La taille d'une noix

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(L'homme hésite)

— Pour vous ce sera difficile à comprendre.

— Je peux essayer, en tout cas.

— … Parce que vous êtes une femme…

— …

— Et puis j’ai du mal à en parler.

— À votre rythme.

— Mouais... (Il hésite, puis se lance) Vous savez, j'ai jamais été malade. Jamais. Une constitution de bœuf, franchement. (Soupir) L'hôpital, j'ai jamais dû y mettre les pieds, sauf pour mon enfant. A quarante-six, jamais eu un seul problème de santé. C'était la première fois. Pour une douleur, un truc con. Au départ, je voulais même pas y aller, mais le docteur a insisté, ma femme aussi. Quelle idée j'ai eue d'y aller...

— Ça vous a sauvé la vie...

— Mais à quel prix ? Vous savez… C’est pas grand chose… la taille d’une noix… On se rend pas compte, mais en fait ce truc – cette noix – c’est un trésor. Sans ça… il y a plus rien... On la sent pas, mais c’est une partie fondamentale. Excusez-moi, vous êtes une femme. Mais ce truc, cette prostate, ça fait de nous des hommes. Elle est plus là, je suis quoi ? Je peux plus coucher avec ma femme, ça marche plus. Le chirurgien dit que ça peut revenir, mais il ment. Il me donne ces trucs, ces médocs, ça sert à rien. Je suis plus un homme ! Et j’ai… j’ai ces protections, Là. J’ai des fuites, j’y peux rien, je contrôle pas. C’est un homme ça, vous trouvez ?

Et le kiné... Il donne des exercices... Il s’en fout, il est toujours un homme, lui. Jeune, sportif. Quand je lui explique, il prend un air désolé, comme vous, et y me dit « C’est difficile ». Mais lui, il rentre chez lui, après, il couche avec sa femme ou son mec – je sais pas, j’m’en fous – il est désolé, mais il sait pas vraiment à quel point il dépend de cette foutue noix, lui aussi !

Au boulot, je sais que c'est pas vrai, mais je crois que mes collègues le voient, que je suis plus comme eux. J'essaie de masquer, j'esssaie de sourire, mais ils voient bien que je me traîne, que je suis moins dynamique qu'avant. Ils ont compris que je vaux plus rien...

Je suis comme un vieux, vous comprenez, madame ? Alors que dans ma tête c'est comme avant. Pourquoi j'ai accepté cette opération ?

— Vous vouliez vivre, non ?

— Oui, je voulais vivre. Mais je savais pas ce qui allait m'arriver, après. On m'a pas dit. Pour me protéger, pour que je le fasse et maintenant...  Je suis castré. Une vie castrée...

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