7. Ce que le divan ne peut pas résoudre

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« J’entends que vous pensez très souvent à cette rencontre. Pourquoi, à votre avis ?

— Je ne sais pas. Mais ça prend trop de place. Peut-être parce que ma vie sentimentale est vide.

— Laissez-moi tenter une explication. Ce n’est pas lui qui vous hante, mais plutôt ce qu’il représente : une possibilité, une attention, ou encore un récit. Vous avez assez d’espoir pour imaginer… et trop de lucidité pour y croire vraiment.

— Et si c’était juste moi qui remplissais le vide ? Je ne comprends pas l’intensité de cette image érotique que j’ai eue. Vous vous rendez compte ? Je l’ai même vu en train de m'embrasser… et même… bien plus… Enfin je vais vous passer les détails. Je ne sais pas ce qui m’a pris. C’est rare chez moi.

— Et vous ruminez. Une réunion décisive comme celle que vous avez eue cet été, où votre avenir professionnel se jouait, crée un état de vulnérabilité émotionnelle. Dans ce cadre, quelqu’un qui vous parle humainement, avec attention, empathie, égalité – surtout un homme occupant une position élevée – peut provoquer une impression forte, durable et disproportionnée en apparence, mais parfaitement normale sur le plan psychologique.

— Qu’est-ce qui m’attire, selon vous ? Lui ? Ou ce qu’il représente ?

— Eh bien, dites-moi, vous ! C’est l’homme, ou le symbole ?

— L’homme. Son regard. Sa manière d’être attentif. La conversation était vraiment agréable.

— Donc ce n’est pas un fantasme de manque. C’est une rencontre. Simple et compliquée, parce qu’il n’y a pas de suite possible.

— Pourtant, ça m’a marquée.

— Parce qu’il vous a vue comme une égale. Pas comme une contractuelle. Pendant votre discussion, les rôles ont disparu.

— Il a même parlé de lui. D’où il vient. Je pensais qu’il couperait court (il avait presque fini son repas), mais il est resté. Longtemps.

— Comment ça, longtemps ?

— Je dirais que notre conversation a duré… environ une demi-heure.

— Une conversation de cinq minutes, c’est de la politesse. Trente minutes, c’est un choix. C’est là que la tension est née.

— J’ai remarqué ses yeux à ce moment-là, quand il a un peu fendu l’armure.

— Normal. C’est là que vous avez cessé de parler à un DRH et commencé à parler à un homme. Et lui l’a senti.

— Donc je n’ai pas rêvé cette tension ?

— Non. Elle existait. Minime, discrète, mais réelle. Et interdite – ce qui la rend encore plus forte.

— L’idéal serait que… quelque chose se passe… mais c’est compliqué.

— Vous voulez un signe, n’importe lequel. Pour savoir si cette parenthèse existe encore.

— C’est ça, oui. J’essaie de le croiser, mais je ne connais pas son emploi du temps. Je l’ai juste aperçu l’autre jour – encore une fois dans la cafétéria. Il m’a dit “Bon appétit… Vous allez bien ? … Bon appétit.” Deux fois la même phrase. C’est ridicule.

— Pas ridicule : révélateur. Il vous a remarquée. Il a voulu dire quelque chose sans en avoir le droit. Ce n’est pas une déclaration. C’est une ouverture microscopique.

— Et donc on va rester là-dessus pendant des mois ?

— Peut-être. Peut-être pas. Mais ce que vous cherchez vraiment, ce n’est peut-être pas une romance. C’est un espace où vous existez autrement que comme une contractuelle. Et avant d’imaginer la suite, il faut que vous compreniez une chose fondamentale : ce lien, ce n’est pas vous qui l’avez créé. C’est lui qui vous a remarquée en premier.

— Ah bon ? Comment ça ?

— Il ne vous a jamais effacée. Après la réunion de juillet (douloureuse, si je comprends bien), il aurait pu vous oublier. Au contraire : c’est lui qui vous a recontactée, qui vous a signalé les pistes de reclassement. Je vais vous poser une question simple. Combien êtes-vous, dans cette entreprise ?

— Je ne sais pas… deux mille, trois mille employés ? Plus ?

— C’est une grosse boîte ! Dans un groupe pareil, vous n’aviez aucune raison d’être prioritaire pour lui. Aucune. Le fait qu’il vous ait gardée dans son radar est déjà, en soi, un signal fort. Cela confirme qu’il avait créé un petit lien – professionnel, certes, mais un lien malgré tout.

— Oh. Je n’avais vraiment pas vu ça sous cet angle.

— Parce que vous avez cru que tout venait de vous. Non – la première impulsion venait de lui. Vous, vous êtes seulement entrée par une porte qu’il avait déjà entrouverte. Quand vous l’avez recroisé dans… la cafétéria, vous n’étiez plus une inconnue. Vous étiez “celle dont il s’est occupé”, “celle qu’il n’a pas oubliée”. Cette conversation en apparence si facile n’était pas un hasard : elle s’inscrit dans une continuité qu’il a lui-même installée.

— Donc il n’y avait pas que moi…

— Non. Il vous avait vue avant même de vous revoir. Et son apparente distance n’est pas de l’indifférence : c’est une façade. Une contrainte.

— Et si je voulais quand même que ça aille quelque part ?

— Alors la seule question est : voulez-vous tenter un minuscule pas… ou préférez-vous garder cette rencontre comme une parenthèse précieuse, sans risque et sans suite ? »

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