Chapitre 19

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Questions terriennes

Lévana

— Lev, c’est vrai ?

— Qu’est-ce qu’on va faire ?

— Pourquoi vous ne nous avez rien dit ?

— Il faut qu’on se montre d’entrée, non ?

Wow… Chaque groupe qui passe la porte y va de sa remarque avant de s’engouffrer dans la salle commune, posant à nouveau des questions à Fatou qui leur demande de s’asseoir. Je crois que j’ai perdu ma place d’impulsive ces dernières heures, demandant à notre cellule dirigeante d’y aller mollo sur la transmission des informations au groupe, de réfléchir à un plan d’action, d’envisager de moins se montrer. On peut clairement voir que le commandement des Aliens ne rigole pas et il est temps de se poser, je crois, et d’envisager des actions différentes. Se laisser faire ? Je pense que personne ici n’en est capable, mais il faut aussi que l’on prenne en compte la réalité des choses : ils sont capables de tout pour conserver leur supériorité sur nous.

Je souris en voyant la petite Louane tenter de se faufiler entre les jambes des jumelles pour entrer dans la pièce, et j’attrape son bras pour l’en empêcher.

— Réunion entre adultes, ma grande, n’y pense même pas. Rachel doit te chercher partout, petite furie.

Je la hisse sur mon épaule comme un sac à patates, la faisant éclater de rire, et longe le couloir pour rejoindre la salle de sport où les enfants sont réunis sous bonne garde durant notre réunion d’urgence.

— Mais je veux savoir pourquoi les adultes chuchotent tous depuis ce midi !

Pourquoi les adultes chuchotent ? Mon Dieu, parce qu’il y a des rumeurs qui nous mettent dans tous nos états. Je me souviens avoir pensé qu’on sait ce qu’on perd et pas ce qu’on retrouve suite à mon échange avec le grand manitou de notre zone, et j’avoue que nous sommes tous dans l’expectative. Les infos sont diffusées à vitesse folle grâce à nos informatrices dans la haute sphère de la 34, et heureusement qu’il y a du positif avec la libération des otages, parce que la suite promet d’être incertaine.

Je dépose la petite et fais signe à Rachel de la garder à l'œil, puis regagne la salle commune où tout le monde s’amasse, assis sur les chaises, à même le sol, sur les vieux canapés et fauteuils ou les bords de table. Gaspard, Fatou et Myriam sont debout devant l’assemblée, en plein échange à voix basse. Je déteste lorsque nous faisons ça, mettre de côté les autres membres de notre groupe alors que nous sommes toutes et tous dans le même bâteau.

— On commence ? De toute façon, ce sont des secrets de polichinelle, les rumeurs courent un peu partout, lancé-je à voix haute.

Mon frère acquiesce et me fait signe de m’y coller. Évidemment, il déteste parler en public et encore plus dans ce genre de situation. D’un autre côté, j’imagine qu’il vaut mieux que ce soit moi plutôt que Fatou, qui rêve d’aller faire péter le quartier où nous avons échoué il y a peu, et de mener une rébellion bien plus virulente, arguant que les dommages collatéraux sont légion lors d’une guerre. Myriam, elle, se demande si nous ne devrions pas lâcher l’affaire pour le bien de tous. Elle est un peu moins vindicative depuis la mort d’Hortense, qu’elle connaissait bien, alors j’imagine que comme beaucoup d’entre nous, elle en a marre de voir ses proches la quitter.

— Bien, on va vite arracher le pansement, soupiré-je, faisant taire l’assemblée. Nous savons de source sûre que le grand manitou a été destitué il y a quelques heures par le commandement.

Un nouveau brouhaha s’élève dans la pièce et je me tais, laissant à chacun l’opportunité de marquer sa surprise, sa satisfaction ou bien sa peur. Parce que nous en sommes là : la peur de l’inconnu se fait d’autant plus présente maintenant qu’on sait que celui qui dirige la zone change.

— Et c’est vrai qu’ils ont libéré tous les otages ? C’est le nouveau dirigeant qui a fait ça ?

— Quel nouveau dirigeant ? On sait qui c’est ?

— Pourquoi ils ont renvoyé la Grande Perche ?

Je n’arrive pas à entendre la suite des questions tant le brouhaha se fait intense. A ce rythme-là, on n’arrivera à rien et cette réunion va être particulièrement inutile. Olivier vient finalement à mon secours, il se lève et glisse deux doigts entre ses lèvres pour siffler bruyamment, faisant se calmer un peu tout le monde.

— Merci, Oli, lui lancé-je avec un petit sourire. Nous n’avons pas encore d'informations concernant celui qui va prendre la suite.

— Ce sera encore un enfoiré ! m’interpelle une voix sans que je puisse distinguer qui est intervenu.

— Sans aucun doute, oui. Ça se saurait s’il y avait des gentils dans leur camp. Bref, on ne peut rien vous dire de plus à ce sujet, seulement qu’on va faire profil bas durant quelques jours, histoire de voir à qui nous avons à faire. Nous demandons à celles et ceux qui montent à la surface de laisser traîner leurs oreilles et de nous transmettre toute info qui pourrait nous permettre de mieux cerner la suite des événements. Et concernant les otages, elles ont en effet été relâchées, mais il s’agirait d’une décision de Nal’ki et non du nouveau manitou. D’après nos sources, elles sont actuellement en route pour rentrer.

— C’est une super nouvelle, ça !

J’acquiesce en observant les visages de pas mal de monde se détendre. C’est un soulagement de savoir que nous allons retrouver nos alliées, et que tout le monde va rentrer au bercail. N’empêche, sur les quinze femmes qui ont été arrêtées, ils ont quand même visé cinq Valkyries. Mon frère est devenu fou quand il a appris que Jasmine faisait partie du lot. J’ai cru qu’il allait frapper Olivier, présent au moment de son arrestation, parce qu’il n’a rien fait, ce qui en soi aurait été stupide, mais bon, ça en dit long sur les sentiments de Gaspard pour Jasmine. Il va peut-être falloir qu’ils arrêtent de se cacher, tous les deux, et qu’ils soient un peu plus francs l’un envers l’autre. Un peu d’amour dans ce monde de brutes ne nous fera pas de mal.

— C’est tout ce que nous avons comme informations. Ca veut dire pas grand-chose, je sais, mais au moins tout le monde a les mêmes et on n’entend plus tout et n’importe quoi dans les couloirs. Sur ce, je vous laisse retourner à vos occupations, le dîner ne va pas se préparer tout seul et j’ai un bar à aller ouvrir, moi.

Je dépose un baiser sur la joue de mon frère et quitte la salle commune sans attendre. J’ai plusieurs minutes de marche dans le souterrain pour rejoindre la partie communication et le bar, que nous avons exceptionnellement fermé durant quelques heures. Je n’ai pas vraiment réfléchi à quelle excuse donner si on me posait la question, mais peu importe, les portes sont réouvertes pour l’heure de l’apéritif comme précisé sur l’affiche, Olivier débarque peu de temps après moi et se met en cuisine et le bar reprend vie comme s’il n’avait jamais été clos.

Du moins, c’est ce qui se passe pendant un temps, mais on peut soudainement entendre une mouche voler lorsque la porte s’ouvre sur le grand manitou destitué. Il vient s’asseoir au bar sous le regard de chaque personne présente et je souffle lourdement en jetant mon torchon sur mon épaule.

— Hé, le spectacle est fini, remettez-vous à vos conversations !

Je vais monter un peu le volume de la musique et lance quelques regards insistants pour que tout un chacun reprenne sa vie. Même moi, je trouve ce moment gênant.

Nal’ki lève les yeux dans ma direction lorsque je dépose devant lui un cocktail. Sa chemise blanche d’ordinaire nickel est froissée et ses cheveux sont en bataille. S’il cherche à masquer ses émotions, difficile de manquer ses traits tirés et ses épaules basses, comme s’il portait le poids du monde. Je suis à deux doigts d’avoir de la peine pour lui, mais je repense aux quinze otages, à Hortense, et à ces années de lutte. C’est ça, hors de question de m’apitoyer sur le sort d’une grande tige.

— Je commence déjà à préparer le second ? Vous me semblez avoir besoin d’une forte dose.

— Vos doses ne seront jamais assez fortes, mais oui, il m’en faudra au moins un second et un troisième. Et surtout, qu’on me laisse tranquille, ajoute-t-il en jetant un regard sombre autour de lui. S’il y en a un qui vient me chercher, pas sûr que je sache me contrôler.

— Pas de violence dans ce bar, Monseigneur, lui lancé-je avec un petit sourire. Et entre nous, je ne crois pas que se noyer dans l’alcool fasse des miracles. Surtout sur vous.

— J’ai consulté mes bases de données et c’est ce que je suis censé faire, non ? Si l’alcool ne marche pas, peut-être que regarder une jolie femme aidera un peu quand même ?

— Ce n’est pas parce que votre base de données vous dit ce qu’il est culturellement habituel de faire ici que c’est la seule chose possible. Personnellement, quand je ne me sens pas bien, je préfère manger du chocolat ou me faire un bon petit plat et me goinfrer plutôt que de finir ivre sur ce bar, lancé-je sans tenir compte de son compliment.

— Vous savez bien que je ne finirai pas ivre, soupire-t-il. Je n’aurais pas dû venir ici, c’était une erreur. Mais rester à la maison à déprimer, c’était hors de question aussi.

— Peut-être que c’était une erreur, peut-être pas… Je pense que ce bar est un lieu convivial que mes parents ont créé autant pour accueillir des amis, de la famille ayant besoin de se retrouver, que des gens qui ne voulaient pas rester seuls ou simplement partager une ambiance rassurante. Votre instinct vous a mené ici, moi, ça me fait plaisir, ça veut dire que nous honorons en quelque sorte leur mémoire.

Même si c’est un alien, qu’à cause des siens, les miens m’ont quittée. Ouais, bon, j’avoue que je suis un peu ambivalente, au final, parce que si je voulais vraiment honorer leur mémoire, aucune grande tige ne passerait cette porte… mais il faut faire avec ce que l’on a.

— Je suis vraiment désolé pour vos parents. Mais ils seraient fiers de ce que vous, votre frère et votre mari continuez à faire ici. Il y a toujours une ambiance chaleureuse. Et vu que je n’ai plus rien d’autre à faire d’intéressant, je risque de venir plus souvent. Cela me permettra au moins de voir les conséquences de ce que mon remplaçant va faire…

J’hésite quelques secondes avant de lui répondre, m’accoude finalement au bar face à lui.

— Vous êtes le bienvenu tant que vous ne causez pas de bagarre dans mon bar… Je peux vous poser une question ? Vous savez qui vous remplace ? Est-ce que ça va être encore pire pour nous ?

— Ça ne pourra pas être mieux que moi, vous savez ? rigole-t-il, un peu amer alors que son regard se porte sur mon décolleté. Et oui, je sais qui me remplace. Mes compatriotes ne sont pas réputés pour leur sens de l’imprévu, ni pour mettre un gentil deux fois de suite. Enfin, ce ne sera officiel que dans quelques jours, on verra si je me trompe ou pas.

Super… Voilà qui donne envie ! Je ne sais pas pourquoi, mais je le crois lorsqu’il dit que ça ne pourra pas être mieux. Il n’y a aucun air hautain, aucune mise en avant de sa part, j’ai l’impression qu’il est limite désolé pour nous. Finalement, je boirais peut-être un verre, moi.

— Je vous ressers ?

Il acquiesce et je m’attèle à la préparation de son cocktail, quand j’entends la voix de ma furie retentir dans mon dos. J’ai à peine le temps de me retourner que Jasmine me saute dessus et m’étreint comme si elle ne m’avait pas vue depuis des mois. Je croise alors le regard de Nal’ki, et pour une fois, je laisse passer toutes les émotions sur mon visage. Impossible de retenir les larmes de soulagement qui perlent sur mes joues. Et j’ai la sensation, durant un instant, que ça lui fait quelque chose. Peut-être qu’on va regretter ce changement de chef de zone, en fait…

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