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L’air frais du matin mordait doucement la peau d’Atlas tandis qu’il chaussait ses baskets usées dans la pénombre de sa chambre. Le silence pesant de la maison lui paraissait presque trop lourd, comme si chaque bruit pouvait réveiller les secrets qu’il s’efforçait de cacher. Pourtant, ici, dans cette solitude, ses gestes étaient précis, presque rituels. Il attrapa sa bouteille d’eau, prit une dernière inspiration et poussa la porte vers l’extérieur, où la fraîcheur de l’aube lui piquait les poumons d’une manière presque revigorante.

Le quartier s’éveillait lentement. Le chant lointain des oiseaux se mêlait au ronronnement des premiers moteurs, et l’odeur de l’herbe mouillée, encore perlée de rosée, flottait dans l’air. Sur le trottoir, les flaques étincelaient sous la lumière pâle, miroir fragile d’un ciel encore gris. Les pas d’Atlas résonnaient sur le bitume humide, rythme régulier et rassurant, presque hypnotique.

Il adorait cette sensation : le corps qui s’échauffe, le souffle qui s’accélère, le monde qui se réduit au simple fait d’avancer, encore et encore, en défiant la fatigue et les doutes. La course était son refuge, ce moment où son esprit pouvait oublier les faux-semblants, où ses pensées s’allégeaient, où il était simplement lui-même, sans masque.

Au bout de quelques minutes, il arriva devant le club d’athlétisme de l’université, un bâtiment modeste aux murs rouge brique, légèrement abîmé par le temps. Le terrain s’étendait devant lui : la piste d’un rouge éclatant, humide ce matin, serpentant autour du gazon encore couvert de gouttes scintillantes. Les gradins vides semblaient endormis, silencieux témoins des exploits passés et des rêves futurs.

L’odeur caractéristique de la poussière mélangée à celle du plastique chaud des chaussures neuves flottait dans l’air, mêlée à un parfum de sueur fraîche et de terre humide. Quelques silhouettes s’affairaient déjà, échauffant leurs muscles, lançant des regards pleins d’enthousiasme. Atlas se glissa dans le groupe sans un mot, savourant cette atmosphère familière, presque sacrée.

« T’as encore dormi dans tes baskets, ou quoi ? » lança une voix moqueuse derrière lui.

Atlas se retourna et vit Malik, son coéquipier depuis le lycée, un sourire en coin, les cheveux ébouriffés. À côté de lui, Zoé, la seule fille de l’équipe, le regard pétillant.

« Ça t’arrangerait que je le fasse, au moins je serais prêt dès le matin, » répondit Atlas en riant, tentant de cacher la fatigue qui tirait ses yeux vers le bas.

Ils échangèrent quelques plaisanteries, l’ambiance était légère, presque trop légère. Malik ne voyait pas l’ombre qui passait parfois dans les yeux d’Atlas, ni les petites marques de tension qui se dessinaient au coin de sa mâchoire. Pour eux, il était ce garçon insouciant et sûr de lui, celui qui ne flanche jamais, celui qui sourit toujours.

Le coach donna le départ et ils s’élancèrent sur la piste, le bruit régulier de leurs foulées brisant le silence du matin. Le souffle d’Atlas s’accordait à son rythme, fort, puissant, comme le battement d’un cœur qui refusait de se taire. Chaque foulée lui donnait un peu plus de force, chaque respiration un peu plus d’espoir.

Après l’entraînement, le groupe se dirigea vers les vestiaires en parlant fort, partageant anecdotes et encouragements. Atlas restait dans son rôle, se moquant de lui-même, lançant des blagues, se montrant accessible et confiant.

« Sérieusement, Atlas, comment tu fais pour rester aussi calme en cours ? » demanda Zoé, les yeux brillants de curiosité.

Atlas haussa les épaules, un sourire charmeur aux lèvres. « Faut bien cacher le stress quelque part. Et puis, c’est pas si compliqué de jouer le gars sûr de lui. C’est juste une question d’habitude. »

Ils rirent tous, mais personne ne savait vraiment que derrière ce masque, Atlas passait ses nuits à s’entraîner en cachette au violon, ou à arroser ses plantes qu’il gardait jalousement loin des regards.

Plus tard, dans les couloirs de l’université, Atlas enfilait son autre costume : celui de l’étudiant populaire. Les murs aux couleurs neutres, les affiches des clubs et événements universitaires, les vitrines poussiéreuses de la bibliothèque, tout formait le décor d’une journée qu’il connaissait par cœur.

Les voix, les rires, les murmures s’entremêlaient, formant une symphonie familière et rassurante. L’odeur du café fumant et du papier fraîchement imprimé flottait dans l’air, tandis que les étudiants, à la fois pressés et insouciants, traversaient les couloirs.

Atlas s’arrêta devant une porte de salle de classe et salua quelques visages familiers. Il répondit aux questions avec assurance, ponctua ses interventions de gestes amples et de sourires éclatants. Sous les applaudissements discrets de certains camarades, il joua parfaitement son rôle.

Mais dans un coin de son esprit, un poids persistait, celui de ses passions qu’il cachait, de ses insécurités qu’il refoulait, de ses secrets qu’il redoutait de dévoiler.

En fin de journée, alors qu’il traversait la cour en direction de la sortie, son regard croisa par hasard une silhouette familière. Clay, près de la boutique où il travaillait, leva les yeux vers la fenêtre d’un bâtiment adjacent. Leurs regards se croisèrent un instant, un éclat furtif, chargé d’une étrange énergie.

Atlas détourna les yeux rapidement, le cœur battant un peu plus fort. Un frisson parcourut son échine. Était-ce juste un hasard, ou le début d’autre chose ?

Sans un mot, il reprit sa route, portant à nouveau son masque impeccable. Mais cette fois, quelque chose avait changé.

Le soleil déclinait doucement sur la ville quand Atlas rejoignit Malik et Zoé près du club de sport, essuyant la sueur de son front après une série d’intervalles. La brise était encore chaude, mêlée à l’odeur d’herbe coupée et de bitume chauffé par l’après-midi. Les voix des autres coureurs, les bruits de baskets sur le sol, les éclats de rire, tout cela formait la bande-son familière de ses après-midis. Pourtant, ce soir-là, quelque chose retenait son attention, un détail qu’il n’arrivait pas à chasser de son esprit.

« Alors, t’as vu ce gars ? » demanda Malik en s’affalant sur un banc, les traits marqués par l’effort, un sourire taquin aux lèvres.

Atlas releva la tête, intrigué. « Quel gars ? »

Zoé, déjà assise à côté de Malik, croisa les bras en souriant malicieusement. « Tu sais, celui que t’as regardé par la fenêtre tout à l’heure, à la boutique du coin ? Le type discret, qui regarde toujours ses bouquins, presque comme s’il voulait disparaître. »

Atlas sentit son cœur s’accélérer, et une légère rougeur lui monta aux joues. « Je… je sais pas de qui tu parles. »

Malik se redressa, le regard pétillant de curiosité. « Oh, arrête de faire ton mystérieux. T’as passé plus de temps à le regarder qu’à courir aujourd’hui, c’est pas une coïncidence. »

Zoé rit doucement. « Franchement, il a l’air un peu bizarre, non ? Toujours caché derrière ses comics ringards, comme si le monde réel lui faisait peur. »

Atlas détourna le regard, cherchant à dissimuler le trouble qui grandissait en lui. « Peut-être qu’il aime juste lire. »

Malik leva les yeux au ciel. « Ouais, lire des comics. C’est un peu ringard, non ? »

Le sourire d’Atlas se fit plus faible, presque triste. « On a tous nos trucs. »

Zoé hocha la tête. « Tu veux dire que tu serais du genre à lire des comics en cachette ? »

Atlas avala sa salive, un éclat de honte traversant ses yeux. « Non, non, je… » Il s’interrompit, incapable d’expliquer que lui aussi, derrière son sourire arrogant, cachait ses propres passions secrètes : son violon, ses plantes qu’il chérissait et protégeait, loin des regards.

Malik ricana. « T’as pas besoin de cacher qui tu es, Atlas. Tu fais partie de ceux qui ont tout, t’as pas à te planquer derrière un masque. »

Atlas sentit un pincement au cœur. « C’est pas toujours aussi simple. »

Zoé lui lança un regard encourageant. « Tu veux parler de ce gars ? »

Atlas hocha lentement la tête, hésitant. « Je sais pas. Il a l’air… seul. Comme moi. »

Malik se moqua. « Alors pourquoi tu ne lui parles pas au lieu de le mater en douce ? »

Atlas esquissa un sourire maladroit. « Je… j’ai peur. »

« Peur ? » Zoé plissa les yeux, surprise. « Toi, le mec qui court plus vite que tout le monde, tu as peur ? »

Atlas baissa les yeux, ses doigts jouant nerveusement avec le tissu de son t-shirt. « Oui. Peur qu’il me voie vraiment. »

« Il est pas le seul à cacher des trucs, » ajouta Zoé doucement. « Peut-être que vous avez plus en commun que tu ne le penses. »

Le silence s’installa un instant entre eux, seulement troublé par le bruissement des feuilles dans le vent et le chant lointain d’un oiseau. Atlas se surprit à imaginer ce qu’il dirait à ce garçon si jamais il avait le courage d’engager la conversation. Peut-être parleraient-ils de leurs passions secrètes, de leurs doutes, de ce poids qu’ils portaient chacun en silence.

« Tu crois qu’il a des amis, lui ? » demanda Malik, brisant le silence.

Atlas réfléchit un instant. « Je ne crois pas. Il a toujours l’air seul, et puis… il ne parle jamais avec les autres. »

Zoé haussa les épaules. « Parfois, les gens sont comme ça. Ils trouvent leur monde dans leurs livres, leurs photos, leur musique. »

« Ou dans la course, » ajouta Malik en riant. « Mais lui, il court pas avec nous. »

Atlas sourit doucement, pensant à leur prochain entraînement, à cette sensation unique de liberté quand ses pieds frappaient le sol, à l’adrénaline qui montait en lui, à la fatigue heureuse qui suivait chaque course. Pourtant, ce soir-là, il préférait penser à ce garçon aux yeux sérieux, dont le regard avait croisé le sien par la fenêtre d’une boutique.

« Peut-être que je devrais juste lui parler, » murmura Atlas, presque pour lui-même.

« Ouais, et tu ferais quoi ? » demanda Malik, toujours taquin. « Lui dire que t’as peur de lui dire bonjour ? »

Atlas rougit un peu, mais garda son calme apparent. « Non. Je lui dirais juste bonjour. »

Zoé sourit, complice. « C’est un début. »

Alors que la lumière s’effaçait peu à peu et que les étoiles commençaient à scintiller dans le ciel, Atlas sentit au fond de lui une petite étincelle d’espoir. Peut-être qu’un jour, ils pourraient dépasser le silence, partager leurs histoires. Peut-être qu’il pourrait enfin baisser son masque, ne plus être ce garçon arrogant et souriant seulement en surface.

Et, pour la première fois depuis longtemps, il s’autorisa à rêver qu’il ne serait plus jamais seul.

Le souffle court, Atlas sentait ses jambes taper le bitume rythmiquement, le léger vent frais de fin d’après-midi caressant son visage humide de sueur. Le sol sous ses baskets semblait presque vibrer sous la cadence de ses foulées, tandis que le paysage urbain défilait autour de lui. Les arbres bordant le parc laissaient tomber quelques feuilles dorées, et l’odeur mêlée de terre humide et de gazon fraîchement coupé emplissait l’air. Le murmure lointain de la ville s’élevait, les klaxons, le vrombissement des voitures, le chuchotement des passants. C’était son moment à lui, ce moment où il pouvait se sentir vivant, maître de son corps et de ses pensées.

Il ralentit doucement en approchant du centre-ville, essuyant d’un revers de manche la sueur qui perlait sur son front. La lumière orangée des réverbères commençait à poindre, tandis que la ville s’animait d’une autre énergie : celle des bars et des terrasses où les rires éclataient, les verres tintaient. Atlas prit une profonde inspiration, s’accorda un instant pour savourer ce mélange d’odeurs – café chaud, bière fraîche, parfums entremêlés – avant de pousser la porte du bar où l’attendaient Malik, Zoé et Leo.

« Alors, la star du running, tu as battu ton record ? » lança Malik en tapotant l’épaule d’Atlas.

Ce dernier répondit d’un signe de tête, ajustant sa veste de jogging.

Leo, les yeux pétillants d’un amusement un peu mauvais, se pencha en avant : « J’suis allé faire un tour à la boutique où bosse ce Clay, tu sais, le gars timide. J’ai pas pu m’empêcher de l’espionner un peu. »

Zoé éclata d’un petit rire, à moitié amusée, à moitié exaspérée : « T’es incorrigible, Leo… Tu pourrais au moins être un peu gentil. »

Leo haussa les épaules, un sourire en coin : « Franchement, il est tellement coincé, toujours derrière son comptoir, avec ses bouquins et ses comics. Sérieusement, qui traîne encore avec des comics ? C’est carrément ringard. »

Atlas fronça légèrement les sourcils, évitant de croiser le regard de Leo. Il sentit une pointe de gêne le piquer au ventre, comme si ces moqueries dévoilaient sans le vouloir ce qu’il cachait aussi en secret. Il détourna le regard vers la fenêtre du bar où la lumière de la rue commençait à faiblir, perdant un instant le fil de la conversation.

Zoé posa une main sur le bras de Leo, doucement : « Calme-toi, c’est pas parce qu’il est différent que c’est nul. Et puis, tu sais, il a une vie pas facile. »

Leo fit mine de réfléchir, puis éclata d’un rire un peu forcé : « Ouais, c’est vrai. Il a l’air de galérer. Mais bon, faut quand même qu’il se lâche un peu, non ? Sinon, c’est juste triste. »

Atlas, quant à lui, s’était replongé dans ses pensées. Il connaissait ce regard sur Clay, ce mélange de jugement et de pitié mal déguisée. Pourtant, il sentait que derrière cette façade froide, il y avait bien plus. Et lui-même, combien de secrets gardait-il, enfouis sous son sourire arrogant ?

Le bar continuait de bourdonner autour d’eux, les voix s’entremêlant avec le cliquetis des verres et le fond sonore d’une vieille playlist rock. Malik s’en servit un verre, Zoé pianotait sur son téléphone, tandis que Leo, ragaillardi par sa provocation, ne lâchait pas du regard Atlas, comme s’il voulait l’amener à réagir.

« Allez, Atlas, t’en penses quoi de ce gars ? Tu pourrais bien lui parler un jour, non ? » lança Leo, un sourire en coin.

Atlas haussa les épaules, jouant l’indifférent, mais au fond, son cœur battait un peu plus vite. « Je sais pas… Il a l’air paumé, un peu à part. Pas sûr qu’on ait grand-chose en commun. »

Zoé sourit, moqueuse : « Tu dis ça comme si toi, t’étais super facile à cerner. »

Atlas glissa un regard furtif autour d’eux, s’assurant que personne ne prêterait attention à la nuance cachée dans la remarque. C’était vrai, il était un casse-tête, même pour ses amis. Il s’était forgé une carapace solide, jouant le mec sûr de lui, arrogant, mais sous cette armure, il y avait beaucoup de solitude.

Dans sa tête, il revoyait ce visage aperçu à travers la vitrine de la boutique. Ce regard vert, vif, direct. Un instant fugace mais qui avait laissé une empreinte curieuse sur son esprit. Clay. Il ne savait rien de lui, mais quelque chose l’avait troublé.

La conversation reprit, mais Atlas se fit plus silencieux, perdu dans ce maelström d’émotions contradictoires.

Plus tard, quand la soirée avançait, la lumière tamisée du bar semblait s’adoucir, et l’ambiance s’était calmée. Atlas sentait que le masque qu’il portait commençait à peser un peu moins. Malik parla d’une prochaine sortie en montagne, Zoé évoqua un concert à venir, tandis que Leo finit par abandonner sa moquerie sur Clay, presque sans s’en rendre compte.

Atlas ramena son regard vers la fenêtre, où les ombres de la nuit dessinaient des silhouettes mouvantes sur le trottoir. Il se surprit à espérer, sans oser se l’avouer, que ce garçon à la boutique, ce Clay si différent, pourrait peut-être comprendre une part de lui que personne ne connaissait.

Le cœur serré par ce mélange d’appréhension et d’envie, il but une gorgée de bière, prêt à affronter ce qui viendrait.

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