Il avançait, le sable rouge et l'horizon rouge sang
Il avançait, le sable rouge et l’horizon rouge sang et les grands plateaux rocailleux et qui l’aidaient à se repérer, ou plutôt à se rappeler où il était déjà passé, le plateau en forme de chien et celui en forme de tortue et celui-là encore, qui avait peut-être la forme de la cruche, celui du vieil homme, le trésor se trouve au pied du rocher en forme de cruche avait-il dit avec son accent allemand, ou néerlandais, un accent de ce genre-là, sec et qui raclait la gorge et mâchait les mots entre eux, au-pied-du-rocher-cruche, car sur ce pays on ne se repérait que comme ça, avec la forme et la couleur des choses, et tout n’était qu’une carte au trésor en particulier quand il s’agissait de trouver des lingots enfouis depuis trente ans. Et ainsi il allait. Depuis qu’il était sorti de prison avec l’histoire du vieil orpailleur il avançait et se disait qu’il devait bien avoir parcouru au moins la moitié du chemin (ou la moitié de la moitié, quand on ne savait plus d’où l’on venait, on perdait toute notion des distances) quand trois chevaux émergèrent de derrière le rocher loup, avec des crocs nus et acérés et l’ombre oblongues des cavaliers dans le coucher de soleil. Il aurait dû courir mais à quoi bon. Il mit sa main en visière et attendit. Il fut surpris de voir que c’était des femmes. Surpris et rassuré aussi. Il cria qu’il était chasseur. Il cria qu’il chassait les coyotes et doucement posa son fusil à terre, pour ne pas les effrayer. Les chevaux avançaient et il était clair maintenant que les femmes le fixaient sans dire mot. Il voulut crier de nouveau mais ne sachant que dire se tut et mit sa deuxième main en visière pour mieux les voir encore dans le contrejour. Trois indiennes. Trois indiennes sur trois étalons noirs et qui avançaient en silence. Il demanda si elles parlaient sa langue. Il demanda s’il pouvait les aider à quelque chose et fit une blague graveleuse, à propos de la plus jeune et de sa tenue légère mais ça je l’entendis à peine car j’étais perché sur mon arbre et que le vent portait dans l’autre direction. De sa poche arrière il sortit son carnet et pointa du doigt des dessins, de loups et de vautours et d’arbustes et il dit voyez, je ne suis qu’un chasseur, car bien sûr quand on cherche de l’or on ne dit jamais que l’on cherche de l’or, surtout celui d’un vieillard mort de fièvre (juste avant de mourir, bien sûr, les visions, la folie et letraisoropiaidurochaicrush). La plus jeune bandit son arc. Il lâcha son carnet et dit qu’il ne leur voulait aucun mal. Il riait et gloussait et secouait les mains en l’air. Il pensait que c’était un malentendu quand la flèche traversa sa gorge. Mais ce n’était pas un malentendu. Les indiens de ce désert sont féroces et tout le monde le sait. Tout le monde sauf les étrangers. Il attrapa la flèche et essaya de la tirer mais la flèche resta immobile et il se sentit simplement étouffer, le sang chaud tout à l’intérieur de lui. Les chevaux continuèrent et les femmes passèrent sans se presser ni ralentir, sans même le regarder non plus, juste en prenant leur temps comme elles l’avaient toujours pris. Il tomba à genoux, puis sur le côté, et pensa au trésor et au rocher en forme de cruche. Puis il pensa à sa mère, quand elle le berçait le soir et chantait la chanson du jeune matelot sur son bateau troué. Ses mains se desserrèrent et ainsi ce fut fini, du forçat qui cherchait de l’or. Je me retournais dans mon arbre et m’endormit d’un sommeil de pierre.
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