Chapitre 2 : L'envers du décor
Il paraît que j’ai tout pour moi.
C’est ce que les gens disent, en tout cas.
J’ai entendu mille fois les mêmes phrases dans les couloirs du collège :
"Anthony ? Il est trop beau."
"Il est bon en tout, c’est abusé."
"Si seulement il me regardait, juste une fois…"
"T’imagines, être sa copine ? La meuf elle gagne à la loterie."
Ouais. Peut-être.
Je suis ce mec-là. Celui qu’on regarde quand il passe. Celui dont les profs retiennent le prénom. Celui qui rend les autres jaloux, ou amoureux, ou envieux.
Je suis bien habillé, j’ai un sourire qui marche, des bonnes notes sans trop me fouler, et je vis dans une grande maison avec piscine et jardin zen.
Mais il n’y a que moi qui sais que tout ça… c’est creux.
Je suis seul.
Pas juste "je mange parfois seul", non.
Vraiment seul. À l’intérieur.
Je me lève le matin dans une chambre trop grande, trop blanche, trop vide.
La femme de ménage a déjà fait mon lit avant même que j’ouvre les yeux.
Mon petit-déj est posé sur le comptoir, avec un mot de ma mère :
"Bonne journée mon chéri. Je t’aime. PS : réunion avec le Japon à 9h."
Mon père ? Pareil. Invisible. Il est sûrement déjà en route vers une conférence, ou dans un aéroport, ou à une table VIP avec des gens qui sourient trop fort.
Mes parents ont réussi dans la vie. C’est ce qu’on me répète depuis toujours.
Ils sont importants. Brillants. Respectés.
Et moi je suis… leur fierté sur le papier. Leur belle vitrine. Leur fils modèle.
Mais personne ne demande jamais à Anthony ce qu’il pense. Ce qu’il ressent.
On ne me voit que de l’extérieur.
Le vrai moi, je crois que personne ne le connaît. Pas même moi, parfois.
Les gens m’admirent, me jalousent, m’envient.
Mais personne ne me parle vraiment.
Les filles me sourient comme si elles savaient déjà qui je suis.
Les mecs veulent être "potes" juste pour briller à côté.
Et moi, je joue le jeu.
Je souris. Je dis les bons mots. Je fais semblant d’être heureux.
Mais tous les soirs, quand je rentre, quand j’enlève mes baskets dernier cri et que je laisse tomber mon sac dans le hall immense et silencieux… je me sens comme une ombre dans un musée.
Bien exposée. Intouchable. Vide.
Je suis fatigué.
Fatigué de faire semblant.
Fatigué d’être "parfait".
Et parfois, dans les couloirs du collège, j’observe ceux qu’on ne regarde jamais.
Ceux qu’on ignore. Ou qu’on critique.
Et je me demande s’ils ne sont pas plus vivants que moi.
Il y a une fille, par exemple.
Elle s’appelle Belle.
Tout le monde se fout de sa gueule à cause de son prénom, c’est d’une cruauté presque ridicule.
Elle marche vite, elle parle peu, elle a l’air de vouloir disparaître.
Mais il y a quelque chose en elle. Une sorte de force silencieuse. Comme si elle portait un monde sur les épaules sans rien dire à personne.
Et je ne sais pas pourquoi… mais j’y pense souvent, ces derniers temps.

Annotations