Chapitre 32
Walking on the Moon
Nal’ki
Je me connecte au système d’information de bord et me penche vers ma voisine pour lui transmettre ce que j’apprends.
— On va bientôt atterrir. A priori, on va arriver à peu près en même temps que les autres navettes qui amènent les Terriens comme vous pour le service lors de notre fête. Je me suis organisé pour qu’ils viennent de plusieurs zones. On risque de devoir attendre un peu avant de sortir de notre appareil. Ne soyez pas surprise mais l’atmosphère est un peu différente… Vous allez vous sentir un tant soi peu plus légère, je crois. Ce sera presque imperceptible mais vous aurez l’impression d’avoir perdu du poids.
— D’accord… J’imagine que ça ne doit pas être désagréable, même si je ne me plains pas de mon poids.
— Non, vous avez un corps parfait, osé-je dire maintenant que son mari n’est plus à proximité. C’est juste un peu particulier… mais c’est aussi pour cette proximité de gravité que nous avons choisi votre planète. Bref, je vous laisse regarder le spectacle par le hublot, l’entrée sur notre vaisseau planète est toujours surprenante la première fois.
Elle se renfrogne dans son fauteuil, comme à chaque fois que j’évoque notre invasion, mais je trouve que ce nez légèrement plissé la rend encore plus mignonne. Je me retiens de lui faire une quelconque remarque et l’observe alors qu’une lumière orangée commence à baigner notre cabine. Je ne me suis jamais intéressé au pourquoi du comment, mais c’est superbe quand on voit pour la première fois les filaments de lumière qui traversent l’espace autour de la navette. Et malgré son agacement, Lévana se déride rapidement et se tourne vers moi, le sourire aux lèvres. Qu’est-ce qu’elle est belle et comme cette luminosité la met agréablement en valeur !
— Je vous avais dit que c’était surprenant. J’espère que vous êtes bien attachée, l’atterrissage va bientôt avoir lieu.
— C’est vous qui m’avez attachée, alors j’imagine que oui, à moins que vous souhaitiez me la faire à l’envers.
— Je veux vous faire quoi à l’envers ? demandé-je sans comprendre son expression. Je vous demandais juste de vérifier que ça ne s’était pas détaché, je n’ai pas envie qu’il vous arrive quoi que ce soit, c’est tout, grommelé-je en me renfonçant dans mon siège, vexé à mon tour.
Si nous continuons à être susceptibles comme ça, la suite du voyage promet d’être particulièrement énervante et épuisante mentalement. Nous devrions former une équipe si nous voulons réussir. Sinon, ça pourrait vite tourner au cauchemar, ce que je ne souhaite pas du tout. Je veux vraiment découvrir ce qui est arrivé à sa sœur. Et accessoirement, passer du temps avec elle. Si seulement elle n’était pas mariée, je serais même déjà en train d’essayer de la draguer plus ouvertement, mais clairement, ce n’est pas une bonne idée dans l’état actuel des choses.
— C’est une expression, me lance-t-elle avant de rire. La faire à l’envers, c’est… essayer de piéger ou... j’en sais trop rien, c’est compliqué de vous expliquer ça quand c’est commun pour moi. Ce n’était qu’une pointe d’humour, Monseigneur.
Comment résister à ce rire ? Je ne suis d’ailleurs pas le seul à le remarquer et j’espère que les autres notent notre proximité et comprennent que Lévana, c’est chasse gardée. Parce que sinon, elle va vraiment être en grand danger. Dans quelle folie nous sommes-nous lancés ?
L’atterrissage se passe bien et nous débarquons dans une zone d’attente où tous les passagers sont rassemblés pour des contrôles de sécurité. Ils ont été renforcés, mais je suis content de constater que rien n’a été pensé pour faire un espace spécifique pour les espèces différentes des nôtres. Il y a déjà deux autres Terriens, un homme et une femme, au milieu des miens et cela me permet de rester près de Lévana. Elle semble toute petite au milieu de nous et un peu perdue.
— Ne vous inquiétez pas, ce sont des procédures qui ne diffèrent pas tant que ça de ce que vous connaissez sur votre planète. En plus, vous, vous n’avez pas d’implant dans le poignet comme nous. Ils ne vont pas pouvoir vous soutirer d’informations.
— Pour l’instant, du moins… Qui sait ?
— Si vous restez près de moi, ça devrait aller.
Je constate avec plaisir qu’elle obtempère sans râler ou tenter une nouvelle provocation. Elle a l’air vraiment impressionnée par les grandes montagnes qu’on devine à travers les vitres de l’aérogare, ainsi que par les éléments de technologie qui doivent lui sembler particuliers, vu la différence qui existe entre nos cultures. Arrivé au point de contrôle, j’effectue le salut rituel et pose mon poignet sur celui de l’officier qui nous examine.
— Elle est avec moi, c’est une des Terriennes pour agrémenter le service pour la fête. Elle n’a pas d’implant mais interdit de lui faire quoi que ce soit, les dirigeants ne seraient pas contents s’il lui arrivait un truc. Capice ?
Il ne comprend pas le dernier mot mais procède à un rapide scan de nos deux bagages avant de nous laisser passer. Je ne manque pas le regard d’envie qu’il pose sur ma partenaire et me dis qu’il va vraiment falloir que je sois vigilant. La pauvre ne sait pas qu’elle arrive dans un monde où les femmes sont rares et où celles qui sont présentes sont au service des plus puissants des nôtres.
Je pose ma main sur l’épaule de Lévana et la guide vers l’extérieur de la station d’arrivée. Elle semble ébahie et je m’amuse à observer ses yeux qui se posent sur tout ce qui nous entoure. Je ne sais pas ce qu’elle pense vraiment, mais on a l’impression qu’elle réalise un rêve et que la découverte de ce monde nouveau et extraordinaire pour elle est une expérience qui la submerge d’émotions. Je ne la presse pas et lui laisse le temps de réaliser qu’elle a bien fait son premier voyage dans l’espace et qu’elle est sur une planète différente de la sienne, même si ce n’est vraiment qu’une sorte de petit satellite qu’on pourrait difficilement qualifier de véritable planète.
— Vous avez l’air surprise, lui fais-je remarquer avant d’entrer dans le bâtiment. Vous ne vous attendiez pas à ça ?
— Je ne sais pas… Quand vous parliez de vaisseau-planète, j’imaginais simplement un vaisseau sur lequel vous viviez, pas… une véritable planète. C’est grand ? Pourquoi ça ne vous suffit pas ?
Je souris et l’attire dans un recoin abrité, à l’écart de la foule qui se presse autour de nous. Elle est si petite et a l’air si fragile au milieu de nous tous.
— Le voyage interstellaire, même avec notre technologie, c’est long. Nos ingénieurs ont conçu un modèle permettant de vivre ce voyage de la manière la moins pénible qui soit. Et… nous savions que notre planète était vouée à disparaître sans être sûrs de trouver un endroit viable à court terme. Cette réalisation nous permettait de voir venir. Mais ça n’est pas envisageable sur le long terme. Cela reste une construction mécanique qui demande de l’énergie, qui nécessite des réparations, de l’entretien. En voyage, c’est quasi impossible. Depuis que nous sommes arrivés ici, je peux vous assurer qu’une grande partie des miens ont travaillé à réparer toutes les avaries qu’on a subies et on est loin d’être arrivés au bout. Heureusement qu’on a la Terre comme base pour faire tous ces travaux.
Je vois qu’elle boit mes paroles et que tout ce que je dis est une découverte pour elle. Je sais qu’on ne communique pas beaucoup sur ce vaisseau-planète, mais j’aurais cru qu’elle en avait appris plus que ça en laissant traîner ses oreilles au bar. Je reprends pour finir de répondre à sa question.
— Vous arrivez à suivre jusque là ?
— Oui. C’est… fascinant. Je me demande encore comment vous pouvez avoir une telle avance technologique sur nous alors que vous êtes clairement à chier sur l’égalité entre les sexes. C’est fou !
“A chier ?” Un rapide check de ma base de données me fait comprendre que c’est très négatif et je fais une grimace.
— Il faut croire que quand on n’est pas occupés à rêver aux douceurs du corps d’une femme, on est plus efficaces. Et comme il n’y a plus de femmes de notre espèce, on n’a pas eu le choix de faire autrement que de nous consacrer à la science et la technologie.
Lévana ouvre la bouche pour me répondre et semble se raviser à la dernière seconde. Ses sourcils se froncent et elle observe à nouveau autour d’elle.
— C’est bien dommage. La technologie c’est bien, mais ce n’est pas ce qui nous réchauffe l’hiver et nous réconforte. A moins que vos robots soient pourvus d’une telle fonction, mais rien ne vaut le contact d’un corps contre le sien.
— Je suis entièrement d’accord. Je vous rassure, on a de très bons robots mais je n’ai jamais été fan. Comme vous, on dirait, je préfère les contacts charnels.
Je la vois s’empourprer légèrement mais fais comme si je n’avais rien remarqué.
— Quant à la taille de notre vaisseau-planète, vous avez l’air de le trouver très grand mais ce n’est pas vraiment le cas. Il y a beaucoup de choses qui sont des illusions, comme les montagnes qu’on voit au loin. C’est juste pour nous rappeler notre monde originel. Je dirais que l’ensemble du vaisseau doit pouvoir se parcourir en… disons une dizaine d’heures en véhicule ? C’est plus grand que vos vaisseaux primitifs mais pour tout un peuple, cela reste très limité. D’où notre besoin d’espace vital.
— Et donc, cette planète se pilote grâce à un vaisseau ou elle a son propre système de pilotage ? Sans vouloir vous vexer, je crois bien que c’est la première fois que je me dis que votre arrivée sur Terre pourrait nous apporter à nous aussi quelque chose… Ça attise ma curiosité, c’est déjà ça.
— La planète, c’est le vaisseau, donc je ne comprends pas trop votre question. Il y a un centre de pilotage, en effet, mais c’est complexe… Ce n’est pas comme dans vos films, avec des manettes à pousser et des boutons sur lesquels on appuie. Ce sont des… scientifiques qui font des calculs et qui jouent avec les gravités des astres nous entourant. Je… je suis désolé mais je ne suis pas un spécialiste de ces questions. Moi, je suis dans la branche armée, c’est la gestion d’équipes et de systèmes que je connais bien. Même si vous pourriez avoir des doutes vu comment j’ai géré votre zone.
— Oui, oui, bien sûr… Désolée, je me suis un peu emballée, rit-elle.
— C’est normal, c’est votre premier contact avec des éléments concrets de ma civilisation. On peut continuer ? Nous ne sommes pas loin du complexe résidentiel où on pourra laisser nos affaires avant d’aller à la réunion d’accueil des Terriens.
Elle opine et nous reprenons notre chemin. Elle a toujours les yeux écarquillés, semble vouloir absorber tout ce qui entre dans son champ de vision et je me dis que même si elle reste critique, le fait de voir par elle-même ce dont nous sommes capables va sûrement la rendre plus compréhensive aussi. Et je me rends compte que j’apprécie vraiment lui faire découvrir tout ça. J’ai l’impression que ça ne peut que nous rapprocher et cela me réjouit plus que de raison.
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