Chapitre 16

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Il n’a rien compris

Nal’ki

Le silence s’est installé, à peine perturbé par le ronronnement discret des robots de surveillance, et je me demande ce que je dois faire de cette foule devant moi. J’ai consulté rapidement le haut commandement mais personne ne m’a répondu ou alors juste avec des “débrouille-toi”. J’ai consulté les bases de données et j’avoue ne pas avoir tout compris à cette tradition humaine de la manifestation. Si j’ai bien saisi, c’est comme fonder une armée temporaire dont le but n’est pas de faire la guerre mais de montrer son mécontentement. Et dans l’histoire, le plus souvent, ça n’a servi à rien. Mais les gens qui y participent sont contents. C’est pour ça que j’ai laissé faire et les ai laissés s’approcher. Si ça peut les rendre contents, tant mieux non ? Mais là, je ne sais pas trop quoi faire. J’ai aussi lu que si on restait silencieux et mystérieux, on avait l’air plus intelligent. J’essaie d’en profiter.

J’observe les femmes qui me regardent toutes avec différentes émotions qui transparaissent. Certaines ont clairement peur. Je crois qu’il suffirait d’un cri pour qu’elles fuient en courant. D’ailleurs, il y en a qui sursautent quand un corbeau croasse bruyamment dans le silence qui commence à me peser. Quelques-unes me regardent fièrement et clairement, il y en a qui s’impatientent. Dont cette Lévana dont le petit sourire ne me dit rien qui vaille. Je consulte mes bases de données frénétiquement mais je n’ai pas beaucoup de pistes pour gérer cette situation.

— Je vous ai compris ! tenté-je avec force avant de m’arrêter en observant les regards interloqués de l’audience.

Mince, ce n’était pas le bon choix. Clairement, les femmes présentes s’échangent des regards un peu perdus et finalement, c’est la serveuse du bar qui éclate de rire et qui permet à la tension de redescendre un peu. Mon orgueil est blessé mais bon, j’ai connu pire.

— En fait, non, je n’ai rien compris. Qu’attendez-vous de moi ? Vous avez des demandes à exprimer ? Vous pensez que parce que vous êtes là, les choses vont changer ?

Je me dis qu’un peu d’authenticité ne fera pas de mal. Là, au moins, je ne risque pas trop de faire d’erreur. J’espère seulement que l’une d’entre les manifestantes va prendre la parole et me répondre. Sinon, je vais avoir encore plus l’air d’un con et je vais juste devoir les faire toutes rentrer chez elles.

— Nous voulons la libération des otages, entame la barmaid. Avec tout notre respect, Monsieur, il nous semble que la situation est des plus injustes envers les femmes que vous avez arrêtées. Elles ont été choisies sur la base du hasard et manquent à leurs proches.

Bon, déjà, j’ai évité le “Monseigneur” qui m’aurait irrité plus qu’autre chose, mais je suis surpris de sa demande. Elle n’a pas compris la dernière fois que c’était le principe de la démarche ? Et pourquoi on les libèrerait ?

— Je ne vois pas pourquoi on changerait notre politique maintenant. Sommes-nous obligés de parler comme ça dehors en criant presque ? Ce serait plus simple que vous veniez à quelques unes discuter avec moi à l’intérieur, non ?

Je suis tombé sur une manifestation dans les années 2000 où le Président d’une de leurs républiques a fait venir des délégués pour échanger avec eux. Je me dis que ça ne peut pas être une mauvaise idée.

— Pour votre gouverne, il nous a déjà été difficile d’accéder jusqu’ici, alors je n’ai pas osé demander audience. Combien peuvent se joindre à moi ?

Je lève un sourcil car je ne m’attendais pas à ce que ce soit à moi de choisir ça. A quoi servent toutes ces personnes qui sont là si je dois tout faire moi-même ? Et je note aussi qu’elle prend la tête de cette manifestation. Est-ce un signe de son appartenance aux Valkyries ou bien au contraire la preuve qu’elle n’en fait pas partie, vu comme elle se met en avant ? Satanée femme, j’ai presque envie de lui dire de venir seule pour pouvoir la questionner plus facilement mais je me dis que ça ne se fait pas. Et… ça fait bien trop longtemps que je ne me suis pas retrouvé en tête-à-tête avec une personne du sexe opposé, à part Gabrielle, pour que ce soit raisonnable.

— Eh bien disons trois personnes. Comme vous le savez, ceci n’est que ma maison et je n’ai pas un salon extensible. Je vous laisse cinq minutes pour décider de celles qui auront le plaisir de venir échanger avec moi et m’expliquer pourquoi la décision que j’ai prise est bête et vous déplait tant que ça. Bon courage pour trouver des arguments, conclus-je avant de me retourner et de rentrer chez moi.

Je vais directement m’asseoir dans mon salon et prends place sur une des chaises autour de la table ronde. J’observe par l’intermédiaire d’un robot de surveillance ce qu’il se passe et soupire en voyant que la sélection n’est pas rapide. Il y a beaucoup de discussions, de disputes même on dirait, jusqu’à ce que finalement deux femmes s’avancent aux côtés de Lévana qui mène la marche. Au moins, je sais qui vient vraiment m’affronter dans mon antre. Verlox les fait entrer, j’ai l’impression qu’il souhaite se joindre à nous, mais je lui fais signe de rester à la porte, ne me sentant pas en danger. Les trois déléguées s’approchent un peu timidement de la table où je suis.

— Prenez place, voyons, ne restez pas debout, ce sera plus facile de parler. Et vous voulez boire quelque chose ?

Je ne dois pas avoir les bons codes car une nouvelle fois, la perplexité se lit sur leurs visages. Je ne me montre pas assez affable pour des manifestants ? Ou je suis trop gentil ? Foutus humains et foutue manifestation ! Si ça continue, je vais vraiment m’énerver et là, ils verront ce que c’est quand les gens de mon espèce se mettent en colère.

— Eh bien… des verres d’eau, ce sera parfait. Nous ne sommes pas vraiment là pour trinquer.

Je fais signe à Gabrielle de les ramener et suis soulagé de les voir s’installer en face de moi.

— Si vous n’êtes pas là pour trinquer, vous êtes là pour quoi ? Pour me dire où et qui sont les Valkyries afin que je puisse libérer toutes les otages ?

Je suis pris d’un fol espoir que ma tactique a fonctionné et qu’elles vont les dénoncer pour que je libère tout le monde. Si c’est le cas, je pourrai me gargariser d’avoir réussi à résoudre la crise rapidement et efficacement. Mes espérances sont cependant vite douchées. La jolie barmaid, après un rapide coup d'œil à ses voisines, reprend la parole et je dois me ressaisir pour ne pas me laisser distraire par ses jolis yeux et ses lèvres pulpeuses avec cet arc de cupidon joliment dessiné auquel je commence vraiment à m’habituer.

— Nous ne dirons rien mais nous souhaitons en effet que les otages soient libérées, oui. Et si vous souhaitez que les Valkyries stoppent leurs actions, il est temps de nous écouter et de prendre en compte nos petites personnes. Nous ne demandons pas l’impensable, vous savez, seulement d’être considérées comme des êtres humains, au même titre que les hommes. Si vous arrêtez de nous prendre pour des bonniches, des femmes à dresser ou que sais-je, les Valkyries n’ont plus lieu d’exister.

— Cela n’est tout simplement pas possible. Nous avons une stratégie depuis l’invasion, nous l’appliquons, c’est tout, répliqué-je sèchement avant de m’arrêter de peur d’en avoir trop dit. Bref, dans notre mode d’organisation, les femmes sont aux ordres des hommes, un point c’est tout. Il faut donc me faire d’autres propositions. Vous dénoncez les Valkyries et tout s’arrête.

Elles sont toutes surprises du ton que j’ai employé et qui ne correspond pas à ma façon d’être habituelle. Encore une fois, c’est la jolie brune qui se ressaisit la première et qui reprend la parole.

— Dans notre organisation, et bien que cela ait été difficile à obtenir, les hommes et les femmes sont sur le même pied d’égalité. Si j’ai envie de dire merde à mon mari ou au voisin, je le dis sans risquer l’emprisonnement. Si vous voulez vous faire un café, vous levez votre cul de la chaise et le faites comme un grand. Pourquoi votre mode de fonctionnement devrait prévaloir sur le nôtre alors que c’est VOUS qui débarquez chez NOUS ? Est-ce qu’un seul moment vous vous êtes demandés ce que cela fait d’être envahis ? De perdre tous ses droits ? A votre place, je me poserais sérieusement la question, parce que je doute que les Valkyries abandonnent tant que vous n’aurez pas essayé d’apaiser les choses en nous rendant nos droits. Et qui sait, peut-être que c’est vous qui finirez par me servir mon café.

Le pire, c’est qu’elle est sérieuse en plus. Quelle fierté ! Et quelle détermination ! J’ai l’impression qu’à elle seule, elle remplit toute la salle et je ne peux qu’être admiratif de son courage. Dommage qu’elle soit mariée parce que sinon, je crois que je la réclamerai bien quand nous en serons à la phase suivante de notre plan.

— Parce que nous avons gagné la guerre, tout simplement, finis-je par dire calmement. Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, non ? Et si c’était vraiment aussi horrible que ça, la paix que nous avons ramenée, comment vous expliquez que vous êtes les seules à vous rebeller et que dans toutes les autres zones, tout est calme ? Les gens ont l’air satisfaits de vivre dans la tranquillité.

— Les autres zones ont exterminé les personnes qui manifestaient leur mécontentement, évidemment que tout est calme ! Vous n’avez vraiment aucune capacité à vous remettre en question ? C’est bien beau de se penser supérieur, mais c’est la base, quand même. Se poser, prendre du recul sur ses actes, tout ça, tout ça… trop élaboré pour vous ?

— Je note que j’aurais dû exterminer tous les opposants. Vous avez d’autres leçons de politique et de stratégie à me donner ? demandé-je, content de voir que je la fais sortir de ses gonds.

— Peut-être que vous valez un peu mieux que les autres, puisque la vie humaine semble compter davantage pour vous que pour vos collègues. Il n’enlève en rien que nous ne vivons plus, nous. Ce n’est pas une vie d’être adulte et de ne plus avoir de pouvoir de décision, de devoir des comptes à nos époux, nos frères, nos pères. C’est ce que vivaient nos femmes il y a une bonne centaine d’années et plus. Vous vous rendez compte du recul social pour nous ? C’est ridicule de vivre à nouveau dans ces conditions.

— C’est ridicule mais c’est comme ça. Et puis, vous vivez, il me semble, jusqu’à preuve du contraire. Et ils sont où d’ailleurs tous vos époux, frères et pères ? Ils vous soutiennent vraiment ? Vous êtes la minorité, il faut vous y résoudre. Quand un combat est perdu, on se soumet et on fait contre mauvaise fortune bon coeur. Je vous promets néanmoins de me renseigner sur cette histoire que vous venez d’évoquer. Cela me permettra peut-être de mieux vous comprendre… D’autres demandes auxquelles je ne pourrai pas non plus répondre ? Mesdames, vous avez des choses à ajouter à ce que votre consoeur m’a dit ? Là, j’ai l’impression que c’est la révolte d’une contre tous. C’est pathétiquement beau, si vous voulez mon avis d’extraterrestre déconnecté de vos réalités.

Lévana me lance un regard noir, mais je dois être un peu pervers car je le trouve non seulement très beau mais aussi très excitant. Je me demande si je ne devrais pas me soumettre à sa furie, ça doit donner si elle est comme ça au lit. Je doute que son pauvre mari ait le dessus dans leur couple. Donc, elle râle absolument pour rien. Mais ça lui va si bien d’être en colère que ça me donne presque envie d’en rajouter encore à mes propos qui la rendent aussi furieuse. En tout cas, je crois leur avoir cloué le bec car personne ne me répond. Ou n’ose me répondre. Qui sait ? Bref, je profite de leur silence pour leur faire signe de s’éloigner et me laisser enfin tranquille. Cette entrevue n’a rien apporté mais j’ai fait ce qu’il fallait. J’ai écouté, je n’ai rien cédé et c’est comme ça qu’une manifestation se termine, non ?

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