Chapitre 18

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Seul et réprimandé

Nal’ki

— Non, Maxim, on ne va pas tuer cette pauvre femme. Si on n’a rien appris jusque-là, ce n’est pas en insistant et en en éliminant une qu’on va les faire fléchir. Je serais même d’avis qu’on les relâche. Soit elles ne savent rien et c’est pour ça qu’elles se taisent, soit elles savent et ne diront jamais rien parce qu’elles ont le courage que leurs mecs n’ont pas. Bref, dans un cas comme dans l’autre, en tuer une, ça ne changera rien. Tu peux comprendre ça, quand même ! Il suffit de se mettre un peu à leur place pour ne pas se faire d’illusion sur ce que notre politique a comme effets sur elles !

Je dévisage mon ami et vois qu’il n’a pas l’air d’accord du tout. Et pourtant, depuis mon entretien avec Lévana, je n’arrête pas d’essayer de comprendre ces humains dont les comportements sont si déroutants. Et je crois qu’elle a bien raison sur certains points. Notre stratégie ne fait pas tant de sens que ça. Je ne pense pas que les femmes seront plus dociles et plus enclines à s’unir à nous quand nous déciderons d’agir juste parce que leurs maris, pères ou frères, les auront mises au pas. J’ai bien l’impression qu’elles font juste ce qu’il faut pour passer sous les radars mais qu’en réalité, rien n’a vraiment changé par rapport à avant notre arrivée. Ou alors en pire, comme l’a dit la jolie serveuse à laquelle je pense bien trop souvent ces derniers temps plutôt que de me concentrer sur ma mission.

— Donc on menace et on ne fait rien de ce qu’on a promis ? Bravo pour la crédibilité ! s’agace-t-il en s’adossant à la baie vitrée du salon, le regard noirci par la contrariété.

— Tu sais bien que j’ai des valeurs et que je ne transigerai pas. Tant que je suis à la tête de la zone 34, tout sera fait dans le respect et la dignité. La crédibilité, c’est aussi savoir assumer s’être trompé et arranger les choses. Libérons toutes ces pauvres femmes qui n’ont rien fait et reprenons la surveillance comme avant. De toute façon, il faut les garder en vie si on veut pouvoir les utiliser pour notre survie après. Tu vois, j’investis dans l’avenir.

J’essaye un peu d’humour mais ça ne lui plaît pas du tout. Il grogne et se redresse, visiblement énervé.

— Ton oncle ne va pas du tout apprécier ce retournement de situation. Et je dois t’avouer que j’ai de plus en plus de mal à défendre tes choix auprès de nos hommes, Nal’ki. J’ai l’impression que tu ne sais absolument pas où tu vas et ce que tu fais.

— Je suis déçu de voir que tu ne me comprends pas. Je te pensais moins carriériste et je croyais vraiment que tu partageais mes valeurs, soupiré-je. Bref, libère tout le monde et j’en assumerai les conséquences. J’ai encore ce pouvoir, alors puisque je ne peux pas compter sur ton amitié, je m’appuierai sur ta loyauté.

— Très bien. Ce sera fait. A tes ordres… Et sache que notre amitié n’a rien à voir là-dedans. Je n’y peux rien si tu t’es semble-t-il un peu perdu en route.

— Je noterai ton désaccord, rétorqué-je, un peu amer. Cela te dédouanera au moins. Que je sois le seul à assumer, c’est la moindre des choses.

Il se renfrogne mais m’adresse un salut protocolaire avant de me laisser seul. Je croise le regard de Gabrielle qui a l’air heureuse de la décision que je viens de prendre et coupable de s’être fait prendre à la curiosité. Il faudra que je lui dise de ne pas écouter aux portes mais là, j’ai d’autres chats à fouetter. Les nouvelles allant vite, j’entends déjà le buzz sur le canal de discussions et me préparant à la suite logique, je me dirige vers mon bureau où j’ai à peine le temps de m’installer que mon oncle lance une conversation à travers l’intercom qui s’allume et le fait apparaître, menaçant à mes côtés. Je jurerais qu’il met un effet pour apparaître plus grand que s’il était face à moi.

— On ne t’a pas appris la politesse ? Et si j’avais été tout nu dans mon bain ? le provoqué-je en m’affalant dans mon fauteuil pour bien lui signifier que je suis déjà fatigué de cet entretien qui ne fait que commencer.

— Je me fiche de la politesse. C’est quoi cette histoire ? cingle-t-il durement.

Il s’approche de moi et me regarde de haut, on peut le dire, là. Il est vêtu d’un costume blanc et doré et je me demande s’il a encore pris du galon dans le commandement. On a clairement un air de famille, même si la barbe doit jouer dans cette ressemblance, mais j’ai l’impression qu’il est tout en dureté, avec des yeux enfoncés et un nez fin qui pointe vers le ciel.

— Ta question est un peu vague. Tu veux que je détaille quelle histoire ? Et que je te dise quoi ? Depuis quand je dois rendre des comptes sur toutes les décisions que je prends ici ? J’ai raté une évolution des lois ?

— Je crois que tu ne comprends clairement pas dans quelle position tu te trouves, Nal’ki. Je te sauve la mise depuis suffisamment longtemps. Ce n’est pas faute de t’avoir prévenu que tu agissais de manière stupide et irréfléchie ! Libérer les otages sans avoir eu de réponses à nos questions ? Tu ne pouvais pas faire pire !

— Si, je pouvais les tuer alors qu’elles n’ont rien fait. Ça n'aurait pas correspondu à mes valeurs. Ni aux valeurs qui unissaient notre peuple, il y a peu. Je suis donc dans une position très confortable où je suis en accord avec moi-même. Ce n’est pas ou plus le cas de tout le monde.

Je sais que je peux être une tête de con quand je l’ai décidé. Et tant pis, aujourd’hui, ça tombe sur mon oncle, ou plutôt son image, qui lève les yeux au ciel, exaspéré alors que je me fais la réflexion qu’en faisant ça, il se regarde lui-même et je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire.

— Tu t’entêtes, je n’ai d’autre choix que de te demander de quitter ton poste, Nal’ki.

— Ah tu peux me le demander mais je ne crois pas que tu aies le pouvoir de m’y obliger, souris-je, un peu mesquin, en me demandant pourquoi je m’obstine.

— Je crois que tu ne comprends pas bien, mon cher neveu. Tu n’as pas le choix, c’est un ordre du commandement qui considère que tu ne représentes pas notre peuple comme il se doit.

— Un ordre ? Purée, comment vous êtes-vous décidés aussi rapidement ? Moi qui croyais qu’il vous faudrait deux ou trois mois pour arriver à un accord ! Je suis bluffé. Je me suis fait une réputation aussi terrible que ça ?

— Nal’ki ! gronde-t-il vivement. Si tu penses qu’il y a quelque chose de drôle à retirer de tout cela, je me demande si tu as à un moment donné pris ton rôle réellement au sérieux. Tu es le seul à avoir des problèmes sur ta zone, alors je te suggère de prendre conscience de la panade dans laquelle tu te trouves ! Je te signale que tu es rétrogradé avec effet immédiat ! On ne joue pas, il s’agit de l’avenir de notre peuple !

— Ouh là, rétrogradé ? Carrément ? C’est que vous êtes vraiment pas contents ! sifflé-je, faisant mine d’être admiratif.

Je me relève et fais exprès de passer à travers l’image de mon oncle, sachant très bien que la sensation est aussi désagréable pour lui que pour moi. Quitte à provoquer, autant le faire jusqu’au bout, non ?

— Et donc, je suis rétrogradé à quel point ? lui demandé-je en lui tournant le dos. Je vais devoir me pointer au commandement central pour que mon infamie soit rendue publique ? Ils vont me mettre à ton service de protection, peut-être ? Pour être sûr que je ne fais rien de mal vu que tu es planqué là-haut en toute sécurité ?

— Tu n’imagines même pas à quel point tu me déçois, soupire-t-il. Je suis bien content que ton père ne soit plus de ce monde pour ne pas voir cette attitude puérile et provocatrice qui ne te va pas.

— Laisse mon père où il est ! m’emporté-je. S’il avait toujours été là, au commandement, je suis sûr que cette invasion se serait passée différemment ! Lui avait des valeurs. Lui aurait trouvé un autre moyen de mettre ces pauvres femmes à notre service ! Lui aurait cherché à les comprendre avant de les soumettre !

— On voit où ça l’a mené, marmonne mon oncle, mauvais. En ce qui te concerne, tu n’as plus aucun pouvoir de décision sur la zone et ton seul objectif, pour le moment, est de récolter des informations auprès des humains. Peut-être pourras-tu regagner des galons en nous livrant quelques Valkyries.

Je le regarde sans vraiment comprendre où il veut en venir mais il reste imperturbable. Droit dans ses bottes qui sont elles-aussi dorées, ce qui n’était pas le cas il y a quelques jours encore.

— Comment ça, je dois récolter des informations ? Vous ne me rapatriez pas sur le vaisseau planète ? Et… vous croyez vraiment qu’un ancien responsable de zone va pouvoir s’approcher suffisamment des Valkyries pour avoir des informations ? Vous êtes de grands tarés, là haut. J’aimerais bien vous y voir ici, sur le terrain, et observer comment vous vous débrouillez avec ces humains qui n’obéissent à aucune logique. Quoique… vous non plus n’avez aucune logique.

— Les autres dirigeants n’ont aucun problème à faire respecter la loi, Nal’ki.

— En apparence seulement. Quand on reste dans sa tour de commandement et qu’on passe son temps à faire des rapports sur ce que les sbires veulent bien faire voir, on a l’impression que tout va bien. Mais moi, je suis allé sur le terrain. J’ai échangé avec des personnes qui ont osé me dire ce qu’il se passait. Moi, je sais que la soumission des femmes n’est qu’apparente et qu’ils sont en train de se jouer de nous. Alors quand viendra l’heure du grand changement et que l’on passera à la phase deux, je ne suis pas sûr que ce soit dans cette zone qu’on ait le plus de problèmes. Au moins, ici, on est prêts à se battre et à s’imposer. Ailleurs… je rirai bien quand personne n’obéira et que nos plans tomberont à l’eau ! Enfin non, je ne rirai pas… J’ai encore trop de loyauté et trop de valeurs pour souhaiter la fin de mon peuple, quoi que vous puissiez penser.

— Je te conseille de te mettre rapidement au travail, me rétorque-t-il sans même relever mes propos. Il est essentiel que nous mettions un terme aux agissements des Valkyries avant la phase deux, alors toute information est bonne à prendre. Ne me déçois pas davantage.

Et bien sûr, Monsieur met fin à la discussion et disparaît.

— Va au diable, Lorkan, crié-je dans le vide.

Je me retrouve comme un con dans ma maison, sans aucun pouvoir ni aucune responsabilité. Et avec une mission impossible à réaliser. Malgré la bravache que j’ai affichée, je reste quand même abasourdi par leur décision. Ils pensent vraiment que tout ça, c’est de ma faute ? Ils ne se disent pas une seule seconde que cette résistance est juste plus apparente ici qu’ailleurs ? C’est bien ma chance d’être tombé sur des personnes démonstratives. Quand je pense que j’aurais pu être sur une zone où tout le monde ferme sa gueule et que je pourrais être en train de passer en revue les différentes femmes pour choisir ma future partenaire ! Quoique, pas sûr que je passe beaucoup de temps à ça après les échanges que j’ai eus avec Lévana. Cette femme, c’est quelque chose. Et maintenant que je n’ai plus la zone à gérer, je devrais peut-être en profiter pour aller squatter son bar. Je ne sais pas si j’aurai des informations sur les Valkyries mais au moins, j’aurai un beau spectacle à regarder. Et vu que je ne suis plus qu’un simple soldat en charge d’une mission d’espionnage, autant en profiter. Et bon courage à mon successeur ! Il va galérer et je sens que je vais me régaler à le voir s’embourber ici ! Ils verront bien, là-haut, que tout ça n’est pas de ma faute !

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