Chapitre 17

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Seule et courageuse

Lévana

Je suis les filles en bouillonnant à l’intérieur. J’ai envie de les secouer, de le secouer lui, de tout foutre en l’air dans cette belle baraque qu’il n’a même pas méritée. C’est vrai, ça, sous prétexte qu’il a participé à l’invasion et se retrouve à la tête de notre zone, Monsieur est logé comme un prince, dispose d’une femme qui fait tout ce qu’il demande ! Nous cachons des jeunes femmes, des enfants, qui ne voient pas ou presque la lumière du jour alors que lui vit dans une maison bien trop grande pour un type incapable de savourer ce à quoi il a droit, de comprendre la détresse de la moitié du peuple qu’il a envahi et qu’il opprime.

Au milieu des escaliers qui mènent dans le hall d’entrée, je me stoppe et inspire profondément. Les filles passent la porte sans même s’apercevoir que je ne les suis plus. Je fais demi-tour et remonte les quelques marches qui me ramènent dans ce couloir presque aussi grand que ma chambre. Je rejoins la salle où le grand manitou est toujours installé, le regard perdu à travers la fenêtre. Il me remarque dès que j’approche et je me réinstalle en silence face à lui, posant mes paumes jointes sur la table en lui affichant toute la confiance que j’ai et même plus. Ne jamais montrer ses faiblesses, ses doutes… Je ne suis pas sûre que ce soit la bonne stratégie. Je suis censée être une jeune femme bien casée, obéissante… et je fais ma rebelle.

Je crois le voir déstabilisé par ma présence durant un instant, mais lui aussi semble doué pour masquer ses émotions.

— Je crois que je n’ai pas terminé… J’ai bien conscience que vous n’accordez aucune importance aux paroles d’un être humain possédant une poitrine et un utérus, mais vous avez tort d’agir de la sorte. Rien ne se calmera si vous continuez ainsi.

— Quand je disais que c’est la révolte de une contre tous, j’ai l’impression que je ne me trompais pas, soupire-t-il. Je vous admire mais d’où vous vient cette motivation ? Vous croyez vraiment que ça peut être utile ? Peut-être que vous devriez rejoindre les Valkyries, si ce n’est pas déjà fait.

— Mes parents sont morts lors de l’invasion et ma sœur a disparu. C’est de là que je tire ma motivation. Ils n’avaient rien fait de mal, ils vivaient leur vie tout comme moi et tout le monde sur cette planète. Je suis partie de la maison un matin après avoir embrassé mes parents, je les ai retrouvés paniqués quelques heures plus tard, prêts à mourir pour nous protéger. Et ils ont en partie réussi, mais je suis la seule de nous deux à être ici, devant vous, à pouvoir vous dire que je ne comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi vouloir opprimer les femmes, au juste, pourquoi ne pas nous traiter comme les hommes, pourquoi vouloir nous faire souffrir ?

Il hausse les sourcils et semble un peu secoué par ce que je viens de lui dire, mais une nouvelle fois, il se reprend vite.

— Nous ne sommes pas là pour opprimer les femmes, ce n’était pas le but de notre arrivée. C’est juste que notre planète… n’était plus habitable. Et nous sommes venus ici pour assurer notre survie. Vous n’êtes que des dommages collatéraux. Et encore, on a fait ça avec dignité, je trouve.

— Avec dignité ? Je suis curieuse de savoir ce que vous entendez par là, parce que personnellement, je considère avoir perdu ma dignité le jour où on m’a ôté mon droit à faire des choix.

— Les vainqueurs imposent toujours leur loi, non ? Et là, ça sert nos intérêts à long terme même si vous ne pouvez pas le comprendre pour l’instant. Pourquoi ne pas accepter la situation et en tirer le meilleur parti ? Et puis, c’est quand même bien utile de pouvoir avoir le calme en utilisant la moitié de la population contre l’autre, non ?

— Et pourquoi nous monter les uns contre les autres ? Pourquoi ne pas nous laisser vivre comme on le fait depuis des dizaines d’années ? En quoi ça change quelque chose pour vous ? Je vous jure que j’essaie de comprendre, mais tout ça me paraît tellement démesuré et cruel envers nous…

— Démesuré et cruel ? Rien que ça ? rétorque-t-il, visiblement meurtri. Ce n’est pas le but. Et ce n’est pas de notre faute si vos hommes vous traitent comme ça. Plutôt que tout nous mettre sur le dos, il ne faudrait pas se demander pourquoi cette règle s’est imposée aussi facilement ici ? Quant à nous, on fait tout pour s’assurer qu’il y a la paix sur votre planète. Ça n'était pas arrivé depuis des années, il me semble. Alors, si on préserve des vies en réduisant quelques libertés, est-ce que ce n’est pas un mal pour un bien ?

Un ricanement m’échappe et j’ai l’impression que mon corps entre en ébullition. Je vais finir par ne plus parvenir à me contenir. Je fais preuve de retenue, évite de m’énerver, lui dis les choses aussi calmement que possible, mais là, il abuse.

— Nos guerres ont débuté à cause de l’ego des hommes. Et par hommes, j’entends les mâles, pas les êtres humains. Si nous, les femmes, nous nous sommes toujours battues pour que nos droits soient équivalents, ces messieurs ont toujours pris les places à responsabilités, et je ne pense pas pouvoir vous donner l’exemple d’une seule guerre entre deux états qui viendrait de la décision d’une femme. Et vous osez me dire qu’en réduisant les libertés des femmes, on évite les guerres ? Je n’ose même pas y croire. Je pensais que vous aviez accès à notre histoire, je dois me tromper, ou alors vous n’avez pas vraiment su collecter les informations et les analyser.

Je le vois froncer les sourcils et se concentrer. Je parierais qu’il est en train de consulter ses données pour vérifier ce que je suis en train de dire.

— Hélène de Troie, Marie de Médicis, Victoria Beckham, toutes ces femmes ont créé des guerres, non ? demande-t-il sérieusement alors que sa réponse me fait pouffer. Quoi ? Ce n’est pas vrai ? Ah non, je vois, ce n’était pas ce que vous vouliez défendre comme point de vue, continue-t-il en m’observant comme s’il voulait lire en moi. A défaut d’être une Valkyrie, vous êtes ce qu’on appelle une féministe, non ?

— Je suis ce qu’on appelle une femme qui aime sa liberté et vivre sa vie comme elle l’entend. J’imagine que vous pouvez comprendre ça, vous qui devez des comptes à vos supérieurs… Imaginez que vous ayez aussi des comptes à rendre sur le choix de vos courses, de vos vêtements, de vos fréquentations, en prime. Imaginez-vous à la place de toutes ces femmes et dites-moi que la situation vous conviendrait… J’en doute.

Il se met à nouveau à réfléchir et je réprime un sourire en voyant l’incapacité des aliens à dissimuler quand ils sont en train de consulter les bases de données auxquelles ils ont accès.

— Vous êtes sûre que vous n’êtes pas une Valkyrie ? finit-il par me demander. Votre discours est proche de ce qu’elles défendent, il me semble. Quant à me mettre à votre place, j’essaie et je comprends que ça ne soit pas très agréable. J’en suis désolé pour vous et je vous concède qu’à votre place, cela ne me conviendrait pas. Heureusement pour moi, je suis du côté des vainqueurs. Que pensez-vous que nous devrions faire, alors ? En sachant que vous n’avez pas tous les tenants et les aboutissants des décisions prises par mon peuple…

Un soupir passe la barrière de mes lèvres. Je ne sais pas trop à combien j’en suis depuis que j’ai commencé à échanger avec lui. Tant que sa petite personne est du bon côté de la balance, il se fiche bien de ce que peut vivre la partie du peuple qui est opprimée et je peine à garder mon calme face à ce mur que je rencontre.

— Je serais bien bête de me mettre en avant de la sorte si j’avais quelque chose à me reprocher. Peut-être devriez-vous nous faire part de ces fameux tenants et aboutissants ? Il s’agit de nos vies après tout. Mais bon, qui suis-je pour vous conseiller de mettre de l’eau dans votre vin dans notre intérêt à toutes et tous ? lancé-je alors que je me lève, le dépit perçant dans ma voix. J’espère qu’un jour vous ferez preuve de suffisamment de clarté et d’empathie pour comprendre que la place qu’ont les femmes dans cette vie n’est pas celle qu’elles méritent. C’est quand même fou qu’un peuple soi-disant si évolué ait des mœurs qui ont un siècle de moins que nous.

— Je n’ai le droit de rien dire, ce sont les ordres. De toute façon, vu comment je gère cette zone et le peu de calme qui règne ici, je risque de ne pas faire long feu. Et on verra si mon successeur fera preuve de plus d’empathie que moi. J’en doute, vous savez. Je ne suis peut-être pas à la hauteur de vos attentes, mais je comprends parfaitement ce que vous ressentez, même si je n’ai pas la marge de manœuvre pour vous venir en aide. Sachez quand même que j’admire votre courage et votre volonté de ne pas abdiquer. Si seulement votre planète avait compté plus de gens comme vous… Faites attention à vous, surtout. Ce serait dommage d'abîmer un si joli visage, conclut-il en me regardant partir après s’être levé et m’avoir fait un petit geste de la tête.

Je ne m’attarde pas plus longtemps et quitte la pièce, dévale rapidement les escaliers et manque de percuter la bonne qui apparaît au bas des marches, un panier sous le bras. Je la salue d’un signe de tête et me presse contre le mur pour la laisser monter.

Les filles ne m’ont même pas attendue et les gardes m’observent quitter la propriété comme s’ils me soupçonnaient d’avoir tué leur chef pendant notre échange ou lui avoir retourné le cerveau. J’aimerais bien, mais il est possible qu’il ait bien fait son travail, lui aussi. Il a raison sur un point, nous attirons l’attention en agissant de la sorte et nous affaiblissons sa position. Et s’il était le mieux que l’on puisse avoir sur la zone ? Des semaines que nous n’avons plus de nouvelles des groupes rebelles des autres zones, les grands manitous ont-ils supprimé tous les opposants ? Comme on dit, on sait ce qu’on perd mais pas ce qu’on retrouve, alors devrions-nous nous calmer un peu ?

Sans parler de ses derniers mots… J’avoue que Nal’ki m’a un peu surprise en me complimentant. J’ai été un peu déroutée par ses propos. Je ne sais pas, à l’heure actuelle, si j’ai fait preuve de courage ou de folie… et je me demande bien à quoi pourra me servir mon joli visage dans cette lutte. Peut-être que cela pourrait nous être utile ?

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