Chapitre 13

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Matin chagrin

Lévana

Je me redresse dans mes draps, le souffle court, ma peau humide de transpiration et des images funestes toujours incrustées dans mes pupilles. Il me faut un petit moment pour reprendre contact avec la réalité, l’instant présent, et je saute finalement du lit pour aller me réveiller complètement sous le jet d’eau chaude de la douche.

J’avoue que depuis la mort d’Hortense, mon sommeil est quelque peu perturbé. Je cauchemarde pas mal sur l’explosion, sur les derniers instants de l’artificière. Je me demande également si je serais en vie sans son intervention. Et puis ce sang me perturbe encore. Le sien sur moi, le transport de son corps inerte jusqu’au souterrain, l’attente… J’ai déjà rêvé qu’elle sortait de l’infirmerie en mode zombie… Mon cerveau part totalement en live et m’empêche de me reposer, de vraiment récupérer de cette terrible aventure. Je manque cruellement de sommeil et pourtant, il ne fait pas encore jour et je suis déjà en train de prendre mon petit déjeuner.

La soirée au bar va encore être longue…

Je suis déjà prête lorsque Jasmine toque à la porte de mon appartement. Elle me sourit et m’étreint rapidement, non sans m’avoir observée longuement. L’avantage avec la copine de mon frère – que cet imbécile refuse d’appeler comme telle – c’est qu’elle m’épargne les réflexions du genre “t’as une sale tête” ou encore “faut dormir la nuit” et je l’en remercie silencieusement, mais je n’ai pas manqué son froncement de sourcils. Evidemment, elle ne dort pas beaucoup mieux depuis l’attaque, même si elle n’a pas vécu ça d’aussi près que moi. Elle, elle s’en veut à cause des hommes qui sont morts lors de l’explosion, en plus d’Hortense. Personnellement, j’ai arrêté de m’en vouloir pour ces victimes collatérales lorsqu’elles ont un service trois pièces. Ces mecs collaborent avec les envahisseurs, ils nous traitent comme des moins que rien, des bonniches à leur service, alors tant pis pour eux.

Nous nous glissons silencieusement dans le bar et empruntons la porte cachée de la cuisine pour descendre au souterrain. J’ignore le bip strident du déverrouillage qui retentit et semble résonner dans mon cerveau. Il fait bien frais ce matin dans notre repaire, l’humidité me fait éternuer et mon souffle fait de la buée. C’est déprimant à souhait, heureusement que nous avons conscience que ces couloirs sombres et monotones sauvent des vies, sans quoi j’aurais bien envie de faire demi-tour.

Les couloirs de la zone d’habitation sont partiellement vides en ce dimanche matin. Il est encore tôt et tout le monde profite un peu. Sauf nous, apparemment.

— Y a même personne en cuisine, soufflé-je en préparant la machine à café. Au moins, on est tranquilles pour le moment. Gaspard dormait encore quand tu es partie ?

— Oui, il avait besoin de repos. Il va m’en vouloir un peu quand il va se réveiller sans moi mais j’avais envie de te parler en tête à tête. Il faut qu’on venge la mort d’Hortense, tu ne crois pas ?

Un soupir passe la barrière de mes lèvres alors que nous remplissons le charriot pour le petit déjeuner. Évidemment qu’il faut venger Hortense, mais nous n’avons fait qu’un mort chez les aliens.

— Elle bossait sur un genre de bombe qui pourrait être envoyée vers leur vaisseau avec les autres… Je crois que la vengeance ne sera satisfaisante que lorsqu’elle sera opérationnelle. Je ne sais plus quoi faire pour leur faire mal, j’ai parfois l’impression que nos attaques ne servent pas à grand-chose.

— Tant qu’ils auront le soutien des hommes, on n’avancera pas beaucoup, se lamente mon amie. Et je crois que dans les autres zones, il n’y a aucune opposition constituée. Ou alors, ils sont très forts pour empêcher les infos d’arriver.

— Ca fait des semaines qu’on n’a eu aucune nouvelle du groupe de la zone 33, c’était le seul groupe efficace alors… on est seules, je pense. Tu crois qu’on se bat pour rien ?

— Non, on ne se bat pour rien ! rétorque-t-elle vivement. Si on se résigne, on meurt. Et Hortense serait morte pour rien ! Il faut qu’on continue, Lev, tu le sais mieux que moi !

Je détourne le regard, honteuse. Je vais me reprendre, je le sais, mais la fatigue et la mort d’Hortense m’ont clairement fichu un coup au moral. J’ai bien conscience que je n’abandonnerai jamais, pour autant, j’ai parfois l’impression que la montagne que nous devons gravir est bien trop haute pour que nous parvenions au sommet. Je ne vois pas le bout du tunnel. Si nos gouvernements ont tenté de négocier lors de l’invasion, ils ont vite lâché prise en réalisant que les aliens en avaient surtout après nous. Pourquoi ? Les rumeurs vont bon train, toujours est-il que nous n’avons jamais vu une femme alien traîner dans les parages.

— Tu as raison, je te promets que je tiendrai le même discours demain, mais là, j’ai l’impression d’avoir le poids du monde sur les épaules et c’est trop lourd à porter. Je suis fatiguée… Alors, des idées pour notre prochaine attaque ? l’interrogé-je en nous servant deux cafés.

— Tu n’es pas responsable de la mort d’Hortense, tu sais ? me dit-elle en posant ses mains sur mes épaules. C’est le destin et ça aurait pu être toi comme moi. C’est tombé sur elle mais nous le savons tous et toutes : se rebeller est dangereux. Tu crois que tu peux entendre et intégrer ça ?

Je sens ma gorge se serrer et lutte pour ne pas détourner le regard. Je comprends mieux pourquoi elle voulait que nous nous voyions ce matin.

— J’y travaille… C’est en cours d’intégration. Je suis juste un peu plus à fleur de peau mais ça va aller. Enfin, si Gaspard et Olivier ne me butent pas avant pour oser me rebeller devant les grandes tiges, ris-je.

— Comment ça devant les grandes tiges ? Tu as fait quoi, encore ? me demande-t-elle en plissant les yeux. Tu t’es faite remarquer ?

— Moi ? Jamais ! m’esclaffé-je. J’ai juste dit deux ou trois vérités au grand manitou. Rien de bien grave. Figure-toi que suite à l’attaque il a apparemment demandé à ce que nous soyons observées pour tenter de trouver les Valkyries potentiellement blessées dans l’explosion.

— Et toi, tu as fait ta maligne alors que tu fais partie des blessées ? Mais tu sais que tu es folle, ma fille ! Enfin, je t’adore mais quand même ! Par contre, tu devrais faire gaffe, c’est jamais bon de se faire remarquer…

— J’avoue que j’ai peut-être un peu abusé… mais je ne sais pas, parfois j’ai juste envie de tous les tuer et d’autres j’aimerais simplement comprendre ce qu’ils ont contre nous, le pourquoi on doit se retrouver esclave des hommes. Alors je l’ai un peu poussé, oui, mais ça va, il doit me prendre pour une petite révoltée qui en a marre d’être la bobonne de son mari.

— Moi, j’ai toujours envie de tous les tuer. C’est pour ça que je me fais discrète, parce que si je parle à l’un d’eux plus que quelques mots, je vais finir par l’égorger. Je ne sais pas comment tu fais pour discuter avec eux au bar… ou les provoquer sans te faire arrêter. Je t’admire, c’est un vrai talent, ça !

— Mon objectif c’est de réussir à en saouler un, mais je t’assure que ce n’est pas de la tarte, ris-je. Mais j’aime bien jouer les espionnes, entre le boulot et l’adrénaline de les avoir autour de moi, j’avoue que j’aime assez ça. Le grand manitou me semble moins mauvais lorsqu’il est accoudé à mon bar, et tu sais quoi ? Il me reluque, alors peut-être que ça pourra nous servir à un moment donné.

— Il te reluque ? Vraiment ? Fais gaffe, il y a des histoires qui disent que les aliens se servent parmi les femmes qui ne sont pas mariées pour en faire leurs propres esclaves. S’il apprend qu’Olivier n’est pas vraiment ton mari, tu vas passer à la casserole, c’est certain.

Je ne lui réponds pas immédiatement car la porte s’est ouverte sur un petit groupe d’adolescentes qui nous saluent et emportent le chariot dans la salle commune. J’observe tout ce petit monde s’installer autour des tables, certaines pas plus en forme que moi, d’autres un peu plus souriantes, et me réjouis une nouvelle fois de voir toutes ces vies sauvées même si, soyons honnêtes, habiter dans un souterrain n’est pas une sinécure.

— S’ils n’étaient pas tous aussi cons, peut-être que je n’aurais pas dit non, il est plutôt beau gosse pour un alien, lancé-je finalement à mon amie.

— Ouais, ils sont bien gaulés mais finir en esclave, jamais de la vie ! Moi, les mecs, je les monte, pas le contraire, rigole Jasmine.

Je glousse et frappe mon poing dans le sien, plus que d’accord. C’est la première fois que j’ose dire à voix haute que les aliens, et en particulier Nal’ki, pourraient être attirants… Évidemment, il suffit de voir leur regard condescendant posé sur nous pour que “l’attirance” fonde comme neige au soleil. Plutôt crever que de servir de réceptacle à ces types qui nous pensent inférieures et bonnes à jouer les bonniches. D’ailleurs, s’ils ont forme humaine, peut-être n’ont-ils même pas de service trois pièces ? J’avoue que la curiosité m’a poussée à observer quelques braguettes et il faut croire qu’ils semblent plutôt bien lotis, mais sait-on jamais, si ça se trouve, ils ont une queue avec des excroissances bizarres ou des épines. Ça expliquerait pourquoi il n’y a plus une femme chez eux. Ou alors, ils vénèrent leurs femmes au point de les garder sur leur vaisseau et de venir chercher des esclaves ici ? Je n’en sais foutre rien, il faut dire que nous avons certes recueilli pas mal d’infos à leur sujet, mais nous ne sommes toujours pas parvenues à en capturer un pour pouvoir vraiment le faire étudier par nos scientifiques.

— Je ne sais pas si les aliens me dégoûtent plus que les collabos, honnêtement, marmonné-je. Les deux sont des enfoirés qui méritent de crever en enfer.

Jasmine acquiesce légèrement, plongée dans ses pensées. Pour ma part, je tente d’oublier que j’ai osé dire que Nal’ki était sexy et réfléchis au prochain lieu où nous pourrions faire sauter une bombe. Il est temps que nous frappions fort et que nous leur montrions qu’on ne rigole pas. Ils viennent peut-être d’ailleurs, ont sans doute des décennies d’avance technologique, mais ils n’en restent pas moins mortels et je veux leur faire mal, les faire douter. Déjà, certains montrent leurs faiblesses, comme celui qui a déboulé au bar, enragé, remettant en question l’autorité de son chef. C’est ça qu’on doit faire.

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