Chapitre 03

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La serveuse est occupée

Lévana

Je remonte la fermeture éclair de ma petite jupe en jean et repousse gentiment les mains baladeuses d’Olivier qui, encore nu comme un ver, va finir par me mettre en retard. Je sais qu’Aria, la petite sœur de Jasmine, assure jusqu’à mon arrivée, mais elle est seule, mon frère Gaspard n’étant pas encore rentré après la réunion à laquelle il a assisté cet après-midi.

Oli est un mauvais élève. Il aurait lui aussi dû s’y rendre, mais il a préféré toquer à la porte de mon appartement pour passer du bon temps. C’est plus ou moins un espion en carton, mais comment lui en vouloir alors que mon corps est encore bourré d’hormones du plaisir ?

— Tu crois que leur réunion s’éternise, ou il est passé faire un débrief en dessous ?

J’avoue que ne pas voir mon frère revenir me stresse un peu. Nos envahisseurs sont plutôt imprévisibles, parfois sur les dents et impulsifs, même si certains sont plus arrangeants. Il y a fort à parier que la dernière action des Valkyries a mis leurs nerfs à rude épreuve, mais j’espère qu’ils ne vont pas se venger sur les hommes, quand bien même certains mériteraient nombre de souffrances vu la façon dont ils traitent leurs femmes.

— Je crois surtout que j’ai passé un meilleur moment que lui, pouffe-t-il en se frottant contre moi. Et ne t’inquiète pas pour ton frère, il doit être passé en dessous, oui. Comme moi tout à l’heure !

Quel obsédé ! Je ricane malgré sa blague plutôt lourde et enfile mon débardeur avant de nouer mes cheveux encore humides de la douche en un chignon lâche. Olivier finit par enfiler son boxer et quitte la chambre pendant que je termine de me maquiller. Je le retrouve finalement dans la cuisine, prête à descendre bosser.

— Fais comme chez toi, surtout, ris-je en lui piquant la fin de son sandwich. Et tu aurais pu me préparer quelque chose, homme !

— C’est censé être chez moi, je te rappelle. Et tu es celle qui aurait dû me préparer à manger alors calme tes nerfs ou je vais me fâcher.

Je ris même si ce n’est pas bien drôle. Je ne me plains pas de ma situation actuelle, Oli et Gaspard faisant partie de la résistance. Cela signifie que j’ai encore le droit de vivre ma vie comme je l’entends, même si c’est cachée, que je n’ai pas besoin d’être leur bonniche – pardon, de prendre soin d’eux et d’accéder à leur moindre demande dans l’intérêt de la famille – et surtout, ils sont des alliés de choix au quotidien, infiltrés parmi les hommes. Olivier et moi sommes soi-disant mariés, c’est du moins officiellement notre statut pour tout ce petit monde qui gravite à la surface. Dans la réalité, on prend notre pied ensemble et il retourne dormir à côté, dans l’appartement qu’il occupe, en colocation avec mon frère.

— J’y penserai. En attendant, j’ai bien l’impression que tu te fais marcher sur les pieds par ta femme. Je t’ai ordonné de me faire jouir et tu l’as fait, gloussé-je.

— C’est ça, la vraie domination. C’est quand on se soumet pour obtenir ce que l’on veut. Tu as toi aussi exaucé tous mes souhaits, on dirait !

Je n’ai pas le temps de lui répondre que nous entendons toquer contre le mur mitoyen entre nos appartements. Mon frère pousse la porte cachée par une bibliothèque et se laisse tomber sur mon canapé à peine l’a-t-il refermée.

— Alors, comment ça s’est passé ? lui demandé-je alors qu’il grimace en voyant Olivier en sous-vêtement.

— Je vois qu’il y en a certains qui ont une notion de la rébellion un peu différente de la mienne, grogne-t-il avant de se tourner vers moi. Ils sont fâchés, les E.T. Ils ont désigné Sacha pour qu’il les renseigne sur les Valkyries. Sinon… Boum ! rigole-t-il. J’ai presque eu peur.

— Sacha ? Oulah… Il faut qu’on fabrique quelques preuves à leur fournir… Tu crois que les filles vont être d’accord pour aller jusqu’à balancer une de nos planques vidée pour lui éviter la mort ? Parce que j’imagine que c’est la menace ultime ?

— Sûrement, oui. Le grand brun barbu avait l’air vraiment en colère. Tu crois que ça sert à quelque chose de balancer une vieille planque ? Ils ne vont pas abandonner aussi facilement que ça, je pense.

Le grand brun barbu. Je ris à cette description qui pourrait correspondre à un bon tiers de la population alien qui nous a envahis, bien que je comprenne de qui il s’agit. Ce genre de “réunion”, si on peut l’appeler ainsi, est toujours dirigée par le grand manitou de la zone, le fameux Nal’ki, dont on entend plus souvent parler qu’on le voit, dans le coin.

— Sacha ne sait rien, si on ne lui donne pas un peu de biscuit, la grande tige et son pote ne vont pas hésiter à l’achever… Il a trois gosses, on ne peut pas laisser faire sans tenter quoi que ce soit. On peut falsifier deux ou trois trucs histoire de les pousser à chercher là où nous ne sommes pas, les envoyer sur de fausses pistes. Il faut qu’on se réunisse au plus vite pour en discuter. Je vais aller bosser, tu peux t’occuper d’organiser ça avant de me rejoindre ?

— On n’a que quarante-huit heures, il ne faut pas traîner. Tu vas aller bosser habillée comme ça, toi ? Je sais bien que tu couches avec celui qui prétend être ton mari pour que tu sois tranquille mais quand même, c’est pas une tenue pour sortir, ça, si ?

Je jette un œil à Olivier qui me semble un peu plus occupé à reluquer mon postérieur qu’à juger du reste. Gaspard me fait souvent cette réflexion, mais ce genre de tenue me permet de traîner autour des tables en captant l’attention de ces messieurs, qui se montrent moins vigilants et parfois plus bavards. Comme Olivier descend rarement au bar pour bosser, j’ai le champ libre pour intervenir sans que mon “mari” soit obligé de marquer son territoire et de prouver qu’il me discipline.

— Il est content de pouvoir me les enlever alors que d’autres ont rêvé de le faire pendant la soirée, tu vois ? Ton pote est un pervers, tu n’imagines même pas.

— Wow, tu veux ma mort ou quoi ? s’insurge l’intéressé alors que mon frère grommelle.

— Pas encore, non, je crois qu’on a encore des moments bien sympas à vivre, ça m’ennuierait que Gaspard te torde le cou si tôt !

— Eh bien, Gaspard, sois sage ou je divorce et tu verras ta sœur se soumettre à un autre mari plus patriarcal que moi. Te voilà prévenu.

— Je plains le gars, s’esclaffe mon frère en se levant. Une nana à problèmes, personne ne voudra d’elle suffisamment longtemps pour même envisager un mariage.

— Ben voyons ! C’est bon, t’as fini ? grogné-je. Allez, tirez-vous de chez moi, je vais bosser. Et habille-toi, toi, bon sang !

Je profite du passage d’Olivier dans mon espace vital pour lui claquer la fesse gauche, ce qui le fait éclater de rire. Mon frangin lève les yeux au ciel et prend cette fois la sortie officielle de mon appartement. Nul doute qu’il va descendre au souterrain pour organiser une réunion avec les filles. Nous sommes cinq personnes plus ou moins dirigeantes du groupe des Valkyries. Jasmine et Myriam font partie de l’équipe et sont les plus posées, les moins vindicatives, celles qui pensent avant d’agir et envisagent toutes les possibilités. Avec Fatou, nous sommes les plus impulsives. On réfléchit, oui, évidemment, mais si l’on s’écoutait, on serait sur tous les coups, on agirait à l’arrache, quitte à se faire voir parce qu’on n’aura pas analysé le terrain d’intervention, quitte à devoir fuir, ou pire, à devoir affronter les mâles alpha et leurs protecteurs venus d’ailleurs. Et puis il reste Gaspard, le numéro cinq, représentant des hommes fidèles à la cause au passage. Il temporise, globalement, et est un atout de choix quand il faut s’infiltrer.

Quand j’arrive au bar, il y a une certaine effervescence peu habituelle à cette heure. D’ordinaire, les hommes viennent après dîner et me font fermer à pas d’heure parce qu’ils boivent comme des trous et demandent à leur femme de venir les récupérer. Ce soir, c’est réunion informelle et Aria, la frangine de Jasmine, semble au bord du burn out. Je n’ai pas le temps de souffler qu’il faut déjà bosser. Il nous faut une bonne demi-heure pour finalement nous retrouver derrière le bar durant quelques secondes, et j’en profite pour nous servir deux grands verres d’eau en rageant. Ils ont ramené les tables de l’extérieur et les ont toutes rassemblées pour se faire une réunion entre humains porteurs de couilles suite à leur remontage de bretelles de cet après-midi. J’en rirais presque de les voir vindicatifs alors que je sais qu’ils la bouclent tous lorsqu’ils sont face au grand manitou, se pissant presque dessus de peur d’être pris à partie. Le pire, c’est qu’ils ne remettront rien en place et que je vais me péter le dos à tout ranger.

— Tu peux y aller, Aria. Merci d’être restée un peu, mais Gaspard ne devrait pas tarder et tu as fait tes heures. En plus, il va bientôt faire nuit, je préfère que tu rentres de jour.

J’appuie sur l’interrupteur pour allumer les différents éclairages et branche la multiprise des rideaux de guirlandes lumineuses accrochées sur les vitres de la devanture. J’adore ce bar, ma mère s’est saignée pour le décorer, en faire un endroit cocooning, chaleureux et intimiste. Je me sens bien dans ce lieu, et ce, même quand un petit groupe de nos envahisseurs entre et s’installe au bar. Evidemment, les hommes baissent la voix, ayant eux aussi repéré qu’il ne s’agit pas de personnes de notre espèce.

Si ces extraterrestres ont une allure humaine, il n’est pas bien difficile de les différencier de nous malgré tout. Déjà, ils ont une façon de nous observer particulière, toujours très intense, presque intimidante. En dehors de ça, ils font tous une à deux têtes de plus que les hommes d’ici. Ce sont des géants. Dire que je trouvais que mon professeur de sport en primaire était grand avec son mètre quatre-vingts, aujourd’hui je le trouverais sans doute petit ! Et puis, il y a ces lignes tracées sur leurs mains. Des arabesques noires qui s’enroulent autour de certains de leurs doigts, de leurs poignets, et qui scintillent dans le noir. La première fois que j’ai vu ce phénomène, un soir en sortant du bar où j’avais fait la fermeture, je n’ai pu détourner les yeux des mains de l’alien qui discutait sur le trottoir avec un homme, trouvant ça vraiment irréel. C’était juste magique, pour moi, de la science-fiction. Mais bon, tout devient possible quand on a la preuve que la vie existe ailleurs. Qui aurait pu penser que sur une autre planète, dans une autre galaxie, ces foutus mâles se croiraient eux aussi supérieurs parce qu’ils ont une paire de couilles ?

— Qu’est-ce que je vous sers ? demandé-je aux quatre tiges qui observent le groupe d’hommes de manière peu discrète.

Eux ne prennent que des alcools forts et j’ai l’impression que c’est comme s’ils buvaient du lait. Il faut croire qu’il n’y a pas que nos peaux qui sont différentes, ils doivent avoir un foie de compétition. Je n’en ai jamais vu un seul ivre, alors que certains boivent plus qu’ils ne parlent. C’est plutôt impressionnant et rageant. Nous en sommes venus à la conclusion que l’on ne pourrait pas les droguer si besoin, histoire d’endormir un ou deux gardes pour une occasion spéciale. Ni les faire boire pour qu’ils parlent… alors qu’il suffit que certains ici avalent deux whiskys pour être plus bavards que mon père pouvait l’être derrière son bar.

— Mets-nous de la vodka, c’est une boisson qui nous fait du bien, me répond un blond après m’avoir dévisagée.

J’acquiesce et les sers rapidement, me concentrant sur la chanson qui passe à la radio pour ne pas penser à autre chose. Avec ces types, on ne sait jamais… Mieux vaut se blinder le cerveau, et tout ce qui marche, pour moi, c’est la musique. Voilà pourquoi il y a toujours un fond sonore ici. Aucune envie que l’un d’eux sache à quoi je pense réellement.

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