3. Une approche marxiste-léniniste de la chose
La porte claqua. Enfin. Enfin seuls. Jean-Philippe T. me plaqua contre le classeur Dossiers Sensibles et je sentis le métal froid me mordre les omoplates. « Comme un rappel, pensai-je, que même le désir a ses protocoles. »
« Tu es sûre ? murmura-t-il, les doigts déjà en liberté sur mes seins.
— Sûre de vouloir saboter la productivité avec toi ? Oui. Absolument. »
Il sourit. « Bonne réponse, camarade. »
Sa cravate vola, tel un drapeau rouge agité par les masses.
« La révolution n’a pas encore douché ton arrogance, à ce que je vois. Sale bourgeois, tu vas voir ce qu’est une tchékiste qui veut venger sa classe, sifflai-je en lui ôtant sa chemise.
— Aujourd’hui il n’y aura pas de théorie, rétorqua-t-il en me soulevant sur le bureau, fais-moi découvrir la pratique. »
Je ris, puis laissai échapper un soupir quand ses mains s’emparèrent de mes cuisses. « Attends, haletai-je, il nous faut une base idéologique.
— Le Capital, tome 1 ?
— Non… le Code du Travail, tome 2 !
— C’est pas très moelleux comme oreiller, mais ça fera l’affaire pour soutenir la lutte. »
Il me renversa sur le bureau, attrapa le pavé réglementaire et le glissa sous ma nuque. « Voilà de la littérature engagée » ricana-t-il. « Articles L3131-1 à L3134-16 : on va revoir la notion de repos. Très en profondeur. » Nos vêtements tombèrent au sol.
« Tu veux le sentir, mon Grand Capital ?
— Oh oui, je veux plus que le sentir, je veux qu’il soit en moi si profondément que même les actionnaires ne pourront plus le délocaliser ! »
Je l’attirai à moi et il enfonça son outil de production dans mon sexe trempé avec la fougue d’une insurrection d’Octobre. « Plus vite ! Plus fort ! » C’était comme si nous avions des cadences infernales à tenir. De véritables stakhanovistes du rut.
« Attention, on va faire exploser les quotas !
— C’est ça ! Allons-y ! Dépassons les objectifs ! Optimisons la plus-value ! Luttons ensemble contre l’aliénation !
— Lutter contre l’assèchement de l’humain, très belle idée, mais nous y sommes déjà, ma jolie… En plein dedans. »
Soudain, un craquement.
« Merde. Le bureau.
— Oui, répondis-je. La base matérielle ne suit plus. On va finir par faire la révolution à même le sol… Attends. C’est même une très bonne idée. Allez, à genoux, camarade. Le renversement des classes ne peut pas se faire debout. Aujourd’hui, c’est la théorie de la révolution permanente qui s’applique. Trotskiste, si tu préfères. »
Quittant le bureau décidément instable, je me tenais devant lui, les jambes légèrement écartées. Il hésita une seconde – une seconde de réformisme bourgeois à n’en pas douter – avant de plonger, comme un militant dans la lutte. Sa langue était précise, méthodique, enflammée comme un discours de Lénine.
« Putain… murmura-t-il, me suçant dialectiquement. Tu as le goût de…
— De la lutte des classes ? suggérai-je, les doigts enfouis dans ses cheveux. Ou de la victoire prolétarienne ?
— Non. De… de thon mayonnaise.
— Ferme-la et remets-toi à l'ouvrage, grognai-je, ou je te délègue à la section travail manuel. »
Ses doigts caressaient mes fesses tandis que sa bouche travaillait pour le peuple.
« Tu ne serais pas… une menchevik, par hasard ?
— Une quoi ?
— Une révisionniste. Une opportuniste. Tu collabores avec l’ennemi.
— Pas du tout. Tu ne vois donc pas que j’essaie de baiser le patronat ? »
Il se remit debout pour me prendre à nouveau. Les lendemains allaient chanter. Je m’arc-boutai, les ongles plantés dans ses épaules comme des tracts syndicaux sous les portes des patrons, et l’entendis gémir : « Je crois que… tu es en train de liquider mes actifs…
— C’est l’idée, camarade. »
Quand ce fut fini, haletants, suants, désaliénés pour la première fois depuis des mois, il me regarda, un sourire en coin. « On a dépassé les limites légales, non ?
— Oui. Et alors ? La révolution n’a que faire des conventions collectives. »
Il se rhabilla, ajustant sa cravate d'un geste de dirigeant reprenant le contrôle après une crise sociale. « À demain, dit-il, pour la suite des négociations.
— C’est ça. Le lumpenprolétariat te salue bien. »
Je restai là, le Code du Travail en vrac, le bureau en sale état, et avec une certitude : ce n’est pas comme ça que le prolétariat va gagner. Mais au moins, on aura bien baisé en essayant.

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