Chapitre 06
Un accueil critiqué
Nal’ki
Je regarde la navette atterrir au milieu de la pelouse de ma maison. Mon oncle aurait pu prendre la navette officielle, arriver dans les lieux prévus à cet effet mais non, ce serait trop lui demander de faire comme les autres. Et donc il débarque, là, sous le regard étonné des humains qui ne sont pas habitués à ce genre de spectacle. Qui croit-il impressionner avec cette attitude ? Et pourquoi ce besoin de toujours se faire remarquer ? Si j’en crois Verlox qui a vu ça dans une émission de télévision, ce serait parce que sa mère ne l’a pas assez aimé quand il était petit. Ridicule idée mais ça m’a fait sourire, au moins.
Lorsque le moteur s’éteint et que le calme revient, je m’avance vers le véhicule interstellaire et attends patiemment que les pilotes terminent les dernières vérifications. Maintenant que le raffut est terminé, je peux à nouveau profiter du chant des oiseaux et du bruit du vent. C’est un des grands points forts de cette planète que nous n’avions pas chez nous. J’adore ces petits volatiles. Les humains à qui j’ai parlé m’ont dit qu’il y en avait beaucoup plus auparavant mais j’ai du mal à le croire. Il y en a déjà partout et de toutes les tailles, de toutes les couleurs. Quel plaisir de pouvoir apprécier leur présence !
La porte s’ouvre enfin et mon oncle apparaît à l’embrasure. Il a l’air déçu de ne voir que moi pour l’accueillir. Je crois qu’il se prend trop pour le très grand manitou, lui, pour reprendre le terme dont m’affublent les locaux. Il est certes dans le commandement mais fait partie d’un Directoire où tout le monde a le même poids. Et s’il avait voulu une arrivée avec les honneurs dûs à son rang, il aurait pu prévenir avant et organiser les choses. Là, il devra s’estimer heureux d’avoir un repas. La plateforme où il avance descend lentement vers le sol et, en grand faux-cul qu’il est, il ouvre les bras et vient me serrer contre lui avant de procéder au salut plus rituel où nos poignets se retrouvent en contact. Durant ce bref instant, je sais que nos implants communiquent et s’échangent des informations enregistrées depuis notre dernière rencontre. Lorsque nous en avons besoin, nous pouvons y accéder même s’il faut pour cela aller les interroger. Je ne comprends pas que nos chercheurs n’aient pas encore trouvé une manière plus pratique de faire. Trop occupés à faire la guerre ? Ou alors, expérimenter avec des femmes locales en secret leur prend plus de temps que prévu ? Qui sait ?
— Bonjour Lorkan. Tu as fait bon voyage ? demandé-je sans l’attaquer tout de suite sur le réel motif de son voyage que je ne connais pas encore.
— Excellent, merci. Comment va la zone ?
— Ça n'a pas changé depuis que tu as décollé il y a deux heures, soupiré-je. Tu veux que je te dise quoi ? Que tout est tranquille ? Non, ce n’est pas le cas. Que l’on sait pourquoi il y a tant d’agitation ici et pas dans les autres zones ? Je ne le sais pas. Tu es venu pour me faire la morale ?
— Je suis venu passer un moment avec toi. Est-ce si difficile à imaginer ?
Ça l'est, oui. Il ne pense à sa famille que quand ça lui apporte quelque chose politiquement. Mais j’ai été bien élevé et je suis son hôte aujourd’hui, je vais donc rester poli.
— Non, non, excuse-moi, je suis un peu tendu, je n’ai pas eu le temps de faire mes longueurs dans la piscine, ce matin.
Je mens mais ça, il ne peut pas le savoir. C’est lui qui m’exaspère, mais ma réponse semble lui convenir car il sourit et m’emboîte le pas pour pénétrer dans la maison que j’occupe. J’ai encore du mal à dire “ma” maison, même si ça l’est devenu, de fait, depuis notre arrivée sur Terre.
— Je suppose qu’il va aussi falloir nourrir l’équipage ? demandé-je alors que Gabrielle, mon employée de maison, vient récupérer son manteau.
— Ils dîneront avec ton garde du corps, j’imagine qu’elle prépare à manger pour tout le monde, me rétorque-t-il en jetant un regard dédaigneux à Gabrielle.
— Oui, bien sûr, même si elle n’avait sûrement pas prévu de nourrir la moitié d’une armée. Gabrielle, vous avez entendu ? Il faut aussi vous occuper de l’équipage de Monseigneur.
C’est marrant comme ce mot me revient en tête quand je parle de mon oncle. C’est la jolie serveuse au bar qui l’a utilisé. Je suis sûr qu’elle se moquait de moi comme je suis en train de le faire avec mon oncle. Je la comprends un peu mieux aujourd'hui. Le fait d’être dans une situation d’infériorité pousse à tirer son avantage là où on le peut.
— Bien Monsieur, ce sera fait rapidement. Souhaitez-vous un apéritif ?
— Comme d’habitude, Gabrielle. Mais pas pour l’équipage de mon oncle. Vous ne pouvez pas être au four et au moulin.
— Entendu.
Je la regarde s’éloigner, étonné de sa docilité. Elle semble apprécier son travail et je me demande ce qui a amené cette quadragénaire à se proposer pour servir dans cette maison. Elle était là quand je suis arrivé et m’a accueilli en me demandant ce dont j’avais besoin. J’étais surpris au départ mais je me suis vite fait à l’idée de l’avoir à mon service six jours sur sept. C’est agréable de ne pas avoir à penser à tout ce qui fait le quotidien. Et je lui fais confiance depuis que son mari a été tué par une attaque des Valkyries. Elle ne peut que vouloir leur disparition.
— Je suis toujours étonné de voir comme tu l’as bien dressée, celle-ci. Elle ne se rebelle jamais, du moins quand je viens te voir. C’est agréable. Je devrais peut-être te la prendre, j’ai besoin de personnel de confiance.
— Je ne suis pas sûr qu’elle soit aussi docile si tu l’emmènes loin de sa planète. La vie dans l’espace n’est pas faite pour tout le monde. Tu ne sais même pas si elle a une famille ou des amis ici qui lui manqueraient.
D’ailleurs, je ne sais pas non plus s’il lui reste de la famille mais je n’ai pas envie qu’il me vole cette perle qui me permet de vivre sans souci dans cette grande maison. J’indique à mon oncle de me suivre dans la salle à manger à l’étage et l’écoute alors que nous gravissons les escaliers.
— Qu’est-ce que ça peut bien faire ? Si j’ai envie de l’avoir, je la prends, c’est comme ça avec les femelles d’ici. Je ne crois pas que le code d’honneur que nous avons concernant les nôtres soit valable, encore moins pour une servante.
— Je me suis habitué à elle et je n’ai pas envie de te la céder. Change donc de sujet, Lorkan, et dis-moi ce que tu es venu chercher. Depuis le raid sur l’épicerie, nous n’avons eu que des escarmouches. La situation est gérée, non ?
— Que donne la surveillance de l’épicerie ? Et de ce Sacha ? Est-ce que l’analyse du matériel a donné quelque chose ? Tu dispenses les informations au compte goutte, ils n’aiment pas trop ça, là haut.
— Je ne dispense que les informations en ma possession. S’il n’y en a pas assez, c’est peut-être qu’il n’y a rien à dire ? Tout ce que je sais, c’est que le matériel trouvé dans l’épicerie ne correspond pas à celui utilisé dans les dernières explosions. Par conséquent, on doit continuer la surveillance. Quelqu’un finira bien par évoquer quelque chose, on contrôle toutes les communications quand même.
— Donc tu t’es fait avoir, marmonne-t-il en reluquant sans discrétion Gabrielle lorsqu’elle dépose sur la table des amuse-bouches et deux verres.
Nous nous asseyons chacun d’un côté de la table ronde et je m’arrange pour me positionner face à la rosace qui surplombe le comptoir. J’adore la vue et cela me permettra de m’évader discrètement lorsque mon oncle partira dans une de ses diatribes.
— Je sais, Lorkan. Mais ça a calmé les Valkyries, cette opération. C’est déjà ça, non ? Je pouvais difficilement obtenir plus, malheureusement.
— En attendant, elles sont toujours là, cachées dans l’ombre, et je doute qu’elles restent calmes bien longtemps. Il faut qu’on coupe la tête du serpent, Nal’ki, avant que l’un de nous ne soit leur victime.
Nous sommes à nouveau interrompus par Gabrielle qui ramène un plat en sauce avec des pommes de terre sautées qui ne semblent pas au goût de mon oncle.
— Qu’est-ce que c’est que ce vieux ragoût ? Pourquoi pas m’offrir une soupe à l’oignon, tant que tu y es ? cingle-t-il en grimaçant, faisant frémir mon intendante. Des mets plus raffinés auraient été appréciés. L’accueil laisse à désirer ici ! File donc ça aux autres et prépare-nous quelque chose de plus élégant et goûteux. Et vite !
Mon employée me regarde afin de savoir ce que je désire. On voit que c’est à moi qu’elle obéit, pas à mon oncle, ce qui semble l’énerver encore davantage.
— Non, c’est bon comme ça. La prochaine fois, tu préviendras à l’avance et tu me feras ta commande. Tu verras, le ragoût est excellent et très nourrissant. Et Gabrielle a déjà assez à faire avec tous ceux que tu as ramenés dans ton sillage. Capice ?
Oui, j’utilise aussi cette phrase fétiche avec mon oncle qui n’a bien entendu pas la référence.
— Tu défends ta servante ? A quoi sert-elle si ce n’est à nous satisfaire ? Je n’ai aucune envie de manger ce truc, je ne demande pas l’impossible non plus !
— Gabrielle, pouvez-vous ramener autre chose à mon oncle ? finis-je par dire après un silence court mais pesant. Quoi que ce soit, il le mangera ou partira d’ici en ayant faim. Il doit rester un peu de votre merveilleux poulet d’hier.
Je sais que je donne l’impression de céder à ses caprices mais il m’a fait peur avec sa référence sur la satisfaction qu’elle nous doit. Je n’ai pas envie de le voir poser ses sales pattes sur mon employée et c’est le seul moyen que j’ai trouvé de l’éloigner. En attendant, je vais essayer de détourner son attention en lui demandant de parler de notre bonne vieille planète. Je sais que ça fonctionne toujours avec lui et j’espère que le poulet sera à son goût. Il faudra bien ça pour éviter un triste sort à Gabrielle.
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