Chapitre 26
Nal’ki voit rouge
Nal’ki
Avant de partir pour ma sortie quotidienne au bar, j’essaie une nouvelle fois de me connecter au fichier secret. Mais comme précédemment, on dirait que cette requête ne peut aboutir. Contrairement à mon dernier essai où tout s’était figé, là, la base de données reste active mais bientôt, une croix rouge apparaît et s’imprime sur mes rétines. Je suis obligé de tout arrêter et me demande ce que ça signifie. Mes codes me donnent le droit de voir plein de choses réservées aux initiés mais le nom de Jeanne semble tout faire bugger. Quelqu’un a visiblement pris la peine de dissimuler ses traces, mais pourquoi ? Et où est la jeune femme ?
Alors que je me lève de mon bureau, j’ai la surprise de voir la boîte à réunion s’allumer et une présence se matérialise à mes côtés. Encore un membre du Conseil, un ami de Lorkan, mon oncle, et je me demande ce qu’il me veut. Surtout que ce n’est pas très poli de s’inviter ainsi chez les gens sans s’être annoncé.
— Bonjour Roo’Lev. Quel bon vent t’amène ? Tu as une mission aussi importante que la fouille de sous-vêtements à me confier ? me moqué-je.
Il faut dire que j’en garde un souvenir impérissable et que j’en ai même rêvé. Bon, pas toute la fouille, j’avoue, mais l’épisode chez Lévana était mémorable. Quelle femme ! J’ai toujours en tête la vue de ses jolies fesses bien rebondies et de ses courbes que je décrirais comme parfaites. En plus, maintenant, à chaque fois que je la croise, j’imagine quel sous-vêtement elle peut porter et cela ne fait rien pour calmer mon excitation. Malheureusement pour moi, je suis ramené à la réalité par mon compatriote qui attaque aussitôt sur le motif de mes recherches et non l’objet de mes pensées secrètes.
— Je peux savoir ce que tu fais, Nal’ki ? On m’a rapporté que tu mettais le nez là où tu ne devrais pas.
— On t’a rapporté ? me moqué-je. Je dirais plutôt que vous avez mis des mouchards sur certains fichiers qui ne sont pas recommandables, on dirait. Tu peux me dire qui cache quoi et pourquoi ? Je croyais qu’en tant que responsable de zone, le fichier secret nous était accessible. Il se passe quoi avec cette Jeanne ? Une erreur judiciaire ? Une capture qui a mal tourné ? Je suis de plus en plus curieux…
Prêcher le faux pour savoir le vrai, une technique qui fonctionne parfois, mais Roo’Lev a trop de bouteille pour tomber dans mon piège.
— Tu n’es plus responsable de zone, je te rappelle. Cela ne te regarde pas.
— Je l’ai été pendant longtemps et je ne savais pas qu’il y avait une partie du fichier secret encore plus secrète. C’est un comble, ça. Vous prônez l’ouverture et la transparence, mais il semblerait que le Conseil a des choses inavouables même pour ses plus fidèles serviteurs. Je dois m’adresser à qui pour avoir accès aux informations dont j’ai besoin pour coincer les Valkyries ?
— Tu as accès à toutes les informations dont tu as besoin, ce n’est pas la peine de trop en connaître, c’est mieux ainsi.
Je m’amuse à faire le tour de mon interlocuteur virtuel, ce qui doit l’agacer au plus haut point car il est obligé de mobiliser plus d’énergie pour ne pas me perdre de son champ de vision.
— Tu n’as pas répondu à ma question. Mais tu as bien fait de venir me voir, en tout cas. Maintenant que je sais à quel niveau m’adresser, cela va m’aider à orienter mes recherches. Vous avez dû vraiment merder pour en arriver à pister ceux qui font simplement une petite recherche. Je sens que ça va être intéressant quand j’aurai le fin mot de l’histoire, le menacé-je ouvertement.
Ce qu’il y a de bien à discuter avec un homme qui est certes dans la haute sphère du pouvoir et du commandement mais loin du terrain, c’est que moi, j’ai l’habitude de m’adresser à des gens qui n’obéissent pas ou n’agissent pas comme je le souhaite. Ce qui n’est visiblement pas son cas, car il devient tout rouge et se rend compte qu’il a fait une erreur en essayant de m’intimider. Si j’avais été confronté à une absence de réponse, j’aurais tout simplement pensé à un dysfonctionnement technique, mais la problématique est toute autre désormais. Et je sens qu’il va falloir que je creuse la question, ce sera peut-être le moyen de revenir dans les bonnes grâces du pouvoir établi et d’en envoyer d’autres au sous-sol de la considération générale. Quitte à ne plus avoir de zone à gérer, cela pourra bien m’occuper l’esprit, je pense.
— Qui a tout bloqué comme ça ? le relancé-je alors qu’il semble réfléchir intensément à ce qu’il va faire.
— Pourquoi tout ceci t’intéresse tout à coup ? Est-ce que tu traînes un peu trop avec les humains, Nal’ki ? N’oublie pas d’où tu viens et choisis bien tes luttes.
— On m’a confié une mission d’espionnage et de recherche d’informations sur les Valkyries, je mène donc l’enquête. Et j’ai le sentiment que la disparition de cette jeune femme est liée à l’existence même de ce groupe de rebelles. Je fais juste le travail que m’a confié le Conseil. Ce serait bien que vous m’aidiez un peu si je veux obtenir des résultats, non ?
Je mens mais en même temps, je me demande si je ne suis pas proche de la vérité. Vraiment rien ne laisse à penser que Lévana est une Valkyrie mais elle doit avoir des liens avec elles, vu sa personnalité. Qui me dit qu’elle n’a pas évoqué cette disparition avec une des rebelles ?
— Ce n’est pas à moi de te donner accès à ces informations. Vois ça avec ceux qui t’ont missionné, mais je te déconseille vivement de mettre le nez dans cette histoire, ton oncle n’appréciera pas.
— Bien reçu ! crié-je à l’oreille virtuelle de mon invité surprise, le faisant sursauter. Merci du conseil ! La prochaine fois, si tu peux venir avec des infos plutôt que des conseils, ça sera mieux. Capice ?
Je n’attends pas qu’il me réponde et sors de la pièce sans me préoccuper de ce qu’il va en penser. J’ai désormais plein de choses en tête et c’est la première fois depuis la fouille chez Lévana que ces pensées ne tournent pas autour d’un postérieur bien affriolant. Je me demande ce qui est arrivé à cette pauvre Jeanne et j’imagine le pire. On avait comme consigne de préserver au maximum les vies humaines pour que la phase deux se passe au mieux. Là, clairement, il y a eu un problème mais je suis bien incapable de savoir de quoi il s’agit. Et puis, il y a la jolie brune. Elle semble clean et nous n’avons rien trouvé d’incriminant chez elle mais j’ai un doute désormais. Enfin, je l’avais déjà un peu avant mais là, il est plus présent. Je me demande comment je vais pouvoir la faire parler sur ses liens avec les Valkyries sans me l’aliéner complètement. Il va falloir que je sois subtil. Et que j’arrive à me concentrer malgré l’attrait et le désir que je ressens dès que je l’aperçois.
Alors que je me dirige vers le bar, j’ai la surprise de la voir en sortir, des sacs de course à la main. Aujourd’hui encore, son haut fleuri et ses pantalons ajustés la rendent attirante. Enfin, j’ai l’impression que quoi qu’elle porte, elle est belle. Et ce sourire qu’elle m’adresse alors que je m’approche d’elle, comment y résister et garder les idées claires ? Difficile… J’essaie néanmoins de ne pas bafouiller quand je l’aborde.
— Vous n’êtes pas de service aujourd’hui ? Cela vous dérange si je vous accompagne ? Je voulais vous parler de votre sœur. Mes recherches sont bloquées pour l’instant mais j’ai une idée pour faire avancer les choses.
— J’ai réussi à négocier une journée de repos auprès du patron. Ou j’ai décidé de faire faux-bonds aux hommes, mais si c’est le cas, je ne l’avouerai jamais. J’allais monter chez moi… Vous… vous m’accompagnez ?
— Chez vous ? Euh… si vous voulez mais promis, je ne fais pas de fouille aujourd’hui.
— En voilà une bonne nouvelle, vous me rassurez, je ne suis pas sûre d’avoir rangé mon tiroir à petites culottes, ce matin, me lance-t-elle avant de m’offrir un clin d'œil. Suivez-moi…
— Vous ne prévenez pas votre mari ? m’inquiété-je tandis qu’elle se dirige déjà vers chez elle.
— Prévenir mon mari ? Pour quoi, au juste ? Je veux savoir ce que vous avez comme infos sur ma soeur, je ne risquerais pas qu’il m’interdise de vous voir par ego ou jalousie.
Cette femme est vraiment différente. Je ne sais pas si je dois plaindre son mari qui semble n’avoir que peu ou pas de contrôle sur elle ou si je dois l’envier de pouvoir vivre avec elle.
En parfait gentleman, je lui tiens la porte alors qu’elle entre avec ses sacs, mais hésite ensuite sur la marche à suivre. Elle m’indique de m’asseoir sur son canapé où elle s’installe près de moi. Tant de proximité me trouble un peu mais j’essaie de garder mon sérieux.
— Je ne sais pas dans quoi votre sœur est tombée mais ce n’est pas clair…
— Vous avez plus approximatif comme informations encore ? Qu’est-ce qui n’est pas clair ? Vous n’avez rien trouvé de plus ?
— Disons que j’ai épuisé les méthodes officielles et que ça a fait du bruit en haut lieu. Il y a des gens qui veulent que ça reste secret et moi, j’adore ce genre de défis, affirmé-je en souriant. Il n’est pas dit qu’ils m’empêcheront de connaître la vérité. Vous avez une photo de votre famille, il me semble, non ? J’ai cru la voir en fouillant votre…
Je m’arrête car je repense à ses culottes en dentelle et cela me fait rougir légèrement, me stoppant dans mes paroles.
— Oui, j’en ai effectivement une dans ma chambre, sourit-elle en se levant. Vous voulez aller fouiller ou je peux le faire ?
— Non, non, ramenez-la moi s’il vous plaît. Il faut que j’en fasse une copie… Je vais voir si mon contact sur place pourra utiliser la photo pour avoir des informations. Mais si c’est trop dangereux pour elle, je devrai y aller moi-même.
— Si c’est trop dangereux pour elle, j’imagine que ça doit l’être pour vous aussi, non ? me demande-elle en me tendant le cadre.
— C’est une Terrienne, elle n’a aucun statut véritable là-bas tandis que moi, je reste un officier, ça change tout.
J’observe un instant la photo où je peux y lire plein de choses, notamment le bonheur d’une famille réunie, et je comprends un peu mieux l’amertume de la jolie brune qui a repris place à mes côtés. Notre arrivée a mis fin à cette joie et je m’en veux un peu. Je fais rapidement ma copie et lui rends le portrait.
— Merci, je vous tiendrai au courant. Promis.
Je l’observe alors qu’elle reste silencieuse devant l’image un long moment. Je sens une forte tristesse l’étreindre et j’ai envie de la prendre dans mes bras mais je me retiens. C’est un peu à cause de moi si elle est dans cet état. Je sais bien que ce n'était pas intentionnel mais on ne fait pas une guerre sans qu’il y ait des victimes. Et tout ce qu’on pourra faire après, ça ne rattrapera jamais totalement ces blessures intimes. C’est bien dommage, je ne dirais pas non à lui faire un câlin à cette jolie femme, moi.
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