Chapitre 29

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La (fausse) bonne idée

Lévana

— Merci, Lévana.

J’acquiesce et ébouriffe les cheveux de la petite Louane, souris en la voyant courir et disparaître dans le couloir, rattrapant une autre fillette avec qui elle simule une prise de Krav maga que nous avons travaillée aujourd’hui. Le groupe est très assidu, c’est toujours un plaisir de leur enseigner ce que mon paternel m’a lui-même transmis il y a des années, et durant ces instants, même si nous faisons quelque chose d’utile, tout le monde oublie un peu le pourquoi nous apprenons cela à nos filles. Il y a toujours une certaine légèreté dans cette pièce aménagée en salle de sports, comme si l’effort physique nous permettait à toutes et tous de mettre de côté nos galères quotidiennes. C’est une réalité encore plus importante depuis qu’ils nous ont envahis.

Une fois toute ma petite troupe partie, je rejoins le bloc de douches le plus proche pour me laver et me changer. J’essaie de ne pas perdre trop de temps dans les couloirs, mais cette petite société souterraine est du genre bavard et curieux. Aussi, je débarque dans notre salle de réunion avec pas moins de vingt minutes de retard. Je repère de suite l’agacement de Gaspard et Fatou, ma camarade impulsive qui ne se gêne pas pour me fusiller du regard.

— Désolée, je donnais un cours ce matin. Vous connaissez les gosses.

— Et on te connaît toi aussi, me lance-t-elle, clairvoyante.

Je lui souris outrageusement et m’installe sur la dernière chaise libre. Jasmine pose une main qu’elle souhaite sans doute apaisante sur l’avant-bras de mon frangin, tous deux face à moi, et Myriam se racle la gorge en rapprochant sa chaise de la table, à ma droite.

— Pourquoi tu tires la tronche comme ça ? interpellé-je mon frère.

Moi, provocatrice ? Si peu…

— Qui a dit que je tirais la tronche ? grommelle-t-il en ignorant sa compagne. C’est peut-être simplement parce j’en avais marre d’attendre avec tout le monde que Madame daigne enfin se pointer. Tu rêvassais à ton alien sous la douche ?

Un ricanement m’échappe, mais je ne relève pas sa pique. Est-ce que j’ai rêvassé à Nal’ki sous ma douche ? Même pas ! Et quand bien même je l’aurais fait, jamais je ne l’avouerais à mon frangin.

— Non, je n’ai pas eu le temps pour ça, même pas pour une mini grasse matinée coquine, contrairement à toi. On peut commencer à présent, je suis là… Il paraît que deux d’entre vous ont eu une brillante idée ? Je suis curieuse de savoir de quoi il s’agit.

Cette réunion a été décidée il y a à peine douze heures… Apparemment, Myriam et Gaspard ont longuement échangé au bar, hier soir, entre deux regards noirs à mon intention puisque je discutais avec Nal’ki. Olivier s’est même joint à eux à un moment donné…

— Il faut qu’on marque un grand coup. Leur nouveau grand manitou, c’est un malade. Il est encore plus con que l’ancien et surtout, on dirait qu’il n’a qu’une envie, c’est nous détruire. Il n’arrête pas d’emprisonner des gens au hasard, en espérant les faire parler sur nous. Et ça pourrait arriver à force d’insister, on n’est pas à l’abri d’une dénonciation… C’est inadmissible et ça ne peut plus durer ! Il faut lui montrer qu’on ne va pas se laisser faire !

Mon frère est remonté comme un coucou et c’est Jasmine qui le calme un peu, mais les deux autres l’applaudissent après sa tirade. Cependant, c’est Myriam qui reprend.

— Avec Gaspard, on a eu une excellente idée et je suis sûre que vous allez l’adorer, explique-t-elle plus doucement. Et pour ça, on va capitaliser sur les progrès qu’a fait Lévana avec nos ennemis.

Je sens un frisson parcourir mon échine et il n’a absolument rien d’agréable. Je crois que je ne vais pas vraiment apprécier la suite des événements. Il est hors de question de capitaliser quoi que ce soit sur ma relation avec Nal’ki. J’ai besoin de lui pour retrouver Jeanne et il ne servira qu’à cela pour le moment. Après ça, ils feront bien ce qu’ils veulent avec lui, je m’en contrefiche, mais tant que je ne saurai pas ce qui est arrivé à ma petite sœur, ils peuvent se gratter. Est-ce que je m’en fiche vraiment, de l’après ? Bien sûr ! Enfin…

— Capitaliser quels progrès, au juste ? demandé-je en me redressant sur ma chaise. Nal’ki balance des infos au compte-goutte, je fais de mon mieux, d’autant plus que depuis qu’il n’est plus notre chef, il n’a plus accès à toutes les informations de son groupe.

— Non, on ne peut pas compter sur ces infos, rétorque mon frangin. Au mieux, ce sont des infos qu’on connaît déjà mais avec ces grandes perches, on peut être sûrs qu’ils vont nous mentir ! On en a assez de les écouter ! Et comme il a l’air bien intéressé par tes charmes, ma très jolie sœur, il va falloir les utiliser à bon escient, si tu vois ce que je veux dire.

— Arrête de tourner autour du pot, Gaspard, et dis-moi clairement ce que tu attends de moi, soupiré-je. N’oublie simplement pas que c’est mon corps et que j’en disposerai comme je l’entends, même si on vit dans ce monde bien pourri qui nous oblige à jouer les chatons dociles.

— Ouais, eh bien ne l’utilise pas trop, hein. On a juste besoin d’appâter l’ancien grand manitou. Tu lui donnes une invitation, tu secoues ton décolleté devant ses yeux et hop, on le capture et on a un otage ! Là, ça rigolera moins chez les aliens !

Je grince des dents en l’écoutant, et je ne saurais dire si c’est surtout à cause de sa façon de me considérer ou de son idée stupide.

— Tu sais qu’il est mis de côté pour toutes les décisions actuelles ? Il n’a plus aucun pouvoir, cela ne sert strictement à rien de le faire prisonnier.

— Il traîne tous les jours ici, ce sera facile de le capter, surtout si tu l’attires, renchérit Myriam. Et on s’en fout qu’il ne prenne plus de décisions. Si on a un otage, on sera en position de force. Ils ne peuvent pas se permettre de laisser prisonnier un des leurs !

— C’est totalement ridicule ! Un prisonnier alors qu’ils peuvent nous exterminer d’un claquement de doigt ou presque ? Hormis nous mettre en danger, je ne vois vraiment pas ce à quoi cela nous servira.

— Mais tu ne vois donc pas que ça nous donnerait un argument en or pour négocier ? On pourrait leur demander plein de choses tant qu’on l’a avec nous ! Qu’ils rétablissent les droits des femmes, qu’ils organisent un système plus égalitaire entre nous, qu’on soit consultés sur les décisions qui nous concernent… Et franchement, tu ne crois pas que les autres zones vont nous suivre et prendre exemple sur nous ?

— Pour un des leurs ? Un chef déchu qu’ils ont collé au rebut ? Vous me semblez bien crédules si vous pensez qu’avec une petite prise d’otage, on va pouvoir négocier. Et puis, on va se mettre trop à découvert pour pas grand-chose, on ne pourra jamais le relâcher sans risquer qu’il nous vende à ses collègues.

— Olivier avait raison, soupire Myriam. Tu es trop impliquée déjà avec lui pour être objective. Tu as trop fait copain, copine, c’est évident. Tu te souviens que ce sont nos ennemis ?

— En même temps, elle a raison sur un point, intervient Fatou à mon grand soulagement. Si on le prend en otage, soit on l’élimine à la fin et on perd la face dans la négociation, soit on le relâche et on est grillés. Il faudrait peut-être réfléchir encore au plan, non ? Et garder le fait que Nal’ki a le béguin pour notre Lévana comme un atout dans la manche. Quoique, on peut peut-être lui bander les yeux et lui faire croire que Lévana est prisonnière avec lui ?

— C’est ridicule, il n’a absolument pas le béguin pour moi, m’esclaffé-je. Si tous les hommes qui me reluquent au bar avaient le béguin, ça se saurait. En toute honnêteté, je ne pense pas que le prendre en otage aurait l’effet que vous recherchez. De ce que j’ai compris, il a plus ou moins perdu les faveurs des siens en étant trop laxiste avec nous.

— Si tu crois qu’il n’a pas le béguin pour toi, c’est que tu es aveugle, ma sœur ! Tu crois qu’il vient au bar tous les soirs pour l’alcool qu’on lui sert ? Avec les quantités qu’il prend, il n’est jamais éméché. Il n’y a que toi qui lui fais un peu d’effet, voyons ! Mais c’est vrai qu’il faut peut-être un peu travailler notre plan si on veut qu’il réussisse.

J’ai l’impression qu’ils n’entendent que la moitié de ce que je dis, c’est fou. Toujours est-il que je remercie d’un signe de tête Fatou et me détends un peu plus.

— Tu sembles ravi que je me sois rapprochée de lui alors qu’au bar tu passes ton temps à nous foudroyer du regard, c’est étonnant… Qu’Olivier, en tant que mari, n’apprécie pas, à la limite, ça passe, mais toi, tu es quand même bien culotté, Grand Frère.

— Tu m’étonnes que je sois énervé ! On dirait que vous allez vous sauter dessus à chaque fois que vous vous parlez ! Je ne t’ai jamais vue comme ça avec aucun client et même avec Olivier, ça n’est pas comme ça. Le pauvre, il doit avoir peur que tu le fasses cocu ! Un peu de tenue, voyons ! Tu te souviens que c’est un ennemi ? Et oui, je suis ravi de voir qu’on va pouvoir leur rendre la monnaie de leur pièce ! On est des Valkyries quand même !

Un lourd soupir m’échappe et je me lève, range ma chaise en silence et termine mon café.

— C’est bon, tu as fini ? J’ai un bar à aller ouvrir et un alien sur qui me retenir de sauter pour me faire niquer et cocufier un homme qui n’est ni mon mari, ni mon petit-ami.

— Mais quelle vulgarité ! s’esclaffe Fatou qui se lève aussi. Tu me présentes ton Don Juan à grandes jambes ? Je suis curieuse de le voir de près et de me rendre compte s’il va aussi vouloir me sauter dessus ! Qui sait ? Si tout est en version géante, ça peut m’intéresser !

— Oulah, fais gaffe, à partir du moment où tu prends le risque de parler à l’un d’eux, c’est comme si ton corps ne t’appartenait plus qu’à moitié et, en plus, on te fait des reproches. Réfléchis-y à deux fois, je ne suis pas sûre que ça en vaille la peine. Sur ce, si nous en avons terminé, je vous laisse. Bonne journée à toutes. A tout à l’heure, Frangin.

Je quitte la pièce sans plus attendre, particulièrement agacée par cette réunion qui n’aura servi à rien, à part à me retourner le cerveau. Cette idée de kidnapper Nal’ki ne me paraît pas vraiment judicieuse, mais une partie de moi se demande si je refuse pour la bonne raison. C’est vrai, j’en viens à m’interroger quant à savoir si c’est parce que j’apprécie nos échanges quotidiens au bar et ce “béguin” que je réfute, que je ne suis pas d’accord avec l’idée. J’imagine que si ça entre en compte, ce n’est pas non plus ce qui prédomine dans les arguments contre. Espérons que cela sorte définitivement de l’esprit de mon frère, en tout cas. J’attends impatiemment d’en savoir plus sur Jeanne… tout comme mon impatience à ouvrir le bar s’accroît… Encore une chose que je n’avouerai jamais.

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