Chapitre 28

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Brillante tête de mule

Nal’ki

Le Blue Heart est étonnamment calme aujourd’hui et je me demande où sont tous les clients habituels que je commence à bien connaître du fait de mon assiduité. Cela ne me dérange pas plus que ça car Lévana est présente, même si elle est occupée à échanger avec son mari. Je profite du peu d’activité pour faire un point sur ma situation. Du côté de mes compatriotes, je suis toujours une sorte de pestiféré. Ils me demandent de les aider lorsqu’ils ont besoin de main d'œuvre, mais je n’ai plus accès aux réunions de commandement. Maxim m’évite pour ne pas compromettre ses chances de promotion et Lezeboth n’a que faire de mes conseils. Le seul intérêt qu’il me porte, c’est quand je transmets mes observations glanées en taverne. J’ai alors le droit à un magnifique “OK”. C’est pas un bavard, le nouveau responsable. C’est pas un tendre non plus. Avec les fouilles qu’ils ont organisées, ils ont trouvé quelques éléments compromettants chez une jeune femme qui habite une maison isolée, en dehors de la ville. Et depuis, ils sont convaincus que le camp des Valkyries est dans la forêt qui jouxte cette maison. Je crois qu’ils n’arrêteront pas tant qu’il restera un arbre debout. Et la pauvre est questionnée tous les jours, n’évitant la torture que parce que nos lois l’interdisent.

En ce qui concerne mes recherches sur la sœur de Lévana et le moyen d’aller enquêter avec celle-ci sur le vaisseau planète, je suis aussi au point mort. J’ai envisagé tous les scénarios et autant moi, ça ne pose pas trop de problèmes de retourner auprès des autres, mais pourquoi j’emmènerais Lévana ? Elle est mariée et je n’ai donc aucune raison de la prendre avec moi. Et depuis qu’elle a fait cette demande un peu folle, je ne pense plus qu’à ça. Elle s’impatiente un peu mais comprend pourquoi je préfère prendre mon temps et ne pas faire n’importe quoi pour ne pas la mettre en danger.

Je profite d’être perdu dans mes pensées pour me connecter au réseau général où, comme d’habitude, tout le monde parle en même temps. Cependant, j’arrive à percevoir qu’un thème semble surnager dans le flot des messages qui s’échangent entre mes compatriotes. On dirait que la grande fête qui commémore notre départ de notre planète se profile à l’horizon. C’est difficile de déterminer la date exacte car les rotations ne sont pas les mêmes sur nos deux mondes, mais on a quelques chercheurs qui régulièrement déterminent un jour pour cette célébration. Au fur et à mesure du temps qui passe, j’ai de plus en plus l’impression qu’ils choisissent au hasard mais je n’ai pas de preuve de ce que j’avance et je suis déjà assez mal vu pour faire des vagues à ce sujet.

— Je vous ressers ?

Je suis sorti de ma rêverie par la jolie brune qui occupe tant de mes pensées et lui souris.

— Vous allez me ruiner, je crois. Heureusement qu’en tant qu’envahisseurs, nous nous sommes octroyés de beaux revenus, pouffé-je. Je veux bien un autre cocktail. On dirait presque qu’il fait un peu d’effet !

— Plus vous vous ruinez, plus je m’enrichis. Comptez sur moi pour continuer à vous proposer à boire, sourit-elle. En revanche, je crois que vous vous faites des films, je n’ai rien changé à la recette, si ça vous fait de l’effet, ça doit être psychosomatique.

— Si en plus d’être belle, vous utilisez des mots comme ça, comment voulez-vous qu’on vous résiste ?

— Je vais faire comme si vous ne veniez pas d’affirmer à demi-mots que vous me pensiez jolie et peu cultivée… Où en êtes-vous, concernant ce que vous savez ? me demande-t-elle plus bas.

— Je peux vous dire que jamais je ne vous ai trouvée peu cultivée. Il faut m’excuser si parfois je suis un peu maladroit avec les femmes, je manque d’habitude. Et peut-être que vous me déconcentrez un peu trop. Bref, concernant notre histoire, je n’avance pas beaucoup. C’est pas aussi facile qu’il n’y paraît, vous savez ? Et puis, vu que c’est vous le cerveau dans l’histoire, il faudrait peut-être penser à m’aider un peu, la provoqué-je gentiment.

— Ce n’est pas moi qui vous déconcentre, c’est vous qui n’êtes pas capable de vous tenir, chuchote-t-elle. Je n’y peux rien si le corps d’une femme vous empêche de réfléchir, Monseigneur. Quant à vous aider, je ne dis pas non, mais je ne connais pas suffisamment vos habitudes et vos us et coutumes pour pouvoir proposer quelque chose, je pense.

Ce n’est pas le corps d’une femme qui est en cause, c’est le corps de la femme qui me parle. Et sa personnalité aussi. Quel caractère. J’ai beau apparaître là, sans idée, sans avancée, elle n’abandonne pas. Jamais. C’est assez incroyable.

— J’ai trouvé un motif pour me rendre sur le vaisseau planète. Il y a, comment dire… une sorte de fête nous concernant, une commémoration de notre départ de notre planète. Jusqu’à présent, je n’ai jamais pu m’y rendre, trop pris par mes responsabilités sur la zone. Mais maintenant que je suis libre, plus rien ne me retient et je peux m’y rendre sans attirer de soupçons. Par contre, ça ne résout pas la question de votre venue à vous. Vous êtes sûre que vous voulez vous joindre à un Monseigneur incapable de réfléchir ?

— Vous n’utilisez pas des êtres humains pour ces fêtes ? Je pourrais être engagée pour le service ?

Mais quel idiot je fais ! Bien sûr qu’elle a raison ! Elle est vraiment brillante, cette femme. Après, je ne sais pas vu que je n’y suis jamais allé, peut-être que tout est géré par des robots.

— C’est peut-être le cas, mais je n’y ai jamais assisté, Lévana. Vous savez qu’on a beaucoup de robots à notre service… mais aucun n’a votre charme… et votre talent pour les cocktails. Peut-être que ça se tente… Vous vous sentez de servir tout ce monde ? Et après, il y aura la question du retour ici. Normalement quand une Terrienne part là-bas, elle ne revient pas. Quoique… vous êtes mariée, continué-je à réfléchir tout haut. Je ne suis pas sûr que la situation se soit déjà présentée… Et rien que pour ça, ça me donne envie de tenter le coup et de donner un coup de pied à la fourmilière, comme vous dites ici.

Je vois naître dans son regard une excitation que je n’avais pas vue jusque là. On dirait que tout son visage s’illumine et que je viens de lui offrir le Nirvana. C’est fou l’effet que ça me fait de la voir s’ouvrir comme ça et ça me donne envie de répéter encore et encore les bonnes nouvelles tellement cela la sublime. Tu m’étonnes que je perde tous mes moyens devant elle. Déjà en temps normal, je suis subjugué, alors là, comment faire autrement que la désirer ardemment ? C’est tellement dommage qu’elle soit mariée…

— A vous de vous renseigner, Monseigneur. Mes cocktails pourraient sans doute faire sourire certains de vos camarades bien coincés du popotin, me lance-t-elle avant de me faire un clin d'œil.

— On a un peu de temps pour préparer ça, nos spécialistes n’ont pas encore décidé de la date exacte, mais ça ne saurait tarder. Et en parlant de gens coincés du popotin, vous avez évoqué votre souhait de vous joindre à moi à votre époux et à votre frère ? Cela ne les dérange vraiment pas de vous laisser partir ?

— Nal’ki, soupire-t-elle en se penchant à mon oreille. Je vous l’ai dit, peu importe vos règles moyenâgeuses, dans la vraie vie, certaines femmes ne se laissent pas faire. Je fais ce que je veux et je ne rendrai certainement pas de comptes à mon mari ou mon frère. Je vous conseille d’ailleurs de ne rien leur dire.

— Ce n’est pas une question de règle, m’agacé-je. C’est une question d’être inquiet pour ceux qu’on aime et dont on est proches. J’ai bien compris que vous faisiez ce que vous vouliez, cela n’empêche pas qu’ils doivent tenir à vous, non ? Moi, à la place de votre mari, je peux vous dire que j’aurais toujours envie d’essayer de vous protéger, aussi indépendante et forte que vous êtes. Ce sont des sentiments qui n’existent pas sur cette planète ? Ici, un frère, un mari, laissent leur soeur ou épouse prendre tous les risques en toute indifférence ?

J’ai un peu haussé le ton, ce qui attire les regards sur nous mais je m’en moque. Mes yeux sont plongés dans ceux de Lévana qui ne détourne pas son regard en me répondant.

— Ces sentiments existent bel et bien ici, mais à quoi servent-il, au final ? Mes parents voulaient à tout prix me protéger, prendre soin de moi. Résultat ? Ils sont morts. Je préfère encore qu’Olivier et mon frère ne sachent rien, cela leur évitera d’agir de manière stupide en voulant me protéger, et de risquer leurs propres vies.

— C’est fou que vous ne leur ayez toujours rien dit, soufflé-je plus discrètement. Mais je le répète, ça va être très dangereux là-haut, pour vous. Même si c’est difficile pour vous, il faudra me faire confiance et me laisser jouer le rôle qu’ils ne vont pas pouvoir exercer. Vous aurez besoin de protection et de soutien, quoi que vous en pensiez. S’il vous arrivait quelque chose, je ne me le pardonnerais jamais. Alors s’il vous plaît, j’espère que si on arrive à aller sur le vaisseau planète tous les deux, vous ne ferez pas votre tête de mule !

— Je ne peux rien vous garantir, vous commencez à bien me connaître, je crois, rit-elle.

— Eh bien, si je n’ai pas votre promesse que vous m’écouterez, on en reste là, affirmé-je fermement en essayant de dissimuler le sourire qu’elle provoque chez moi avant de reprendre sur un ton moqueur. Ce n’est pas trop vous demander, ça, il me semble. Écouter un personnage masculin, comme la règle le prévoit d’ailleurs, vous pensez que vous saurez faire ?

— Honnêtement ? me demande-t-elle en semblant réfléchir à ses propos. Je crois que je pourrai le faire, l’espace de quelques heures. J’ai bien conscience que là-haut, je ne pourrai compter que sur vous. Cela dit, il ne faudra pas trop vous habituer à ma docilité.

— Qui sait ? C’est peut-être vous qui y prendrez goût, rigolé-je à mon tour avant de réaliser que ça fait trop longtemps que nous parlons quand j’observe son mari se rapprocher. Et je crois que vous allez devoir vous justifier auprès de votre époux sur tous ces chuchotements, éclats de voix, rires… J’aimerais bien être une petite souris pour savoir les justifications que vous allez lui donner !

— Oh, ne vous inquiétez pas pour ça, je vais lui dire que je vous ai dragué, ça détournera l’attention de vous… enfin, ce n’est pas vraiment garanti et pas ma meilleure idée. Je vous apporte votre boisson.

Elle se retourne et s’éloigne, tout de suite alpaguée par son mari qui semble énervé. Jaloux même, ce qui n’est pas surprenant si elle lui dit qu’elle m’a dragué. Et pourquoi cette idée me fait autant plaisir ? On n’était pas en train de flirter là, si ?

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