Chapitre 21

8 minutes de lecture

La danse de Miss Contraire

Lévana

— T’es sérieuse ? C’est quoi la prochaine étape, tu lui roules une pelle et lui proposes de monter ?

Je m’éloigne de Gaspard et tourne sur moi-même avant de me retrouver à nouveau ramenée près de lui. J’adore vraiment danser. J’ai la sensation durant quelques minutes que le monde tourne rond, que je peux oublier tout ce pour quoi nous nous battons, tout ce qui est parti en sucette. Ça ne dure jamais bien longtemps, parce qu’après cette euphorie, c’est la culpabilité qui fera son apparition. Moi je peux danser. Qu’en est-il de ma petite sœur ? Où est-elle ? Est-elle seulement encore en vie ? Quand pourrai-je à nouveau la serrer dans mes bras ? Elle doit avoir tellement changé depuis la dernière fois que je l’ai vue.

— J’ai juste dansé avec lui, comme je danse avec toi, soupiré-je. Sois proche de tes amis et encore plus de tes ennemis, non ?

— Ouais, t’étais pas proche, t’étais littéralement collée à lui ! Et tu as vu comme il te mate, encore ? Heureusement que tu es censée être mariée, me glisse-t-il avant de me faire tournoyer à nouveau.

Je me retiens de lever les yeux au ciel autant que de jeter un regard à notre ex-grand manitou. Ai-je passé un bon moment avec lui ? J’en ai bien peur. Est-ce que je culpabilise ? Evidemment ! Pour autant, je n’ai pas non plus agi n’importe comment avec Nal’ki, il n’y a eu aucun geste déplacé. Je n’y peux rien si nos corps ont semblé créer une jolie osmose en dansant !

— Ça va, n’en fais pas tout un plat. En plus, ça pourrait nous servir que je me rapproche de lui, non ?

— Tu as appris des choses ? me demande-t-il, soudain intéressé, entre deux mouvements qui font que je commence à avoir le souffle un peu court.

— Lezeboth va le remplacer. Ça valait le coup, non ?

— Laisse ses bottes ? C’est quoi, ça ? m’interroge-t-il en s’arrêtant presque.

— Bon sang, Gaspard, fais un effort ! Lezeboth, un de ceux de là-haut ! Bref, peu importe, de toute façon, ça ne changera rien au final, mais il dit que ce sera pire qu’avec lui…

— Il ne va pas dire le contraire, non plus. Depuis quand tu crois les Grandes Tiges, toi ? De toute façon, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre.

Je ne les crois pas tous, mais mon instinct me dit que, pour le coup, Nal’ki ne ment pas. Plus je réfléchis à tout ça, et plus je me dis que dans les autres zones, cela doit être bien plus répressif qu’ici. Sinon, pourquoi n’avons-nous plus de nouvelles des autres groupes rebelles ?

Je hausse les épaules en me dirigeant vers le bar alors que la musique change. Si j’adore danser, je ne dois pas oublier que je bosse, à la base, et il y a du monde, ce soir.

— Comme avant leur arrivée, à chaque nouvelle tête au pouvoir les gens se disaient ça, et au final, c’était parfois pire, alors… j’espère qu’on ne sera pas davantage en danger avec le nouveau.

— On est toujours en danger avec eux… Si seulement on pouvait les renvoyer tous d’où ils viennent.

— Je doute qu’on parvienne jusque là… Honnêtement, plus j’y réfléchis et plus je me dis qu’il va falloir faire avec et que l’on devra trouver un terrain d’entente si on parvient à reprendre le pouvoir.

— Vivre avec eux ? s’indigne-t-il. Mais tu es folle ? Tu veux finir ta vie à leur obéir au doigt et à l'œil ? Tu as vu comment ils traitent les femmes ? Et comment ils ont pris tous les pouvoirs sur notre planète ?

— Une fois qu’on aura repris le pouvoir, j’ai dit. Pas dans les conditions actuelles, Gaspard. Tu n’entends que ce qui t’arrange, c’est fou ! J’ai une tête à vouloir jouer les boniches toute ma vie ? A risquer de me faire arrêter comme Jasmine tous les jours ? Hors de question.

— Ce n’est pas une question d’entendre, c’est une question de voir, Lév. Ne danse plus avec cette Grande Tige, je ne lui fais pas confiance, c’est tout. Tu imagines s’il t’emmène sur son vaisseau comme ils l’ont fait avec Jeanne ? J’ai pas envie de perdre ma deuxième soeur… Essaie juste d’avoir plus d’infos sur ce Lèche Bottes de mes deux. Ça sera plus utile que de te trémousser avec lui, assène-t-il un peu méprisant.

Tout mon corps se crispe à ses propos. Je déteste son ton paternaliste et encore plus son attitude.

— Ton discours me pousse à me questionner quant au choix de ton camp, frérot. Votre problème, à toi comme à Olivier, c’est que vous prônez les valeurs des Valkyries en vous comportant parfois comme de bons mecs machos. Je fais ce que je veux, Gaspard, et si j’ai envie de me frotter à un alien, je le ferai. Merci pour tes conseils et jugements.

— Je veux juste que rien ne t’arrive, Petite Soeur, soupire-t-il alors que je m’éloigne pour aller servir un client.

J’en ai bien conscience. Lui comme moi sommes marqués par la disparition de notre sœur et la mort de nos parents et, moi non plus, je ne veux pas qu’il arrive quelque chose à mon frère. Cependant, il est hors de question qu’il soit trop protecteur avec moi et encore moins qu’il ait un quelconque pouvoir de décision sur ce que j’ai le droit ou non de faire. A quoi bon être avec les Walkyries si, au final, il agit comme tous ces hommes ?

J’essaie de passer outre cet échange qui m’a agacée et fais le tour des clients du bar pour prendre les commandes alors que la soirée bat son plein. Je me lâche autant que possible, profite de quelques passages par la piste improvisée pour danser durant quelques secondes, plateau en main, et jubile d’avance de notre chiffre d'affaires du jour qui promet d’être bon.

Toujours aussi à l’aise dans mes déplacements dans le bar, je ne fais pas gaffe lorsqu’un client recule en attrapant la main de sa femme pour l’entraîner danser. Je percute l’homme, trébuche comme une gourde et manque de m’étaler comme une crêpe sur le sol. Heureusement pour moi, un bras fort étreint ma taille et, si je sens que mon tee-shirt n’est plus du tout sec, j’évite le face à face avec le parquet. On entend à peine le bruit du verre qui se brise au sol, cependant, difficile de passer outre l’odeur de bière qui me monte au nez.

Je reste un instant immobile au contact d’un torse contre mon dos. Un frisson me parcourt des pieds à la tête et je me demande si c’est dû à la chaleur qui se dégage du corps contre le mien ou la fraîcheur du liquide qui imbibe mon haut et va rendre rapidement ma peau collante.

Croisant le regard lourd de sens d’Olivier, je me dégage délicatement de ce bras qui ne me lâche pas et me tourne vers mon sauveur, dont les yeux azur semblent apprécier la vue. Je croise les bras sur ma poitrine, ce qui semble le ramener à la réalité.

— Merci pour le coup de main, marmonné-je en récupérant mon plateau. Vous n’étiez pas obligé…

— Je n’allais pas vous laisser tomber sans rien faire quand même ! Vous auriez préféré vous faire mal ? Et puis, il faut bien que mes grands bras servent à quelque chose.

C’est quoi le pire, lui qui reluque mes seins ou le mec qui m’a fait tomber qui ne s’excuse pas ? Au moins, l’un des deux ne fait pas comme si je n’existais pas. L’autre a littéralement renversé sa boisson sur moi en plus de me bousculer, mais la seule chose qu’il fait, c’est m’en demander une autre… Un soupir m’échappe et je me retiens de sortir de mes gonds tant bien que mal.

— Je reviens…

Je file au bar et demande à mon frère de s’occuper du client, le temps que j’aille me changer. Ayant déjà vécu ça, j’ai l’habitude d’avoir une tenue de rechange dans un placard de la cuisine, aussi je m’empresse d’y aller et m’enferme dans les toilettes pour me nettoyer et tenter de faire disparaître cette odeur que j’exècre.

Je tombe nez à nez avec un torse large à peine sortie de la pièce et je manque de le percuter. Je lève les yeux sans avoir pour autant de doute sur le propriétaire de ce corps qui était collé au mien il y a quelques minutes, et l’observe quelques secondes avant de froncer les sourcils.

— Les toilettes des hommes, c’est l’autre porte, Monseigneur.

— Il va peut-être falloir arrêter cette habitude de me rentrer dedans, non ? répond-il, moqueur. Je suis peut-être un étranger ici, mais je sais encore lire les panneaux, vous savez ? Je suis si petit que ça que vous n’arrivez pas à me voir ?

— Vous êtes sur mon parcours et il faut être deux pour se rentrer dedans, je crois, alors disons que les torts sont partagés ?

— Je vais me contenter de partager ça… en attendant de partager une autre danse peut-être ? Maintenant que vous êtes propre, je peux espérer un remerciement pour mon sauvetage avec quelques pas ensemble ?

Je le contourne pour entrer dans la cuisine et me morigène pour mon acte puisqu’il me suit. Je jette un coup d'œil discret en direction du meuble qui cache l’une des entrées du souterrain et suis rassurée de voir que rien ne peut laisser paraître qu’ici se trouve sans doute ce qu’il veut le plus au monde.

— J’allais vous offrir un verre, pour être honnête. Je n’ai pas trop le temps de danser, surtout si je dois éponger les restes de bière au sol.

— Va pour un verre, alors. Je ne veux pas vous empêcher de faire votre travail, même si j’espère pouvoir renouveler un jour une petite danse avec vous.

Je profite d’être en cuisine pour récupérer quelques bouteilles d’alcool dans le stock. J’essaie de me concentrer sur celles qui étaient presque vides, mais j’ai du mal à mettre de côté les propos de Nal’ki.

— Vous avez conscience que je suis mariée, n’est-ce pas ?

— Oui, j’ai vu votre mari, en effet. Mais je ne demande qu’une danse. Vous n’êtes pas du genre à vous soumettre aux interdictions de votre mari, il me semble…

— Vous commencez à un peu trop bien me cerner, m’esclaffé-je. Ne lui dites rien, mais j’adore faire le contraire de ce qu’on me demande. Je n’y peux rien, je crois que je m’épanouis dans la contradiction, mais je pense qu’il apprécie que tout ne soit pas trop facile à obtenir.

— C’est clair que quand on obtient trop facilement la récompense, le prix obtenu n’a pas de saveur. Alors, puisque vous êtes le chantre de la contradiction, ne venez surtout pas danser avec moi !

Je souris et lui fais signe de sortir. Une fois que nous nous trouvons tous les deux dans le couloir, je prends un air ennuyé.

— C’est différent avec vous. Je n’ai pas vraiment le choix que d’obéir, il me semble, puisque c’est vous qui avez gagné. Donc, je vous remercie de vous contenter d’un verre gratuit plutôt que de me prendre de mon temps ô combien précieux. A plus tard, Monseigneur.

Je lui fais une petite révérence et l’abandonne dans le couloir pour regagner le bar. Une chance que ni Olivier, ni Gaspard, n’ait vu que Nal’ki m’avait suivie, sans quoi ils auraient sans aucun doute débarqué tous les deux pour jouer les protecteurs. En attendant, alors que je prépare le cocktail de notre ancien Grand Manitou, je me refuse à penser que j’aurais sans doute apprécié une seconde danse en sa compagnie. C’est hors de question.

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