Prologue
Les Valkyries ont encore frappé
Nal’ki
Pourquoi faut-il que je sois toujours dérangé au moment où je vais me reposer ? On dirait que c’est la règle depuis que je suis sur cette planète, c’est fou. Quand je pense qu’on nous avait dit que ce serait tranquille, qu’ils n’opposeraient aucune résistance et qu’on pourrait se régénérer tranquillement grâce à l’atmosphère plus riche que la nôtre. N’importe quoi. Je crois que nos scientifiques nous ont menti juste pour nous rassurer et nous convaincre de quitter notre astre natal… Quoique, ils n’avaient peut-être pas d’autres moyens de persuader nos dirigeants et éviter ainsi la catastrophe annoncée. Bref, l’atmosphère riche est pleine de gaz polluants qui mettent parfois à mal nos implants de communication et l’opposition existe bel et bien. Je cherche à capter ce qu’il se passe mais n’y parviens pas. Comme à chaque fois qu’il arrive quelque chose, tout le monde discute en même temps et on ne comprend rien du tout. Je soupire et quitte le salon où je venais de me poser pour aller dans la salle que j’ai aménagée pour participer aux conférences avec le haut commandement resté sur le vaisseau-planète qui nous sert de base arrière. Tous des planqués, là-haut, mais il faut les écouter car eux savent. Eux peuvent observer toute cette planète que les locaux appellent la Terre. Eux sont plus à même de décider que nous qui sommes sur le terrain. Tu parles, ils sont tranquilles là-haut et nous envoient au charbon, c’est évident.
Je ferme la porte derrière moi et m’installe sur le fauteuil avant de lancer l’intercom. La petite boîte s’allume et s’ouvre, diffusant autour de moi les images des différents participants qui comme moi se joignent à la conversation. La capacité de cette boîte m’étonne toujours. Ma pièce s’est transformée en salle de réunion et c’est comme si désormais j’avais fait le déplacement jusqu’à la salle de commandement du vaisseau-planète. Franchement, avec des outils comme ça, comment ça se fait qu’on n’a pas encore réduit tous ces rebelles à néant ?
— Tu vas encore être au centre de toutes les attentions, me souffle une voix chaude dans les oreilles.
Il faut vraiment que je m’habitue à ces conférences où tout le monde peut apparaître à n’importe quel endroit. Juste derrière moi se dresse Maxim, mon coéquipier et ami qui gère avec moi la zone qui nous a été confiée. Le grand blond me sourit mais je le sens tendu. A chaque fois que je me fais rabrouer par la grande hiérarchie, il disparaît. Je crois qu’il m’aime bien mais il ne faut surtout pas mettre en danger sa sacro sainte carrière.
— Je ne sais même pas ce qu’il s’est passé, grimacé-je. Impossible de saisir quoi que ce soit sur le canal public. Tu crois qu’un jour, les gens sauront se discipliner ?
— Rien ne vaut la discipline, mais il faut croire que beaucoup en manquent. Il y a eu une série d’explosions sur notre zone industrielle, pas de blessés à déplorer mais les dégâts matériels sont conséquents. Évidemment, l’attaque a encore et toujours été revendiquée par le même groupe.
— Encore sur notre zone ? Ce n’est pas possible ! Elles m’en veulent ou quoi ? Il y a vraiment beaucoup de dégâts ? Elles font comment pour tout faire péter comme ça ? Elles doivent avoir des complicités en interne, non ?
“Elles”, ce sont les membres d’une faction rebelle qui a profité de notre arrivée pour renforcer ses activités terroristes. D’après ce que je sais, elles se font appeler les Valkyries. Un nom qui vient d’une légende locale si mes sources sont exactes. Elles étaient déjà actives avant qu’on débarque mais comme on n’est pas allés dans leur sens, ça les a encore plus énervées. Et maintenant, c’est moi qui paie les pots cassés.
Maxim n’a pas le temps de me répondre car c’est mon oncle, un des membres du Conseil, qui prend la parole. Il est assis sur une sorte de trône, comme les neuf autres membres qui se sont connectés. Franchement, s’ils avaient pu éviter de prendre cette coutume un peu étrange de cette planète de fous, ça ne m’aurait pas dérangé.
— Bonjour à tous, débute-t-il alors que le silence s’est rapidement fait. Pour ceux qui ne seraient pas au courant, et je doute qu’il en reste énormément, le groupe des Valkyries a encore frappé. Il est toujours très actif dans la zone 34 et particulièrement dans les environs de nos installations, à croire que certains d’entre nous les attirent.
C’est quoi ce regard qu’il m’adresse comme s’il était littéralement à deux pas de moi ? Il croit quoi, que ça me fait plaisir d’avoir des blessés et des destructions dans la zone qui m’a été confiée ?
— Et donc, l’objet de cette réunion, c’est de me rendre responsable, c’est ça ? finis-je par demander alors qu'un silence intersidéral s’est installé. C’est utile. Merci de nous avoir rassemblés.
— Euh, tu es responsable, me souffle Maxim à l’oreille. Tu te souviens que ton oncle t’a nommé pour assurer la sécurité de la zone 34 ?
Je lève les yeux au ciel puis les rabaisse en me disant que je ne veux pas regarder vers le vaisseau-planète. Il est gentil mais qu’est-ce qu’il m’énerve, parfois.
— Vous êtes sûrs que les hommes sur place ne les aident pas un peu ? Ils ont beau nous dire qu’ils sont contents qu’on ait réinstallé des règles qu’ils nomment “patriarcales”, je ne comprends pas pourquoi avec tous nos moyens de contrôle et de communication, on ne parvient pas à arrêter ces folles qui pensent qu’en cassant deux ou trois trucs, elles vont nous faire changer d’avis ou repartir. Ce sont elles, les responsables, pas moi ! m’agacé-je.
— Effectivement, c’est incompréhensible, cingle sévèrement mon oncle. Il va être grand temps de mettre en place de nouveaux contrôles, de renforcer les lignes de défense et d’arrêter de se tourner les pouces !
Il est marrant, lui. On contrôle déjà tout. C’est même comme ça qu’on a pris le pouvoir sur la planète presque sans effusion de sang de notre côté. Ils étaient pathétiques avec leurs petits satellites, leurs armes à feu, leurs drônes. Il nous a fallu à peine quelques jours pour désactiver jusqu’à leurs frigos. Et la désorganisation qui a suivi nous a permis de conquérir tous les gouvernements qui se disputaient plutôt que de s’allier contre nous. Un peuple vraiment primitif et pourtant… les Valkyries nous narguent. Elles sortent de nulle part à chaque fois, on dirait, on les voit apparaître sur les caméras de surveillance. Et malgré tous nos brouilleurs, tous nos systèmes à des années-lumières de ce qu’ils sont capables de faire ou d’imaginer, on est toujours surpris. Le temps qu’on réagisse et qu’on arrive sur place, elles ont disparu comme elles sont venues. Sans laisser de traces ou presque.
— Tu peux être plus clair dans tes ordres ? demandé-je de la manière la moins insolente que je puisse maîtriser. Tu proposes que je fasse quoi ? Nous ne sommes pas assez nombreux pour avoir des gardes devant chaque zone sensible, il nous faut plus de robots pour améliorer la surveillance. J’attends une livraison, mais je suis ouvert à tes bonnes idées, mon cher Oncle…
— Ce n’est pas mon rôle. A quoi bon placer des responsables pour chaque zone si c’est à nous de trouver toutes les idées ? Que les choses soient claires, tu peux bien faire comme bon te semble, infiltrer un groupe d’hommes, te déguiser en femelle pour te rapprocher des épouses, convoquer les représentants pour les faire passer à table ou que sais-je. Tout ce que je veux, ce sont des résultats. Des têtes doivent tomber, et ces Valkyries devront nous servir d’exemple, il faut étouffer toute velléité de rébellion !
Parce qu’il s’imagine qu’on va réussir à transformer ces furies en esclaves serviles et dociles comme c’est le cas pour les autres femelles de la planète ? Il est marrant lui. J’ai bien envie de lui dire qu’il est encore plus responsable que moi, vu qu’il participe au Directoire qui s’occupe de nous, mais je préfère me taire. Il faut savoir quand l’ouvrir mais aussi quand se faire tout petit. De toute façon, là, il parle sous la colère, il vaut mieux que j’attende d’échanger avec lui en privé pour essayer d’avoir des conseils.
— Je vais m’en occuper, soupiré-je. Je suppose qu’à part nous, aucun des Terriens n’est au courant de ce qu’il s’est passé ? On a au moins réussi à faire ça ? Le silence est roi, comme on dit chez nous.
Normalement, là-dessus, on est imbattables. Et ça devrait me permettre de convoquer une assemblée des hommes locaux pour les manipuler et leur demander de stopper ces agissements qui mettent en danger l’équilibre que nous avons su créer sur leur planète. Ils nous doivent bien ça, vu comment ils étaient en train de commencer à se soumettre à leurs femmes quand nous sommes arrivés pour remettre de l’ordre.
Mon oncle me confirme d’un regard et je mets fin à la communication, ne souhaitant pas continuer à participer à ce simulacre de réunion. S’ils ont des demandes à me faire, ils les feront, je ne m’inquiète pas pour ça. Et puis, j’ai du boulot, là. Et il faudra aussi que je réfléchisse à cette idée de m’infiltrer parmi les épouses. Avec une perruque, ça passe comme déguisement, non ?
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