venait. Elle ne s'arrêta pas une seconde, tenta de figer son air détaché sur son visage et continua de marcher à la même vitesse, un pas après l'autre, la main effleurant la carrosserie. Elle avançait, du coffre vers le capot, toujours concentrée sur sa démarche.

Lorsqu'elle toucha la portière conducteur, elle sentit comme une brûlure suivit d'une décharge électrique remonter le long de son bras. Par réflexe, elle voulut retirer ses doigts, mais elle était collée au véhicule. Tout son corps frissonnait à présent sous l'effet de la décharge. Elle se força à marcher, avec plus de lenteur, comme si elle se mouvait dans de la gélatine, mais elle bougeait.

Elle tourna la tête pour apercevoir Simon Caron par la fenêtre, assis dans sa voiture. Elle était garée devant une école, mais ce n'était pas celle de Laurine. Il observait des fillettes d'environ cinq ans. Keira sentait son émoi. Il les trouvait belles avec leurs petits corps lisses, doux et fragiles. Il adorait les mères qui leur mettaient de petites jupes, laissant leurs jambes à nue sous leurs froufrous. Son excitation montait.

Il était toujours dans sa voiture, Keira marchait de façon léthargique à côté de lui, à la fois dans la rue devant son bureau et ailleurs. Derrière elle, elle vit Chris, assit sur son muret. De l'autre côté se trouvait un parc qui n'était pas là, où jouaient des enfants heureux et inconscients du danger qui se tenait à quelques mètres d'eux. L'homme reluquait à nouveau des petites filles, mais cette fois Laurine était dans le lot. Elle portait un short rose. Il aimait le rose sur Laurine, ça allait bien avec ses cheveux blonds. C'était un petit ange de perfection.

Cette excitation malsaine, ce plaisir coupable devant des enfants à peine sortis des couches, tout ça rendait Keira malade. C'était ce que lui appelait de l'amour. Il les aimait réellement, du seul amour qu'il puisse éprouver. Il leur aurait offert n'importe quoi pour les faire sourire. Mais cet amour était si immoral que c'en était répugnant. S'il avait pu sans prendre de risque, il aurait « aimé » ces enfants. Ces émotions qui ne lui appartenaient pas et qu'elle était forcée de ressentir lui donnaient la nausée. Elle le vit ouvrir sa braguette discrètement avant de commencer à se masturber en regardant Laurine jouer.

Keira retira brusquement sa main. Elle se précipita dans des buissons tout proches, tomba à genoux et vomit. Chris accourut aussitôt. Il voulut tenir ses cheveux, mais elle le repoussa. Elle ne souhaitait pas se montrer ainsi, ni qu'il soit près d'elle dans cet état. Aussi, se contenta-t-il de rester à une distance raisonnable avant de prendre quelque chose dans son sac. Quand elle se releva enfin, il lui tendit une bouteille d'eau et un paquet de mouchoirs.

— Ça va aller ? demanda-t-il, sincèrement inquiet. Toujours pas de médecin ?

— Non, parvint-elle à articuler.

— Au moins, j'ai une excuse pour vous faire monter dans ma voiture. Si vous êtes en état, on y va.

Elle hocha la tête pendant qu'il lui attrapait le bras et la guidait dans un geste protecteur vers leur moyen de transport.

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