(Bruit de chaise qu’on ajuste)

— Il était là, juste en face, exactement comme vous, à me regarder. Alors, il m’a dit bravo. Oui, bravo, enfin. J’ai adoré — j’ai enfin senti qu’il reconnaissait mes efforts, tout ce que j’ai sacrifié, toutes ces heures, ces weekends à bosser : ça allait payer !

Mes objectifs ? Écoutez bien : pas 80, pas 90 % non ! Je pouvais lui annoncer 100 %. On peut juste pas faire mieux.

Mais vous croyez qu’il m’a dit de maintenir le cap ? Vous croyez — avec son grand sourire — qu’il allait me taper dans le dos en me parlant de prime ou mieux : me dire de lever le pied le mois suivant. Non, vous savez ce qu’il m’a dit ?

Il m’a dit « C’est très bien, beau boulot, très beau boulot, et vu ton enthousiasme, le trimestre prochain, on vise les 120 % ! »

Vous voyez, c’est jamais assez, c’est jamais bon. (Elle réprime un sanglot, se reprend) Même sans faute c’est pas assez. Qu’est-ce que je dois faire ?

— Faire moins ? ne pas suivre quelqu’un qui vous demande d’être plus que parfaite.

— C’est mon patron, je dois le suivre.

— Même quand il vous demande l’impossible ? Il sait qu’il vous demande l’impossible, non ?

— Dire ça ? (Elle réfléchit puis reprend, très vite) Et perdre mon job, ma vie ? Il y a une armée de gens qui veulent ma place, il a qu’à tendre sa main et prendre le premier CV de cette pile qu’il tapote quand il est pas content ! (On entend un bruit de tapotement sur une surface quelconque) Il dit rien quand il le fait, mais le message est clair.

— On dirait que vous l’observez beaucoup.

— Je l’ai étudié, comme une scientifique. Je le connais : je sais quand je peux ou pas lui demander quelque chose, je sais quand il est de mauvaise humeur ou juste fatigué. (Soupir) Vous comprenez, ça dépend de moi ! Si j’arrive à agir comme il faut avec lui je sais que je peux y arriver.

— Arriver à quoi ?

— Mais enfin ! À mériter cette prime qu’il m’a toujours promise.

— La récompense, comme vous aviez dit, la reconnaissance de vos efforts. Est-ce vraiment pour ça que vous vous battez, pour ça que vous sacrifiez tout ?

— Pour quoi d’autre ? Si ça n’était pas possible, il n’en aurait jamais parlé. Il attend l’excellence, quand je l’aurai la prime tombera.

— Mais il me semble que vous aviez en déjà reçu une, au moment où vous allier claquer la porte.

— Oui, il m’a accordé une prime le mois passé…

— Donc vous l’avez eu, cette reconnaissance.

— Trente euros… Et même pas chaque mois, ce n’est qu’une fois. Oui, il me l’a donné et me disant « prime à l’effort ». (Elle se met d’un coup à pleurer, ça dure un temps) Vous croyez que c’est de l’ironie ?

— À votre avis ?

— (Entre les larmes) Non, c’est un encouragement. Je sais qu’il est bienveillant au fond, puisqu’il me pousse à m’améliorer, me surpasser. Un jour, j’y arriverai.

— Arriver à quoi, alors ?

— À gagner son respect !