Chapitre 4 : Le masque
Je vais au collège seul.
Comme tous les matins.
Chauffeur ou pas, mes parents ne sont jamais là. Pas pour dire au revoir, pas pour souhaiter une bonne journée.
Ils bossent. Encore. Toujours.
Et moi, je fais semblant que ça ne me dérange pas.
Dès que je passe le portail, c’est comme si un projecteur s’allumait sur moi.
Les regards se tournent.
Les sourires se déclenchent.
Des "salut Anthony", des "trop stylé ta veste", des "tu viens à la fête samedi ?"
Je réponds avec mon sourire habituel, celui que tout le monde connaît. Détendu. Sûr de moi.
Mais c’est juste un masque.
Je rejoins Côme, mon meilleur pote, et le reste de la bande.
Ils parlent fort. Ils rient pour rien. Ils balancent des vannes à droite, à gauche.
Je me cale au milieu, comme toujours, en jouant mon rôle.
— T’as vu la nouvelle surveillante ? demande Côme. Si elle me colle, j’la remercie limite.
— Mais t’es un chien, gros, rigole Jules.
Je souris. Je balance deux-trois remarques. Tout est fluide.
Mais rien n’est vrai.
Personne ne sait que je mange seul le soir.
Personne ne sait que mes parents ne se sont pas regardés depuis trois semaines.
Personne ne sait que parfois, je me réveille au milieu de la nuit sans savoir pourquoi, juste avec une envie de pleurer que je ravale direct.
Les cours commencent.
Je suis dans les premiers rangs, concentré, toujours bien noté.
Je lève la main quand il faut, je fais le minimum pour briller.
Mais au fond, je m’ennuie. Et je m’éteins un peu plus chaque jour.
Midi arrive.
On se cale à notre table habituelle. C’est bruyant, plein d’ego et de blagues salaces.
Je ris avec eux. Par automatisme.
Et puis je la vois.
Elle.
Belle.
Assise seule, comme d’habitude, au fond de la cantine.
Même plateau que tout le monde, même chaise, même silence autour d’elle.
Elle mange lentement, sans lever les yeux. Comme si elle savait qu’elle ne devait pas déranger l’espace.
Je la regarde.
Pas parce qu’elle est "canon" comme diraient les autres.
Mais parce qu’elle a quelque chose. Une aura différente. Un truc authentique que les autres n’ont pas.
Il y a en elle une sorte de fierté muette. Une force calme, cachée sous les couches de solitude.
— Wow, t’as vu comment tu la mates ?
C’est Côme, évidemment. Toujours à flairer les trucs bizarres chez moi.
— Hein ? Mais t’es malade ou quoi ? C’est Belle ! J’regardais dans le vide, détends-toi.
Je rigole, un peu trop fort. Je joue le mec choqué.
Mais ils me regardent tous. Sceptiques. Silencieux.
Et là, Côme balance :
— Vas-y, on va voir si t’as des couilles.
— Pardon ? je lâche, un peu sur mes gardes.
— Si t’es vraiment pas intéressé par elle… alors fais-la tomber amoureuse. Et on n’en parle plus.
Silence autour de la table.
Puis des rires. Des "ah ouais !" et des "vas-y t’es cap ou pas ?"
Côme me fixe, un sourire en coin.
Je souris à mon tour. Faux. Crispé.
— Ok. Challenge accepté.
Ils crient tous, rigolent, se marrent.
Je lève mon verre de jus comme pour sceller le pacte.
Mais à l’intérieur de moi…
je hurle.
Parce que je sais que j’ai dit une connerie monumentale.
Je sais que Belle ne parle à personne, jamais.
Je sais qu’elle n’est pas le genre de fille à tomber dans les pièges débiles de mecs comme moi.
Et surtout… je sais que ce que je ressens, là, c’est pas du jeu.

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