Chapitre 10

9 minutes de lecture

Balivernes de faibles

Nal’ki

— Je vous assure que vous devez mener l’enquête, cette femme est dangereuse ! Elle menace l’ordre public et je suis sûr que c’est une Valkyrie !

Je soupire et me demande si ce qu’il dit peut être vrai ou pas. Depuis que l’annonce de la récompense est parue, c’est un vrai défilé chez moi qui m’empêche de faire quoi que ce soit d’autre.

— Vous me parlez bien de votre épouse ? C’est surprenant de venir ainsi la dénoncer, non ? Vous avez des preuves ?

Je me demande quelle histoire il va inventer. Depuis ce matin, j’ai tout entendu mais rien de sérieux, rien de concret. Je fais mine de m’intéresser à ce que le grand brun barbu en face de moi me raconte. Et je réfléchis déjà à ce que je vais lui répondre quand il aura fini de me bonimenter.

— Elle passe toujours trois plombes aux courses, elle va boire un verre au bar dès qu’elle le peut, toujours avec les mêmes femmes, et elle se rebelle de plus en plus à la maison. Je suis certain qu’elle s’est faite embarquer par ces folles.

— Elle se rebelle à la maison ? demandé-je, intrigué. Et vous vous laissez faire ?

Ce n’est pas bien, je devrais le renvoyer chez lui avec la menace de sanction s’il continue à nous faire perdre notre temps mais il m’intrigue et m’amuse. J’ai envie qu’il se rabaisse encore un peu avant de le congédier.

— Quoi ? Non, bien sûr que non ! Mais… je ne vais quand même pas battre ma femme ! Enfin… sans certitude qu’elle fait partie des Valkyries, je ne peux pas… C’est la mère de mes enfants, quand même, vous comprenez ?

— Ah oui, je vois, vous êtes un homme de valeur, commencé-je alors qu’il se redresse et bombe légèrement le torse suite à mon compliment. Vous dénoncez la mère de vos enfants, faisant fi de tout ce que vous vous êtes promis pendant le mariage. Quel homme ! raillé-je, sarcastique.

Je le vois me regarder, incertain. Cet homme n’est vraiment pas un cerveau. Et vu comment il se présente à moi, il n’a rien non plus entre les jambes. Avec des hommes comme ça, les femmes terriennes sont bien malheureuses, je pense.

— Et donc, continué-je, en la dénonçant, vous voulez priver vos enfants d’une mère ou bien c’est vous qui souhaitez vous mettre à la cuisine et au ménage ? A moins que vous ayez une autre bonniche en tête pour remplacer l’ancienne ?

— Je… hésite-t-il, bafouillant. Je veux juste servir la cause, je vous assure. J’ai des doutes quant à son honnêteté, je me dis que vous pourrez en savoir plus sur ses agissements que moi.

— Vous croyez vraiment que je n’ai que ça à faire ? aboyé-je, le faisant se reculer un peu. Des amis à moi ont été gravement blessés et vous pensez que j’ai le temps d’enquêter sur votre femme parce que vous ne savez pas la satisfaire au lit ? Déguerpissez d’ici avant que je ne vous fasse arrêter pour tentative de sabordage de l’enquête !

Je rirais presque de le voir se carapater avec autant de célérité s’il n’était pas aussi pathétique. Je suis même obligé de retenir le robot de surveillance qui a dû croire qu’il tentait de fuir après une embrouille, et j’évite ainsi qu’il soit immobilisé. A regrets, j’avoue, mais j’ai déjà assez perdu de temps comme ça. Je préfère me concentrer sur la liste que m’a fait parvenir Verlox sur les femmes blessées qui ont été recensées par les différentes patrouilles. Je l’interpelle sur notre canal de discussion.

— Ne me dis pas que toutes ces femmes sont des Valkyries, quand même ? m’étonné-je. Il y a vraiment autant de femmes qui ont des blessures ?

— Certaines travaillent aux usines ou ont des activités qui peuvent amener leur lot de blessures. Après, certains hommes ont aussi la main leste avec leur épouse.

— Et comment on fait, alors, pour trouver celles qui ont participé à l’attaque ? On ne va pas pouvoir vérifier les récits et explications de toutes ces femmes, si ?

— J’ai suivi les ordres, je ne peux pas avoir tous les détails quant à leurs blessures. Peut-être… peut-être qu’on devrait essayer d’en savoir plus et faire surveiller celles qui nous semblent être potentiellement dans l’autre camp.

Serait-ce une remise en question de mes ordres de sa part aussi ? Maxim ne s’est pas fait prier pour le faire et on dirait qu’il a convaincu pas mal d’autres que je ne prenais pas les bonnes décisions.

— Et comment fait-on pour savoir celles qui sont potentiellement dans l’autre camp ? Elles le sont toutes, non ? m’agacé-je en parcourant la liste des yeux.

— Certaines sont bien dociles, d’autres ne me donnent pas confiance. Les dernières de la liste sont celles qui me posent question. Elles ne baissent pas les yeux, ont le regard fier en général, mais ce n’est que mon ressenti.

— Ouais eh bien, arrête avec tes ressentis. Tu n’es pas un humain, je te rappelle. Nous, on a la science et la technologie avec nous, alors ramène-moi des preuves. Je te recontacte très vite, alors essaie d’avoir des résultats.

Je coupe la communication sans lui laisser le temps de râler ou de se plaindre de la façon dont je le traite. Je sais que je suis injuste mais tant pis pour lui, il n’avait qu’à pas me remettre en cause. Je fais ce que je peux et ce n’est pas ma faute si je suis tombé sur le secteur le plus compliqué. Ou alors, ils ont raison et je ne suis pas assez sévère, ce qui expliquerait que la rébellion soit si forte ? Il faut que j’arrête de me poser toutes ces questions. Je vais plutôt retourner au bar et discuter avec la serveuse dont j’ai vu le nom sur la liste. A la fin, bien entendu, parmi les potentielles rebelles. Ce serait surprenant, je n’ai pas du tout senti d’animosité à notre égard de sa part, même si c’est vrai qu’elle s’affirme. Cela ne coûte rien d’aller vérifier. Et puis, ça me changera les idées de tous ces hommes qui veulent qu’on les débarrasse de leurs femmes !

Lorsque je pousse la porte d’entrée du bar, comme d’habitude, tout le monde s’arrête de parler. Je me fais la réflexion que j’aurais mieux fait de venir avec un garde du corps mais me dis que personne n’oserait rien contre moi, en public. J’aime bien cet endroit malgré cet accueil peu chaleureux. Le bar est vraiment bien agencé et il y a différents espaces qui sont tous aussi invitants les uns que les autres, le tout avec des touches de verdure qui agrémentent la salle. Sur ma gauche, il y a des fauteuils confortables et un canapé en tissu qui est déjà occupé par une bande de jeunes hommes qui me dévisagent en silence. Un peu plus loin, les tables sont entourées de chaises en tissu. Beaucoup sont occupées et à chaque fois, les mêmes regards, mi-hostiles, mi-interrogatifs sur la raison de ma venue ici. Je n’ai pas envie de me confronter à eux et choisis de m’installer au bar, sur un des tabourets hauts. Je tourne ainsi le dos à la majorité des présents, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux pour ma sécurité mais je m’en moque, ce soir. Je suis fatigué de me retrouver face à tant de bassesse et la vue qui s’offre à moi derrière le bar est bien plus agréable. La jolie serveuse est là et je souris alors qu’elle s’approche pour prendre ma commande. Elle porte un jean bien moulant et une chemise rouge dont elle n’a pas fermé les derniers boutons. Vraiment un joli petit bout de femme, il n’y a pas à dire !

— Monseigneur, qu’est-ce que je vous sers aujourd’hui ? me demande-t-elle avec un sourire qui me semble un peu forcé, aujourd’hui.

— Je crois que je vais avoir besoin de ce que vous avez de plus fort, ce soir. Qui sait ? Cela me permettra peut-être d’en ressentir les effets ? N’hésitez pas à faire des mélanges. Et pour information, je ne suis toujours pas un Monseigneur.

— Vous auriez dû faire un petit voyage en Bolivie, c’est là-bas que se trouve l’alcool le plus fort. Mauvais pays, mauvaise zone, Monsieur. Qui sait, avec quelques verres de Cocoroco, peut-être que vous pourriez au moins vous sentir un peu étourdi ? Je vais voir ce que je peux vous préparer de buvable…

Je consulte ma base de données et constate en effet que ce Cocoroco est considéré comme passable par le responsable de la zone où il est commercialisé. Il va vraiment falloir qu’on fasse quelque chose si on veut oublier ses problèmes du quotidien. J’observe la serveuse prendre un verre et le poser sur le bar avant de se pencher pour récupérer des bouteilles dans une armoire près du sol. Je ne suis pas le seul à en profiter pour mater la vue qu’elle nous offre ainsi et je ne manque pas la grimace qu’elle fait lorsqu’elle penche une des bouteilles pour remplir mon verre.

— Vous êtes blessée ? On dirait que vous avez mal au poignet. Mes sources disaient donc vrai, on dirait, l’apostrophé-je alors qu’elle repose la bouteille.

Je ne sais pas si elle cille parce que je lui pose une question ou si c’est en raison de la douleur qu’elle doit ressentir. En tout cas, elle plonge son regard dans le mien avant de répondre et cela me coupe un peu la parole tellement j’ai l’impression qu’elle me transperce. Elle a des yeux revolver, dit une chanson ici, il me semble, et là, c’est vraiment le cas.

— Vos sources ? Grand bien leur fasse ! Dites-moi, m’ont-elles vue trébucher dans l’escalier en portant une caisse de vodka hier matin, pour vous informer que j’ai mal au poignet ? Parce que si c’est le cas, aucune d’elles n’a eu la bonne idée de se bouger le cul pour m’aider.

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai du mal à la croire et me demande si elle pourrait vraiment être une Valkyrie ou pas. Elle n’hésite pas à répondre et elle le fait de manière trop assurée à mon goût.

— Vous avez cassé combien de bouteilles en tombant ? Vous ne vous êtes fait mal qu’au poignet ? demandé-je pour creuser un peu la question.

— Vous voulez voir tous mes bleus, peut-être ? J’en ai un juste ici, poursuit-elle en me tournant le dos et en pointant sa fesse droite de l’index. Et ma tête a cogné contre la rambarde en bois. Une autre question, Monseigneur ?

Peut-être que ça ne serait pas désagréable d’examiner tout son corps, surtout ce magnifique cul, mais son attitude irrévérencieuse m’agace prodigieusement.

— Non, ça ira. Et je vous ai dit de ne pas m’appeler Monseigneur, grogné-je. Faites attention dans les escaliers la prochaine fois, on pourrait facilement vous prendre pour une Valkyrie avec cette attitude que vous affichez si fièrement. Il y a des maris qui ont dénoncé leur femme pour moins que ça, j’en suis le témoin malgré moi.

— Toutes les femmes qui ont un minimum de caractère ne sont pas des Valkyries, vous en avez conscience ? Mais je vous remercie, je prends ça pour un compliment, peu importe ce que vous pouvez penser d’elles. Ces femmes ont le courage de ne pas se laisser marcher sur les pieds, contrairement à ces maris qui dénoncent leurs épouses parce qu’ils ont peur qu’elles prennent le pouvoir à la maison. Mais vous voulez savoir une chose, Nal’ki ? Dans le fond, elles ont le pouvoir, parce que nos hommes ne pensent qu’à eux et à leur service trois pièces. Pour du sexe, beaucoup sont capables de tout ou presque et c’est comme ça que nous, pauvres femmes à leur service, nous leur imposons certaines choses dans la chaleur de notre chez-nous. Peu importe votre discours, la réalité n’est ni toute blanche, ni toute noire. On a tous un peu de Valkyries en nous, je crois…

Wow, j’ai touché une corde sensible, là, on dirait. Elle m’a lâché tout ça d’une traite, vindicative et passionnée. Je ne sais pas si je dois l’engueuler pour ses provocations ou l’applaudir pour oser parler ainsi à ce Monseigneur que je suis pour elle. Je me contente de hausser les sourcils afin de marquer l’incrédulité que je ressens face à sa tirade, et je suis satisfait de la voir rougir jusqu’à ses oreilles. Elle se détourne pour aller s’occuper d’un autre client et je la suis des yeux, me demandant pourquoi c’est face à moi que se déclenchent toutes les oppositions. Est-ce que j’apparais vraiment si faible que ça pour qu’on ose ainsi tout le temps me provoquer ?

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0