Chapitre 11

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Madame Provoc’

Lévana

Je dépose devant lui son cocktail bien corsé sans plus oser le regarder dans les yeux. Qu’est-ce qui m’a pris de balancer tout ça comme si je posais mes tripes sur le bar ? J’ai fait n’importe quoi. Comme si je n’étais qu’une boule d’émotions, incapable de me retenir de quoi que ce soit et surtout pas de balancer mes émotions au grand manitou de la zone. A ce tarif-là, autant me mettre debout sur le bar et crier que je suis une Valkyrie, ou m’asseoir face à lui et lui dire de lire dans mes pensées. Quelle nouille ! Il faut vraiment que je bosse sur ma spontanéité !

Heureusement pour moi, il se passe un moment durant lequel je fais nombre d’allers-retours en salle, luttant contre ma douleur au poignet et la fatigue qui semble vouloir m’engloutir. J’avoue que je n’en mène pas large. Est-ce que je suis démasquée ? Si ça se trouve, d’ici peu, une patrouille va débarquer et m’emmener. Ou bien, il attend la fermeture du bar et va me supprimer dès que le dernier client sera parti ou à la seconde où je serai dans la rue. Peut-être qu’il compte m’interroger, me torturer pour obtenir des réponses. Merde, il faut que je recentre mes pensées sur le moment présent et cette vieille chanson d’un groupe que mes parents aimaient beaucoup, Imagine Dragons. Oui, voilà, on se calme, on inspire, on chantonne et on sourit. Facile à dire ou à penser alors que je sens le regard pesant de Nal’ki posé sur moi.

— Je vous ressers un verre ou je vous encaisse ? lui demandé-je quand je n’ai plus rien à faire, m’occupant les mains en essuyant les verres qui sortent du lavage.

— On dirait que ça vous gêne vraiment, cette douleur au poignet. Vous voulez que je fasse venir un de nos assistants robotisés qui pourrait vous soulager un peu ? me demande-t-il en continuant à me scruter. Et je veux bien un autre verre, oui. Je n’ai rien d’autre à faire, ce soir, on dirait.

— Ça va aller, mon frère et mon mari ne devraient pas tarder à venir me donner un coup de main. Je ne suis pas fan des machines. Le cocktail vous convient ?

— C’est pas mal, oui. Il faudrait mettre un peu moins de vodka et un peu plus de rhum, peut-être. Je ne suis pas le meilleur des chefs de zones mais j’ai sûrement une carrière de testeur de cocktail qui m’attend, ajoute-t-il amèrement. Si vous pouviez juste éviter de me le servir en me faisant la leçon, ça serait parfait. Quoique, si vous recommencez, ça me donnera une excuse pour faire venir une de ces machines que vous n’aimez pas.

— Je ne vous fais pas la leçon, je me demande seulement pourquoi vous voulez absolument asservir nos femmes et je voulais que vous compreniez que nous sommes aussi des êtres doués d’émotion, d’intelligence et de sentiments. J’ai parfois l’impression que vous n’en avez pas conscience. Mais qui suis-je pour oser vous regarder droit dans les yeux et dire ce que je pense ? Veuillez m’en excuser.

Je doute qu’il croie une seconde à mes excuses, mais au moins c’est dit. Et je lui tourne à nouveau le dos pour préparer son cocktail, tentant de me souvenir de tout ce que j’y ai mis l a première fois alors qu’il met un moment à me répondre.

— Parce que c’est notre stratégie et que c’est comme ça que tout a toujours fonctionné, c’est aussi simple que ça. Pourquoi modifier l’ordre établi quand il fonctionne ? Clairement, c’est mieux que votre société vu à quelle allure nous avons conquis votre planète, non ?

— Vous avez redonné le pouvoir aux hommes après des décennies de lutte des femmes pour ne plus être opprimées et dominées, c’est tout ce que nous pouvons voir lorsqu’on a une paire de seins et un utérus, rétorqué-je en posant son verre devant lui. Vous savez ce que ça fait d’être considérée comme le sexe faible alors qu’on est capables, Monseigneur ?

— Vous êtes le sexe faible, pourquoi lutter contre cet état de fait ? C’est un discours de rebelle, ça, non ? énonce-t-il lentement, suspicieux.

— C’est un discours de femme, Monseigneur, pas de rebelle. Il n’y a rien de faible chez une femme, c’est l’ego du mâle qui ne survit pas à un peu de concurrence, grincé-je sans parvenir à me retenir.

— C’est étrange, je n’ai pas entendu beaucoup de femmes tenir ce discours. C’est plutôt un discours propre à vous-même, non ? me rétorque-t-il en souriant, avec clairement l’impression d’avoir remporté la joute.

La Valkyrie en moi crève d’envie de le remettre à sa place… Au lieu de m’emporter, je souffle doucement, me sers une Vodka et vais cogner mon verre contre le sien avant de le vider. Je lui souris poliment, masquant la grimace qui menace de déformer mes traits face à l’amertume de l’alcool et la chaleur qui se diffuse dans ma gorge.

— Nous sommes revenus au temps de l’oppression, Monseigneur. Les femmes n’ont juste plus le droit de s’exprimer sous peine d’être punies. Je dis tout simplement tout haut ce que beaucoup pensent tout bas lorsqu’elles doivent se taper le ménage, la vaisselle et la lessive de leurs bons à rien d’hommes. Il n’y a finalement pas plus lâche qu’un mâle qui assoit sa domination en menaçant sa femme, ou qu’un mâle incapable de se remettre en question et de ne pas se dire que parce que ça a toujours fonctionné comme ça, il ne faut surtout pas bousculer l’ordre établi. C’est bien votre discours, non ?

— Levana ! me coupe Olivier qui s’est approché sans que je ne m’en rende compte. Quelles bêtises tu racontes encore ? Désolé, Monsieur, elle ne sait pas ce qu’elle dit. Je crois qu’elle a trop bu. Et sa… chute a dû lui retourner un peu les esprits. Tu sais que tes blagues ne sont pas marrantes, ma chérie ?

Olivier passe son bras autour de ma taille, comme s’il voulait m’éloigner, mais je reste plantée sur mes pieds.

— Elle a un drôle de sens de l’humour, votre femme. Vous êtes sûr que vous êtes bien un mâle capable d'asseoir votre domination, pour citer votre épouse ?

Je me retiens de soupirer et de grincer des dents, d’envoyer bouler ces deux mâles qui me hérissent les poils à cet instant.

— Ne vous inquiétez pas, Olivier est très capable et il a la main ferme. il n’a aucun problème à me coller la fessée en pleine levrette. Pardon, le Kamasutra, vous connaissez ?

Mon “époux” resserre sa prise sur ma hanche et sa contrariété pullule par tous les pores de sa peau. Oui, j’adore provoquer, j’en conviens, ce n’est pas forcément la meilleure chose à faire, mais c’est tellement jouissif de les énerver.

— Je vais t’en coller une tout de suite si tu ne te tais pas, Levana ! gronde-t-il en fronçant les sourcils. Et ton frère viendra en rajouter une si tu ne vas pas tout de suite faire la vaisselle. Tu m’as bien compris ?

— Le Kamasutra ? Je…, hésite-t-il alors qu’il consulte certainement son implant et qu’il se met ensuite à rougir légèrement. Je ne connaissais pas, non.

— Vous savez, ce n’est pas facile tous les jours avec elle, soupire Olivier en se rapprochant de l’alien. Heureusement que l’on écoute vos principes parce qu’avant, c’était comme ça tout le temps. Maintenant, elles se sont calmées et c’est tant mieux !

Je vois ses yeux qui me supplient presque de m’éloigner alors qu’il se positionne entre la grande tige et moi. Une partie de moi a bien envie de poursuivre cette joute verbale, mais je m’avoue vaincue et leur tourne le dos pour remplir le lave-vaisselle après avoir rincé les verres. Je lutte aussi contre mon esprit qui ronchonne lourdement, mon envie d’envoyer bouler tous ces hommes qui se pensent supérieurs et même Olivier qui, s’il cherche à nous sauver la mise, m’insupporte dès qu’il joue la comédie.

Vous me pensiez sur les nerfs ? Ce n’est rien du tout comparé à la grande tige blonde qui débarque au bar, claque la porte vitrée que j’ai peur de voir se briser, et se met à vociférer d’une voix éraillée.

— Nal’ki ! Tu fais quoi ici ? Tout le monde te cherche ! Tu ne te connectes jamais, on dirait ! Louxo’ka est mort de ses blessures. Tout le monde appelle à la vengeance. Et j’ai bien envie de commencer par ici ! On va leur montrer ce que ça fait quand on s’en prend à nous ! rugit-il en attrapant une cliente par les cheveux.

OK, vent de panique dans le bar. Enfin… aucun homme ne bouge pour protéger la femme et, pour ma part, j’ai beau avoir un plateau vide entre les mains, je me vois mal lui coller dans la tronche. Pour autant, je n’ai pas pu retenir mon interjection et je ne manque pas le regard tueur d’Olivier lorsque le blond se tourne vers moi, furieux.

— Cette femme a quatre enfants, ne lui faites pas de mal, je vous en prie, lancé-je de ma voix la plus calme. Lâchez-la, je ne vois pas comment elle aurait pu s’en prendre à votre pote alors qu’elle nourrit au sein un gosse toutes les deux heures !

— Ta gueule ! Je m’occupe d’elle et après, c’est ton tour ! Un des nôtres est mort et ça vaut bien dix des vôtres ! s’énerve-t-il encore.

— Maxim ! Arrête ! tonne Nal’ki qui a bondi pour s’interposer. Tu fais n’importe quoi, là ! Je te rappelle que nous sommes là pour maîtriser la situation, pas pour l’envenimer !

— Et qu’est-ce qu’on maîtrise, au juste, dis-moi ! l’interpelle-t-il en resserrant sa prise sur le corps de la pauvre femme.

— Ce sont les coupables qu’il faut punir ! Et sans aucune pitié ! Pas ces innocentes ici ! Lâche-là ou je tire ! s’emporte le grand brun qui a en effet sorti une arme et la pointe vers son comparse. Je te rappelle que c’est moi, le responsable, ici. Alors, obéis ou ça va mal finir !

— Responsable, ricane le blond en repoussant la femme dans les bras du grand manitou, laisse-moi rire. A ce rythme-là, dans quelques semaines, notre race sera décimée.

— Notre enquête va aboutir et les coupables seront punis, je m’y engage. Mais là, tu vas trop loin. Sors d’ici et dis aux autres de se réunir chez moi. On va se mettre d’accord sur la suite en lien avec le commandement. Exécution !

Le fameux Maxim semble hésiter. Il observe à tour de rôle son chef et chacun d’entre nous, puis il souffle lourdement et sort tout aussi bruyamment qu’il est arrivé. Je crois que nous l’avons échappé belle, mais je ne peux m’empêcher d’être satisfaite de voir qu’ils ne semblent pas si soudés que cela. Diviser pour mieux régner, voilà qui nous sera utile.

— Je vous encaisse ou vous avez besoin d’un nouveau cocktail ? lancé-je en regagnant le bar après m’être assurée que la cliente allait bien.

— Vous, je vous conseille de ne pas en rajouter, grimace-t-il avant de se diriger vers la porte. Ce soir, c’est la maison qui invite, vous nous devez bien ça. Il y aura des conséquences, vous pouvez faire passer le mot, on ne va pas en rester là.

— Bonne réunion, Monseigneur ! le provoqué-je en m’éloignant.

Comme si nous devions leur être redevables, quelle connerie. Il est culotté, le gars. Quant aux conséquences, qu’est-ce qui pourrait être pire que ce que nous vivons depuis cinq ans, hein ? La répression, l’oppression, la privation de nos droits, on connaît déjà après tout. Alors une menace de plus ou de moins sur nos têtes, personnellement, ça ne me semble pas plus insurmontable.

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