Chapitre 01

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Matin souterrain

Lévana

— Lév’... Lév’, debout, c’est l’heure.

Je marmonne et m’étire en tournant le dos à l’importun qui ose me réveiller. Malheureusement pour moi, la manœuvre, fastidieuse sur un vieux canapé, se solde par une rencontre des plus brutales avec le sol en béton. Un couinement m’échappe et j’ouvre les yeux pour fusiller du regard mon frangin. Il me semble plus grand de ma place de choix au sol, mais aussi plus impressionnant, ce qu’il n’est absolument pas quand je suis à sa hauteur. Mon grand frère a beau être plutôt imposant et intimidant, son mètre quatre-vingts et son regard de tueur n’ont pas l’effet escompté sur mon petit mètre soixante-cinq.

J’attrape la main qu’il me tend et me lève prestement, jetant déjà un œil sur l’opératrice en charge de la surveillance de la radio durant la fin de la nuit.

— On a des nouvelles ?

— Tu sais bien qu’elle t’aurait réveillée si c’était le cas, marmonne mon aîné.

— Tu sais que ta nana peut parler pour toi, Gaspard ? Jasmine a une langue, un cerveau, et puis, je viens de me lever, un peu de respect, ma nuit a été courte.

Jasmine me sourit légèrement avant de soupirer. Une de nos équipes a été prise en chasse par quelques drones lors de notre sortie nocturne. J’ai vu les filles partir au sud, en direction de la ferme, mais nous n’avons pas eu de nouvelles de la nuit et je déteste ça. Il est fort probable qu’elles se soient planquées dans la forêt et attendent que la voie soit libre, j’en ai bien conscience, cependant, je ne serai pas sereine tant qu’elles ne seront pas de retour au bercail.

— Va boire ton café, les filles t’attendent pour leur cours. Tu aurais vraiment dû rentrer dormir à l’appartement, tu as une sale tête, Petite Sœur.

Gaspard passe un bras autour de mes épaules et m’étreint avec douceur avant de me pousser vers la sortie. J’ai tout juste le temps de montrer à Jasmine mon talkie-walkie que la porte se referme derrière moi. Un frisson me traverse alors que je me retrouve dans l’étroit tunnel, sombre et humide, à la lumière jaune et aux courants d’air vivifiants. Voilà comment se réveiller rapidement.

Je resserre le col de ma veste et hésite un instant à remonter à la surface pour prendre une douche rapide chez nous. Quitte à être en retard, autant être propre et fraîche, non ? Je sais que les filles attendent avec impatience les cours de combat, mais après notre petite sortie nocturne, j’ai atterri directement en salle des communications et je porte encore ma veste noire sans manche, mon sweat à capuche et mon pantalon militaire de même couleur. Une vraie tenue de camouflage pour se promener la nuit et faire de jolis doigts d’honneur à ces enflures.

Je bifurque tout de même à droite plutôt que de prendre la sortie qui mène dans la cuisine du bar et m’enfonce davantage dans le souterrain pour rejoindre la première zone d’habitation. Une quarantaine de femmes y vivent, adultes, adolescentes, certaines avec leurs filles. Beaucoup sont venues se cacher et ont rejoint nos rangs, certaines sont mariées et ont abandonné leur mari, leurs fils… D’autres nous ont confié leurs filles pour les protéger de ce monde de fous autant qu’elles le pouvaient.

Le trajet est un automatisme pour moi, si bien que c’est le bip strident de la porte sécurisée qui me ramène à la réalité lorsque j’y entre le code composé de seize chiffres et lettres… On n’est jamais trop prudents, disait ma mère.

Le couloir du coin nuit est en ébullition. Je passe la grille restée ouverte pour essayer d’y trouver mes élèves, mais c’est Rachel, la sœur d’une des filles encore dehors, qui m’alpague la première, tandis que j’entends le rire de la petite Louane à quelques pas de là.

— Lévana, tu as des nouvelles ? Myriam n’est pas encore rentrée et personne ne sait me dire ce qu’il en est. Elles ont été attaquées ? Un drone les a repérées ?

— Son équipe n’est pas encore de retour, mais elles ont dû semer les drones et se planquer pour ne pas se faire repérer. Je suis certaine qu’elle va bien.

— J’espère… On a perdu trop des nôtres, ces derniers temps…

— Tu connais ta sœur, elle n’abandonne personne derrière et ne se laissera surtout pas prendre, souris-je en attrapant Louane qui me saute dans les bras. Si elles ne sont pas de retour à midi, j’irai voir ce qu’il en est avec deux ou trois filles.

La petite tête blonde passe ses bras autour de mon cou et y niche son nez. Louane a perdu sa maman il y a quelques mois lors d’une de nos sorties nocturnes. Depuis, tout le monde s’occupe plus ou moins d’elle même si Rachel est la personne de référence. Il m’arrive de passer quelques heures avec elle quand je le peux, histoire de lui apporter un peu d’amour supplémentaire. Est-ce que je m’en veux pour la mort de sa mère ? Sans doute, oui, mais j’adore aussi cette gamine.

— Je viendrai avec toi, si c’est le cas… Je ne peux pas rester ici sans rien faire.

Je me retiens de soupirer et acquiesce avant de presser son épaule de ma main libre. Rachel ne sort jamais du souterrain ou presque, elle préfère s’occuper des enfants d’ici. Il n’y en a pas tant que ça, une quinzaine, mais lorsque nous partons en expédition, les mères sont bien contentes de savoir qu’elle bichonnera leurs petits.

— Tu veux assister au cours de combat, ce matin, histoire de te mettre en jambes ?

— Moi, je peux venir ?

— Pas ce matin, Loulou, tu as classe. Pour toi ce sera demain avec Rachel, un peu de patience. En revanche, ces petites dents ne sont pas lavées, Mademoiselle, et elles n’attendent pas, elles. File !

Je la dépose au sol sous son soupir et rigole en la voyant partir bon gré, mal gré vers le bloc sanitaire. Rachel semble aussi peu motivée que Louane par mon cours, mais j’insiste jusqu’à ce qu’elle plie. Je ne veux pas emmener dehors des femmes sans défenses. Tout le monde ici fait un peu de sport pour avoir de l’endurance. En opération, on peut vite être amenées à courir et il faut qu’elles puissent se mettre à l’abri rapidement. Autrement dit, notre salle de sport est plus fournie que notre cuisine.

— Je vous rejoins dans la salle, je vais me préparer un café, j’en ai bien besoin.

Demi-tour, direction la grande pièce de vie où se battent vieux canapés, fauteuils, tables, tabourets et chaises dépareillés. J’avoue qu’on fait avec les moyens du bord, l’essentiel étant que cette pièce qui nous sert de salle de réunion, salle à manger, salon, salle de classe, de jeux, …, soit accueillante. Tout un pan de mur est recouvert de dessins faits par les enfants. Quelques ados sont attablées, occupées à finir leur petit déjeuner. Je les salue en passant et m’engouffre dans la cuisine, où je trouve Olivier devant la cafetière. Son sourire charmeur fait son apparition lorsqu’il me voit. Il passe sa main libre dans ses cheveux noirs trop longs et m’adresse un regard moqueur, puis il attrape une tasse dans le placard en ricanant et me tend celle déjà pleine, que je récupère sans un mot.

— La nuit a été longue ? Des nouvelles de l’équipe ?

— Non, pas encore… J’espère ne pas avoir à en annoncer de mauvaises, soupiré-je après avoir vérifié qu’il n’y a personne dans la réserve. Rachel a raison, on a perdu trop de personnes…

— C’est un fait, mais aussi une réalité… soupire-t-il en attrapant une mèche de mes cheveux colorés de rouge pour l’enrouler autour de son index. On ne peut pas partir en guerre sans avoir des pertes, malheureusement.

Je grimace et ne peux m’empêcher de lui lancer un regard peu amène. Je sais qu’il a raison, mais chaque perte est un traumatisme pour le groupe, et j’ai peur que nous perdions Rachel si Myriam ne revient pas.

— Ce n’est pas parce qu’il doit y avoir des pertes qu’il faut s’y habituer. Chaque perte de notre côté mérite le double, le triple même, du leur, cinglé-je vivement.

— On n’en est pas là. En attendant, tu me réconfortes avec un petit bisou ? me taquine-t-il avec un sourire.

On n’en est pas là, mais mon cerveau est déjà en train d’imaginer où et quand frapper pour faire mal. Pas le choix, j’ai l’impression d’être née pour ça. Et je me battrai jusqu’au bout, en mémoire de mes parents. Je ne lâcherai rien tant que je ne tiendrai pas à nouveau Jeanne dans mes bras. Gaspard a beau vouloir me freiner, parfois, il est hors de question que je recule, je ne vis que pour ça depuis cinq ans.

Olivier se racle la gorge, le regard interrogateur, preuve que j’ai pris un peu trop de temps avec moi-même. Je pose ma tasse à côté de la cafetière, tire sur son tee-shirt pour nous rapprocher et presse mes lèvres contre les siennes. Olivier, c’est mon petit exutoire autant que je suis le sien. Si je n’avais pas dormi en salle des communications, j’aurais fini dans son lit pour décompresser. C’est souvent le cas également quand c’est lui qui sort et vit une situation stressante. Nous sommes sur la même longueur d’ondes : pas d’attaches, juste du sexe, du plaisir et une amitié un peu améliorée. C’est très bien ainsi, je n’ai pas le temps pour davantage, pas la tête à autre chose qu’un moment par-ci, par-là. Entre les Valkyries et le bar, mes jours et mes nuits sont déjà bien chargés.

En attendant, les mains baladeuses de mon amant dézippent ma veste sans manche pour se donner davantage de marge. Ses paumes passent sous mon pull pour se balader sur ma peau nue, et un frisson me parcourt lorsqu’il mordille ma lèvre inférieure tout en pinçant délicatement l’un de mes tétons. Merde, je n’ai absolument pas le temps pour ça, ce matin ! Et pourtant… j’en aurais bien besoin, mais aussi très envie.

Je sens son érection, qu’il presse contre mon ventre, et ma volonté s’envole lorsqu’il me hisse sur le plan de travail et s’insinue entre mes cuisses. Sa bouche quitte la mienne pour embrasser la peau douce sous mon oreille, et un gémissement m’échappe lorsqu’il agrippe ma chevelure de feu et tire dessus pour accéder davantage à mon cou qu’il mordille. Je n’ai aucune volonté… Je suis à deux doigts de le supplier de me prendre là, dans cette cuisine, à la vue de toute personne pouvant potentiellement entrer, quand j’entends mon talkie grésiller.

“Jasmine pour Lévana. Elles sont rentrées au bercail, je répète, elles sont rentrées au bercail.”

Un long soupir m’échappe et je pose mon front contre l’épaule d’Olivier, juste quelques secondes, le temps de réaliser. Un sourire s’est greffé sur mon visage et les yeux de mon amant pétillent de joie lorsque je me redresse. Je pose un baiser bruyant sur ses lèvres et saute du plan de travail.

— Il faut que je prévienne Rachel et les autres !

Je ne laisse pas le temps à Olivier de répondre, sors de la cuisine tout en décrochant le talkie de ma ceinture pour confirmer à Jasmine que j’ai bien reçu l’info, et me dirige vers la salle de sport. Bon, j’ai bu quelques gorgées à peine de café, mais cette fois je suis définitivement réveillée et prête à affronter cette nouvelle journée qui commence de la meilleure manière possible.

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