Coïncidence

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— Ça ne peut pas être une coïncidence ! s’exclama une voix trop forte, en-dehors de mon champ de vision.

Il fallait dire qu’il était très réduit mon champ de vision, à cet instant. Je me tenais face à moi-même et je m’évertuais à garder un visage neutre, une attitude tranquille, pour pallier à l’ouragan qui essayait de rentrer chez moi par la fenêtre. Un ouragan nommé « destin » et qui faisait tout son possible depuis quelques secondes pour me persuader de croire en lui. Je ne croyais pas au destin. Et ce n’était pas la présence d’un homme aux traits absolument identiques aux miens, qui se tenait devant moi et me regardait avec le même stoïcisme dont j’essayais de faire preuve, qui allait me faire changer d’avis. La petite fille qui tenait sa main et qui faisait face à son exact copie, me tenant elle aussi la main, en revanche, commençait à ébranler dangereusement le double-vitrage.

— Papa ?

Ce fut celle à mon bras qui parla en premier, alertée par le passant qui s’égosillait près de nous.

— Oui ? répondis-je, d’une voix calme.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

C’est une bonne question et je te serais reconnaissant de me partager tes hypothèses.

— Un évènement rigolo, je suppose, répondis-je.

Nos duos respectifs se défiaient du regard, hésitants. La rue passante dans laquelle nous étions tombés nez à nez semblait ralentir autour de nous. Les gens s’arrêtaient, sans doute interloqués par le témoin de Jéhovah qui s’époumonait à côté de nous.

— Le diable nous envoie ses signaux ! Ce ne sont pas des coïncidences, regardez donc ! Nous nous faisons remplacer par des êtres semblables dénués d’humanité. Ça vous arrivera aussi et avant que vous vous en rendiez compte, vous serez évincés de ce monde. Repentez-vous auprès du seigneur Jésus Christ avant qu’il ne soit trop tard !

La petite fille d’en face explosa en sanglots, ce qui me sortit de ma torpeur. La foule devenait oppressante.

Alors, sans que je compris fondamentalement ce qui se passait ; j’échangeais un regard entendu avec l’autre moi et nous attrapions nos filles pour s’extirper de l’attroupement. Puis, d’un mouvement instinctif, on se faufila dans une rue perpendiculaire jusqu’à trouver un café tranquille dans lequel s’arrêter.

Nous sommes donc passés très naturellement à l’étape de nous regarder dans le blanc des yeux.

— Comment tu t’appelles ? lança ma fille, brisant le silence.

— Célia et toi ? lui répondit l’autre d’une petite voix.

— Célia.

Personne ne tiqua autour de la table. A ce stade, on ne savait plus si on devait s’en étonner.

— Et toi ? continua ma fille, s’adressant cette fois-ci à l’homme.

— Ethan.

Je levais un sourcil. Il me regarda d’un air interrogateur.

— Nolwenn, déclarai-je.

Il y eut un soupir de soulagement collectif, teinté d’incompréhension. La suite s’apparenta à un match de ping-pong.

— Date de naissance ?

— 13 mars 2019.

— 26 octobre 2018.

— 29 février 1996.

— Idem.

— Ville de naissance ?

— Rennes.

— Idem, elle aussi.

— Et moi ?

— Toi aussi ma chérie.

— Frères et sœurs ? — Non. (à trois voix.)

— Moi non plus.

Un silence plana.

— Tu aimes la pêche ? me demanda mon double, d’un air grave.

— Non, ça a l’air chiant à mourir.

— T’as dit un gros mot ! tonna l’autre petite fille.

— Ennuyeux à mourir, rectifiai-je.

Il retomba sur sa chaise, l’air apaisé.

— Tout va bien alors ! Ce n’est qu’une coïncidence.

Je marquais un temps d’hésitation, mais mon double-vitrage tint bon.

— Ça ne peut être que ça, de toute manière.

— Je ne suis rien sans la pêche…continua-t-il.

— Papa, c’est quoi une cocindience ?

— Ce n’est… que l’émergence fortuite d’un fait pertinent, parmi… un million et quelques d’interconnexions possibles.

Ma fille me regarda avec des yeux ronds.

— Quelque chose qui arrive par hasard mais qui donne l’impression d’avoir été écrit à l’avance… comme quand ta mère dit « c’est un signe ».

— Ah, ça, répondit-elle avec désintérêt. Tu veux jouer ? dit-elle à l’intention de l’autre Célia.

Elles changèrent de table et commencèrent un bras de fer.

Je me retrouvais seul avec moi-même.

Il posa un regard doux sur mon visage tendu. Je parvins alors enfin à le dissocier de moi, je me tenais face à une personne à part entière, une personne qui regardait avec une douceur à laquelle j’étais inconnu.

— Vous ne croyez pas au destin, Nolwenn ?

Je soutins son regard.

— Non.

Il haussa les épaules.

— Le destin c’est facile, l’histoire est écrite. Une coïncidence, par contre, on est censés réagir comment ?

Sa question me fatigua, je ne savais pas quoi lui répondre.

— Bon, voyons voir, je n’aime pas la pêche… vous aimez la photo ?

Son visage s’illumina.

— C’est aussi votre métier ?

— Non… mais j’aurais bien aimé, à une période.

Sans que je le réalise tout à fait, mon souffle se fit plus rauque. Je tentais de happer discrètement de l’air tandis que j’entendais sa voix lointaine « Que faites-vous alors ? ». Mes pensées se bousculaient mais trouvaient malgré tout un chemin vers leur destination, elles formèrent bientôt une idée, que je transformais en réalisation.

— Le train ! m’exclamai-je.

— Le train ?

— On a un train à prendre ! J’ai complètement oublié.

Je me levais avant d’attraper ma fille par le bras et de me diriger vers la porte.

— Attendez ! me lança-t-il.

Je la pris dans mes bras pour me précipiter jusque dans la rue passante.

Je m’arrêtais, essoufflé, mais respirant à nouveau. Ma fille leva vers moi des gros yeux réprobateurs.

— Pourquoi tu as menti.

Devant mon silence, elle s’extirpa de mes bras et pris ma main, moins pour elle que pour moi. On avança un moment, comme ça.

Je finis par lui demander à quoi elle pensait.

— Elle était gentille, répondit-elle simplement.

Je hochais la tête. Elle se tourna vers moi.

— Et toi ?

Je choisi mes mots avec attention.

— Je crois que ce sont des alternatives de nous.

— ...c’est encore plus maman de dire ça que « c’est un signe ».

Je souris.

— Pourquoi on est partis? ajouta-t-elle.

— Je n’ai pas envie de savoir à quoi ma vie aurait pu ressembler.

Elle hocha la tête. Je m’arrêtais et m’accroupis devant elle pour réajuster son manteau.

— Je sais déjà tout ce que j’ai à savoir en plus, dis-je en souriant.

— Ah bon ?

— Oui, dans tous les cas, tu es là.

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