Chapitre 14

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Première sur la liste

Nal’ki

J’essaie d’accélérer encore le rythme mais je crois que je suis presque à la limite de mes capacités. Et pourtant, cela ne m’aide pas à oublier tout ce que j’ai en tête. Je pédale encore et encore, je suis en sueur, j’ai des douleurs partout dans les jambes mais je poursuis mon effort sans réussir à oublier que je joue ma crédibilité sur les prochains jours, voire les prochaines heures. Il me faut des résultats et ce n’est pas en faisant du vélo d’appartement dans ma salle de sport que je vais les obtenir. Je le sais et pourtant, il me fallait cette diversion pour attaquer la suite des événements de manière plus sereine. Des fois, je crois que je suis aussi peu logique que les Terriens avec toutes leurs contradictions.

Lorsque Gabrielle apparaît dans mon champ de vision, je m’arrête et essaie de reprendre mon souffle alors que mon employée de maison semble apprécier la vue de mon torse nu et trempé par l’effort que je viens de réaliser.

— Votre ami, Maxim, est arrivé, Monsieur. Et je vous ai préparé des habits propres que j’ai mis dans la salle de bain près de la douche. Vous avez besoin d’autre chose ?

Cette femme est une perle et j’espère qu’elle ne fera pas partie des personnes tirées au sort. Si c’est le cas, vu que c’est moi le chef, je peux mettre mon véto, non ?

— Merci, Gabrielle, dites-lui de patienter le temps que je me rafraichisse un peu.

Elle me tend une serviette avant d’acquiescer. Elle fait une petite révérence et je l’observe partir aussi discrètement qu’elle est venue. Je me demande ce que je ferais sans cette veuve. A sa place, moi, je ferais tout ce que je peux pour nuire aux Valkyries. Quel meilleur gage de fidélité que la mort de son mari par leur faute ?

Lorsque je retrouve Maxim dans mon salon, après notre traditionnel salut par les poignets, je constate qu’il a l’air impatient et qu’il n’a même pas touché à la boisson offerte par Gabrielle.

— Eh bien, tu en prends du temps à te pomponner. C’est bon, on peut s’y mettre ?

— Tu n’as pas déjà fait la liste ? le provoqué-je. Tu as ramené qui avec nous pour aller chercher les femmes ? Il faut qu’on y aille en force, ça risque d’être chaud, cette… réquisition.

— La liste est prête et chargée sur la base de données. Et une équipe nous attend en bas, devant les véhicules.

— Tu as revu la liste ou c’est juste vraiment au hasard ? Tu as mis des femmes sur lesquelles on avait des doutes ?

— Evidemment, mais je n’en ai pas mis beaucoup. J’ose espérer qu’elles ont encore un peu d’humanité et que voir des innocentes dans le lot les poussera à se dénoncer.

— Eh bien, c’est parfait, tout ça. Toujours aussi consciencieux, je vois. Bravo. Allons-y, mon ami.

Mon compliment lui arrache un sourire et j’enfile ma veste de protection avant de le suivre tout en consultant la base de données où il y a non seulement quinze noms mais aussi cinq supplémentaires au cas où on déciderait de monter à vingt. Il n’y a rien à redire, il a bien fait son travail pendant que moi, je m’essoufflais sans penser à rien sur mon vélo. Il faudrait peut-être que je prenne exemple sur lui… Je monte dans la première voiture tandis que Maxim se dirige vers celle qui clôt notre petite procession. Je regarde la première adresse et suis surpris de voir qu’il s’agit du bar où travaille Lévana. Mais le nom ne correspond pas. Qui est donc cette Jasmine qui bosse dans le bar de la jolie brune ?

Lorsque je pénètre dans le bar encadré de trois soldats, le silence se fait et tous les regards se tournent vers moi. La tension monte d’un cran lorsque Maxim nous rejoint avec un autre garde. Nous sommes à six et je crois que ces terriens n’ont pas vu une telle concentration de notre espèce dans une pièce si petite depuis que nous avons envahi leur planète. Nous avons laissé les robots de surveillance à l’extérieur mais on perçoit leur léger buzz. La jolie serveuse est présente et même elle semble sous le choc. Elle est toute blanche et semble figée derrière son comptoir. Je profite du silence pour m’avancer au milieu de la pièce et me penche vers Lévana qui semble comme pétrifiée.

— Je recherche une certaine Jasmine qui travaillerait ici. Où se trouve-t-elle ? demandé-je doucement avant de me dire que je peux profiter de cette audience captive pour annoncer ce que nous faisons.

J’enchaîne donc d’une voix plus forte.

— Nous avons décidé de prendre quinze otages au hasard, quinze femmes que nous allons interroger sur les activités des Valkyries. Et si rien n’avance, si nous n’avons pas de nouvelles informations, nous serons obligés de les éliminer. Une après l’autre. Voilà ce qui arrive quand on s’attaque à nous, bande d’ingrats.

Tout d’abord, c’est à nouveau un silence pesant qui répond à mes propos mais s’ensuit rapidement un bruyant brouhaha qui s’interrompt tout aussi vite lorsque je lève la main pour rétablir le calme.

— Silence ! Où est la dénommée Jasmine ? C’est elle que nous sommes venus chercher ce soir.

— Bonjour à vous aussi. Un vrai plaisir de recevoir votre visite, marmonne la barmaid. Jasmine n’est pas disponible, désolée.

— Je crois que vous n’avez pas bien compris, m’agacé-je en me retournant vers elle. Nous sommes venus la chercher et nous allons repartir avec elle. D’après nos informations, elle est ici, aujourd’hui.

Je scanne les personnes présentes et constate qu’une seule femme pourrait correspondre au profil recherché. Elle se tient non loin de la porte d’entrée mais Maxim est stationné là pour éviter tout mouvement.

— Vous devriez coopérer, ça nous éviterait de devoir employer la force, soupiré-je.

— Et donc, vous allez violenter une femme que vous prenez au hasard ? Et vous vous plaignez des Valkyries, ricane Lévana, vous ne valez pas mieux, finalement. Jasmine n’a rien à voir avec les Valkyries, c’est ridicule.

— C’est le hasard qui fait mal les choses. Et si les Valkyries n’avaient pas tué l’un des nôtres, nous n’en serions pas là aujourd’hui, râlé-je. Donc, Jasmine, c’est vous, non ? demandé-je en m’approchant de la grande blonde que j’ai repérée.

— Vous ne manquez vraiment pas de culot, chuchote la barmaid.

— C’est moi, oui. J’imagine que je ne vais pas pouvoir terminer mon service ?

— Non, on n’a pas toute la journée, non plus. Et on a encore quatorze autres femmes à aller chercher. Et vu qu’on ne manque pas de culot, paraît-il, on va juste vous demander de nous suivre sans protester. Sinon, on risquerait de se fâcher et de faire du grabuge ici. Capice ?

— Ben voyons ! Faut encore qu’on se taise et qu’on obéisse gentiment ?

— Lévana, laisse tomber.

— Non, y en a marre, sérieusement. Vous vous rendez compte que vous vous en prenez à des innocentes tout ça parce que vous, pauvres envahisseurs, avez perdu l’un des vôtres ? Vous savez le nombre de vies qu’a coûtées votre arrivée chez les nôtres ? Et c’est nous les ingrats ? Alors oui, du culot vous en avez à la pelle.

Elle aurait mieux fait de se taire car immédiatement, deux soldats se précipitent sur elle et la mettent en joue. Elle ne cille pas mais arrête au moins de parler. Je me demande ce que je vais faire avec elle car clairement, elle est en train de me manquer de respect. Je fais signe à Maxim d’emmener Jasmine qui semble plus raisonnable que l’autre serveuse et me tourne vers la rebelle.

— Vous en avez marre, c’est ça ? Assez pour vous joindre aux Valkyries ? Si j’étais vous, je ne dirais plus rien. Vous êtes déjà assez suspecte comme ça… Si vous voulez vous dénoncer ainsi que vos collègues, nous n’attendons que ça. Et ça permettrait de mettre fin à cette mascarade avec les otages. Alors, des choses à nous confier ? À ajouter ? Nous sommes à votre écoute, mais faites vite, notre patience a des limites.

Je me demande si notre plan est déjà en train de fonctionner. Si elle se dénonce, ça nous fera déjà une Valkyrie de moins et même si ce sera difficile de la faire parler, je suis sûr que nous pourrons y arriver et avoir le reste de la clique qui nous fait tant de mal ces derniers temps.

— J’ai perdu mes parents et ma sœur à cause de vous, alors même sans avoir le courage de me rebeller et d’être une Valkyrie, je pense avoir encore le droit d’être en colère. Avez-vous vengé mes parents comme vous vengez votre homme ? Je ne crois pas. Alors votre petite mise en scène ne me paraît pas justifiée, surtout que vous embarquez une innocente, une personne que je considère comme étant de ma famille. Une de plus qui risque de perdre la vie par votre faute, somme toute.

Je vois que mes hommes n’attendent qu’un geste de ma part soit pour l’arrêter, soit pour la faire taire par la violence. Vu le ton qu’elle emploie, je suis à deux doigts de leur indiquer de le faire mais quelque chose dans son regard me retient. Je peux en effet y lire toute sa souffrance et son désespoir et cela me confirme dans l’idée que ce que nous sommes en train de faire n’est pas très noble. Personnellement, je sais que c’est mieux que ce qui aurait pu arriver si je n’étais pas intervenu. Je suis convaincu qu’il y aurait eu une boucherie, que nos hommes s’en seraient pris aux femmes pour les transformer en esclaves sexuelles, même si ce n’est pas ce qui a été validé au niveau du commandement. Quant à ses parents et sa sœur qui sont morts, ce sont malheureusement des victimes collatérales de notre arrivée. On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, comme ils disent ici. Est-ce que cela justifie ses explosions de colère ? Sûrement un peu. En tout cas, assez pour que la mienne de colère retombe un peu.

— Une de plus qui risque de perdre la vie, oui. C’est ça, la guerre. Et il suffit que les Valkyries se rendent et abandonnent la rébellion pour que la paix revienne sur cette zone comme elle existe sur les autres. Si vous avez des contacts avec elles, je vous invite à leur transmettre ce message. La barbarie cessera le jour où les escarmouches inutiles s’arrêteront. Le sort de cette zone n’est pas entre mes mains mais bien entre les leurs. Depuis que nous sommes arrivés, nous essayons d’améliorer les choses, de vous traiter le plus “humainement” possible, même si ce terme me convient peu. Bref, nous n’avons pas de mauvaise intention mais quand on nous cherche, on nous trouve. À bon entendeur…

Je vois qu’elle bout et qu’elle souhaite à nouveau prendre la parole mais son mari intervient et l’en empêche. Je fais signe à toutes mes équipes de me suivre et nous sortons du bar sans autre incident. À part Lévana, les autres sont restés passifs et personne ne s’est révolté. La peur s’est vraiment bien installée, c’est fou. Je suis sûr que même seul, personne n’aurait osé lever la main sur moi. Enfin, personne sauf la jolie brune dont le regard plein d’étincelles continue d’occuper mon esprit alors que nous nous dirigeons vers la prochaine cible. Si cette planète avait été peuplée de Lévana, pas sûr qu’on se serait imposés aussi facilement !

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