Chapitre 02
Le colérique et les mauviettes
Nal’ki
Il y a des jours où il vaudrait mieux rester au lit et aujourd’hui, clairement, c’est le cas. Rien ne va et ça ne va pas aller en s’arrangeant, vu la bêtise des hommes qui sont rassemblés dans cette salle de concert. Ils croient peut-être que je vais leur chanter un air d’opéra ? Ils sont fous, c’est certain. Ou pas très développés intellectuellement. Je parie que sans nous, ils seraient aujourd’hui à la botte de leurs épouses.
Je jette un œil aux drones qui stationnent au-dessus de nos têtes pour assurer la sécurité de la zone et me repasse le fil de ma journée avant d’entrer dans la salle. Elle a plutôt mal commencé, avec tout mon café renversé par terre. Cette planète est certes similaire à la nôtre, mais la gravité est un peu différente et ce type d’accidents est malheureusement trop fréquent. Et c’est vraiment dommage pour cette boisson noire et amère qui donne de l’énergie. On est des champions de la communication mais niveau nourriture et boissons, nous avons fait de belles découvertes. Je ne sais désormais même plus comment je faisais pour émerger avant de connaître le café !
J’ai ensuite reçu un message de mon oncle qui me demandait pourquoi je n’ai pas encore organisé la réunion qui va débuter dans quelques minutes. Il est marrant, lui, depuis son satellite à des kilomètres de notre réalité. Et j’ai galéré le reste du temps pour réunir tout ce petit monde. On dirait bien que l’explosion a causé plus de distractions qu’on le pensait.
Je prends mon courage à deux mains et pénètre dans l’enceinte, surpris de voir qu’il y une centaine d’hommes présents et qu’ils se lèvent tous quand ils m’aperçoivent. Des moutons… C’est mignon de les voir aussi obéissants. On dirait ces petits chatons qui font des malheurs sur les vidéos qu’ils se partagent, comme si ça avait un intérêt. Bref, je m’égare et il faut que je me concentre si je veux réussir cette réunion. Je m’avance dans l’allée centrale et suis une nouvelle fois surpris par la petite taille de tous ces humains. Comment ont-ils fait pour s’imposer parmi toutes les autres espèces avec aussi peu de force et de stature ? Dans toute l’assemblée, il doit n’y en avoir qu’un qui fait ma taille, tous les autres ont au moins dix à trente centimètres de moins que moi. Des petits cons, comme a dit ma femme de ménage, ce qui m’a bien fait rire.
Je salue à droite, à gauche, fais comme si je reconnaissais ces abrutis qui se ressemblent tous et hésite avant de monter sur scène. On n’est pas là pour faire un spectacle mais en même temps, monter me permet de montrer davantage ma supériorité. Je bondis d’un geste leste et me retrouve à les surplomber encore plus que d’ordinaire. Je constate que mes habituels gardes du corps ont pris place à côté de l’entrée. Je salue Maxim qui a sorti son arme alors que Verlox semble plus zen et s’amuse avec le capteur, sûrement pour étudier les contenus des appareils présents. Avec des protecteurs comme ça, je ne risque rien.
— Bonjour à tous. Merci d’avoir répondu à mon invitation, commencé-je d’une voix aussi forte que je peux.
Comme s’ils avaient eu le choix, pensé-je tout bas. Je suis sûr que s’ils avaient pu, ils seraient tous restés chez eux à commander bobonne et à s’amuser à faire les petits chefs.
— Je ne vais pas vous faire un grand discours, ni même vous menacer de représailles parce que vous savez déjà ce que vous risquez à ne pas vous soumettre à notre autorité. Et là, je vous avoue que je suis à deux doigts de demander à mes coéquipiers de vous exterminer pour montrer que ce n’est pas une petite explosion qui va nous faire partir. Nous sommes ici pour de bon, il va falloir vous y faire. Capice ?
J’aime utiliser ce mot depuis que j’ai vu un film avec un mafieux qui calmait tout son petit monde avec cette expression. Al Nal’ki, c’est comme ça que je devrais me faire appeler, tiens. En tout cas, c’est le silence qui me répond. Je sens qu’ils ont peur et je ne sais pas si ça me réjouit ou si ça m’attriste. Au moins, les femmes qui nous attaquent ont du courage, ce qui n’est évidemment pas leur cas. Si toute la planète avait été peuplée de Valkyries, je ne suis pas sûr que l’on aurait réussi à s’installer aussi facilement. Ils devraient en prendre de la graine plutôt que de se réjouir du fait que grâce à nous, ils commandent à la maison.
— Bon, je la fais pas trop longue pour ne pas fatiguer vos esprits déjà pas très vifs. Elles se cachent où, les Valkyries ? Et comment ça se fait qu’aucun de vous ne nous ait avertis de ce qui allait se passer ? Je vous préviens que si je n’ai pas de réponse, ça ne va pas plaire au Conseil là-haut, indiqué-je en levant brièvement les yeux au ciel. Alors, qui prend la parole et me donne quelques éclaircissements ?
Je sais que je surjoue la virilité et le côté méchant qui ne me correspondent pas totalement, mais bon, je joue un rôle, autant bien le faire et accentuer certains traits de ma personnalité, non ? Je les regarde tous, les yeux baissés, et me demande ce que je fais là. Pas un ne va parler, on dirait. Ça serait bien ma chance, tiens.
— Je fais comme avec les enfants ? Je compte jusqu’à trois et j’achève un de vous jusqu’à ce que les langues se délient ?
J’avise un homme qui s’est levé, un peu sur ma gauche, et lui fais signe de s’avancer.
— Nous ne sommes pas responsables de ce que font les Valkyries, lance-t-il faiblement, la voix peu assurée. Ici, nous vous respectons et obéissons, comment voulez-vous qu’on sache ce que font ces folles ?
— C’est tout ce que vous avez à me dire ? Vous pensez que je vais croire ça ? Si c’est pour me dire des fadaises comme ça, autant vous taire. Donc, je dois commencer à torturer qui pour avoir des réponses ? Je ne suis pas prêt à croire que vous n’avez aucun contact avec elles ou bien que vous ne savez rien sur elles. Elles font comment pour s’approvisionner sans votre aide ? Alors, parlez !
J’ai haussé le ton et leur passivité m’agace encore plus que d’habitude. Je fais signe à Maxim de s’avancer un peu.
— On va devoir commencer les choses sérieuses ? aboyé-je. Vous aimez bien les jeux de hasard, ici. On fait un tirage au sort pour savoir celui qui passera le premier à travers les balles de nos fusils ?
Toujours le même homme reprend la parole. C’est pas possible, ça. Ils n’en ont qu’un qui a du courage ?
— Peut-être que vous devriez interroger les femmes plutôt que nous ? suggère-t-il sans oser me regarder.
— Vous croyez qu’on n’a que ça à faire ? Et vous, vous servez à quoi si vous ne savez pas leur faire cracher le morceau ? Toi, là, qui prends la parole pour tes collègues, c’est quoi ton nom ? l’interrogé-je, ravi de voir qu’il se met à trembler alors qu’il est au centre de l’attention de toute l’assemblée.
— Sacha, bégaie-t-il, apeuré.
— Eh bien, Sacha, tu viens d’être promu responsable de l’information locale. Félicitations, me moqué-je. Tu as quarante-huit heures pour me ramener des éléments concrets. Tu vas les chercher où tu veux, auprès de ta bonniche de femme ou auprès de celle d’un de tes camarades, je me moque de tes méthodes, ce que je veux, c’est du résultat. Capice ?
— Je… je… je ne crois pas que je pourrai trouver quelque chose, Monsieur, nos femmes sont obéissantes.
— Eh bien, prépare ta succession alors. Quarante-huit heures pour des résultats, sinon ça sera le recyclage, asséné-je d’une voix forte, en référence à une romance que j’ai découverte il y a peu. La mort quoi, complété-je en voyant qu’il ne comprend rien à ce que je lui dis. La réunion est terminée, barrez-vous avant que je nomme des co-responsables.
Toujours s’attaquer aux leaders, c’est un principe qu’on nous enseigne et ça fonctionne bien. Pas un n’ose réagir et tout le monde s’écarte de ce Sacha que je pourrais presque admirer s’il n’était pas un simple humain. On dirait qu’il a une maladie contagieuse alors que tout ce qu’il a à faire, c’est me ramener des infos sur les Valkyries. Et s’il ne les amène pas, il faudra que j’aille les chercher moi-même. Je n’ai aucune idée sur où commencer mes recherches, mais je sais que les langues finiront par se délier. Un peu de cajoleries, des promesses que je ne tiendrai pas, des menaces que je mettrai à exécution et hop, ça marchera. Et dire que leurs épouses se soumettent à des gars comme ça. Incroyable quand même ce qu’un peu de persuasion, beaucoup de communication bien préparée et orientée peuvent faire. Cela me ferait presque sourire si ce n’était pas aussi pathétique.
Lorsque la salle s’est vidée, Maxim vient me voir, l’air contrarié, et je me dis que ma sale journée n’est pas encore terminée. Il presse son poignet contre le mien en m’offrant un hochement de tête plutôt sec.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Mon discours ne t’a pas plu ? Je n’ai pas été assez efficace à ton goût ? lui demandé-je en reprenant mon ton normal.
— Les menaces ne suffisent pas sur ces gens, tu aurais dû faire un exemple de l’un de ces dégonflés.
— Si on les élimine tous, on finira par devoir tout faire nous-mêmes, soupiré-je.
— Un mort de temps en temps ne fait pas de mal. Il y en a eu plusieurs de notre côté à cause des Valkyries, ces dernières semaines, poursuit-il plus bas, alors je pense que ces bons à rien le méritent.
— C’est clair qu’ils le méritent. Disons que c’était leur dernier avertissement avant qu’on ne se lance dans la phase suivante. Tu sais bien que j’ai toujours été plus modéré que toi… Ils ne savent pas la chance qu’ils ont de m’avoir comme responsable, les imbéciles. Promis, la prochaine fois, je te laisse utiliser ton joujou préféré, conclus-je en montrant son arme.
Je lui fais signe ainsi qu’à Verlox de me suivre et reprends le chemin de chez moi. Bien entendu, pour bien conclure cette belle journée, je marche dans une crotte d’un de leurs stupides amis à quatre pattes et jure sous le regard goguenard de mes coéquipiers. Heureusement pour les humains, aucun n’est à portée, sinon il aurait pris pour tous les autres. Vivement demain !
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