Chapitre 12

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Monsieur Colère

Nal’ki

J’essaie de me calmer et respire un grand coup, la porte à peine refermée derrière moi. J’ai coupé toutes les communications pour avoir un peu de silence et je n’entends qu’un peu de brouhaha qui vient du bar que je viens de quitter. On dirait que le départ des envahisseurs leur a fait retrouver leur langue. A croire qu’il n’y a que cette Lévana qui ose l’ouvrir. Elle, il va falloir que je la surveille. Soit elle est inconsciente et un peu simplette de parler franchement comme elle le fait, soit c’est une Valkyrie sûre de sa force et qui se croit invincible. Dans les deux cas, elle est intéressante et je sais que je pourrai apprendre plein de choses en la provoquant un peu. Quel caractère ! Et en plus, elle a un corps que les gens d’ici appelleraient pulpeux et voluptueux ! Son mari ne doit pas s’ennuyer à la maison. Quoique, vu son indiscipline, il ne doit pas rigoler tous les jours non plus.

Mais là, j’ai d’autres chats à fouetter comme ils disent ici. Qu’ils sont cons, ces humains. Comme si fouetter des chats avait jamais aidé à quoi que ce soit ! Et en plus d’être cons, ils m’ont énervé. Et pas qu’un peu. Je sens une rage profonde en moi. Depuis qu’on est arrivés, on leur a apporté plein de choses ! Il n’y a plus de guerres inutiles entre eux, les ménages sont pacifiés, la vie n’a jamais été aussi heureuse et voilà qu’une poignée se rebellent et viennent menacer l’ordre qu’on a réussi à établir. Et tout ça pourquoi ? Parce que certaines dames seraient tristes d’être moins bien considérées que leurs mecs ! Putain, elles devraient s’estimer heureuses qu’on ait mis une loi qui empêche leur sale mari de les tuer ! Et quand je vois comment ils veulent tous se séparer de leurs bonniches, ça me fait de la peine. Et ça me rend encore plus enragé. Franchement, ils mériteraient peut-être que je laisse agir Maxim et qu’on se débarrasse de tous les mecs pour ne garder que les femmes qu’on pourra engrosser comme on le veut. Franchement, pourquoi je l’ai empêché d’agir alors que je comprends sa colère ? Pour respecter des principes d’honneur et de dignité qui ont mené mon père à sa fin ? Quel con, je fais parfois !

Je me mets à marcher dans la rue pour retourner chez moi et essaye de me convaincre que c’est moi qui ai raison, qu’on ne pourra pas gérer cette planète sans les mecs et que le système qu’on a imposé nous permet justement d’avoir une organisation efficace. Je suis convaincu que si on commence à exterminer tout le monde, ça va péter de partout. L’équilibre est précaire et il faut le maintenir. On impose notre volonté, on leur fait faire ce qu’on veut et en échange, on respecte au maximum leurs us et coutumes. Mais peut-être que j’ai mis le curseur trop loin sur la compréhension et pas assez sur l’autorité ? Je ne suis peut-être pas à ma place en tant que responsable de la zone 34 ? Il faut que j’arrête, là. Mais comment ne pas avoir toutes ces pensées en tête alors que l’un des nôtres est mort à cause de ces Valkyries ?

Lorsque j’arrive chez moi, je rallume mes outils de communication et renvoie les robots de surveillance qui m’ont accompagné pendant mon retour. J’ai horreur d’être surveillé comme ça. Je constate que Maxim a obéi à mes ordres et que tous les voisins sont réunis chez moi. Ils ont déjà lancé la communication avec le vaisseau planète et je ne suis pas surpris de voir les mines sérieuses du haut commandement. Je constate qu’ils ont tous cherché à me joindre pendant ma petite marche et que ça les a vraiment agacés de ne pas pouvoir me joindre.

— Je veux un point précis sur l’avancée des recherches ! aboyé-je. Qui a des informations intéressantes à partager ? Et qui sait où sont ces foutues Valkyries ?

Un silence un peu gêné me répond et je me demande ce qu’ils ont tous à me regarder comme ça.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Il n’y a rien qui a avancé, c’est ça ?

— On devrait les rebaptiser “les fantômes”. Elles sont introuvables. Je ne sais pas comment elles ont pu s’échapper de la zone de l’explosion sans qu’on parvienne à les attraper, marmonne mon voisin d’en face, un vieil ami de mon oncle.

— Ça fait des années qu’elles nous échappent et ça vous surprend encore ? m’agacé-je. Et vous, là-haut, vous n’avez rien vu non plus ? A quoi sert toute cette technologie, si c’est pour nous laisser en insécurité ? On n’est pas censés surveiller tous leurs mouvements ? Je croyais même qu’on nous avait mis des moyens supplémentaires venus de zones calmes pour apaiser les tensions ici ? Quelqu’un peut m’expliquer comment on en arrive à ce fiasco ?

— Dis-donc, mon garçon, m’interpelle le voisin, ce n’est pas toi qui es en charge de la zone ? Il va peut-être falloir envisager de prendre tes responsabilités à un moment donné.

— Il n’a pas tort.

— C’est vrai, on ne peut pas tout résoudre de là-haut.

— Et ce n’est pas nous qui avons le pouvoir.

Ah non, mais là, ils abusent ! Voilà qu’ils se mettent tous à me renvoyer la responsabilité des événements ! Comme si tout dépendait uniquement de ma volonté !

— Et qui a accès aux caméras de surveillance ? Et aux robots d’espionnage ? Qui a pris le temps de regarder les vidéos des alentours au moment de l’explosion ? Et est-ce que quelqu’un a pensé à prévenir le frère de Louxo’ka qu’il était mort ?

J’ai toujours cette colère sourde en moi et je ne parviens pas à me calmer. Comme tout à l’heure face aux humains et alors que je suis avec les miens, j’ai une profonde rage en moi devant la tournure que prennent les événements. Moi qui essaie d’être respectueux des Terriens, je sens que ma méthode ne convainc pas. Pire, elle est remise en cause et accusée d’être responsable de la mort d’un des nôtres.

— Je m’en suis occupé, intervient Maxim. Pour les caméras, les drones étaient gênés par les arbres alentour. Les Valkyries connaissent bien les lieux, elles savent comment nous éviter… Alors, on fait quoi ? On attend la prochaine attaque en espérant qu’elles feront une erreur ? Nal’ki, il faut qu’on agisse, et fort !

Je soupire et m’affale dans mon fauteuil, que personne n’a osé occuper.

— Toujours aussi efficace, Maxim, merci, ça fait plaisir de t’avoir dans mon équipe, commencé-je pour lui montrer que je lui fais toujours confiance. Quant à ce qu’on fait, tu proposes quoi ? Ce n’est pas en nous mettant à dos la population qu’on va avancer… Et vous là-haut, vous n’avez aucun conseil à donner ?

— Des conseils ? C’est déjà ce que nous avons fait lors de notre dernière réunion, gronde mon oncle. Que veux-tu de plus ?

— On doit frapper, leur montrer que c’est toujours nous qui sommes au pouvoir, reprend Maxim, moins réservé que d’ordinaire. Il faut qu’on montre l’exemple, qu’on capture des femmes qu’on soupçonne, qu’on les interroge et qu’on montre à tout le monde qu’on n’aura aucun scrupule si elles continuent leur vendetta ridicule !

— Et donc, tout le monde est d’accord avec ça ? demandé-je, un peu exaspéré. On répond à la violence par la violence ? On leur montre qu’on est aussi primitifs qu’eux ? C’est ça votre solution ? On n’ira pas bien loin comme ça ! Comment ils font sur les autres zones ? Ils n’ont aucun souci de rébellion parce qu’ils ont tout maté dans la violence ? Et ils dorment sur leurs deux oreilles ? Ou alors, ils font des nuits blanches tellement il y a de suspicions qui sont relayées sur les canaux de communication ? C’est nous qui sommes au pouvoir, personne ne le remet en cause, à part une poignée d’irréductibles. J’ai l’impression d’être le César de ces vieilles bandes dessinées qu’ils apprécient ici. Et tout ça alors que c’est nous qui avons la potion magique.

— Non mais tu t’entends ? s’emporte Maxim en se levant. Cette poignée d’irréductibles a tué l’un des nôtres ! Et elles n’ont aucune limite puisqu’elles ont tué des Terriens au passage ! Il va falloir attendre que tu sois blessé, ou pire, tué, pour que tu prennes les choses au sérieux ?

— Il a raison, Nal’ki. Vouloir les respecter et leur accorder ta confiance est une chose, mais à ce stade, tu es bien trop laxiste pour que la zone ne finisse pas en guerre, cingle fermement mon oncle.

— Je suis d’accord, entends-je à ma droite.

— On devrait peut-être procéder à un vote.

— Non, on ne va pas voter, je vous ai entendus, grogné-je. Vous voulez de la violence et de la répression, on va en faire. Mais à ma façon. Tant que je suis responsable ici, c’est moi qui décide. Je prends en compte vos bons conseils mais maintenant, laissez-moi agir à ma guise. Mon oncle, envoyez-nous des renforts. Sans ça, on ne pourra rien faire. Maxim, je veux une liste de toutes les femmes présentes sur la zone. On tirera au sort une quinzaine de noms et on les mettra en prison. Ensuite, on leur demandera des renseignements sur les Valkyries. Si on a de la chance, elles coopéreront et ça débloquera la situation. Et sinon… on les tuera une à une. Ils finiront bien par réagir. Mais avant d’en arriver là, on aura tout tenté au moins. Des objections ?

— A tes ordres, me rétorque Maxim alors que le groupe reste silencieux.

— C’est parti, alors.

Je coupe la communication sans attendre que les gens du vaisseau planète me répondent. Je fais signe aux présents sur place de me laisser seul et congédie même Gabrielle alors qu’elle se présente pour voir si j’ai besoin de quelque chose. J’ai juste besoin d’être seul et de faire taire toutes ces pensées qui se bousculent dans ma tête. Je n’ai pas envie d’être le grand méchant de l’histoire et pourtant, je suis en train de le devenir, poussé par mes collègues. Je ne vois pas d’autres pistes d’action et tout ce que j’ai en tête, c’est cette phrase de Lévana : “Vous savez ce que ça fait d’être considéré comme le sexe faible alors qu’on est capables, Monseigneur ?” Et là, je crois que je sais ce que ça veut dire “être faible en étant capable”. Foutue humaine qui me met face à mes contradictions.

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