Chapitre 33

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Curieuse serveuse

Lévana

J’essaie de ne pas paraître impressionnée à chaque nouveau bâtiment que je découvre, mais mes yeux emplis de curiosité ne semblent pas passer inaperçus. Je croise plusieurs fois le regard de Nal’ki qui me conte avec passion l’histoire de son vaisseau-planète. Malheureusement, pas de grande information qui pourra servir les Valkyries, je pense, mais cela a au moins le mérite d’attiser ma curiosité, à laquelle il répond sans manifester la moindre gêne ou lassitude.

Je dois dire que me trouver ici est aussi étrange qu’intrigant. Les aliens, hormis leur grande taille, ces tatouages qu’ils ont sur les mains et leur air un peu étrange lorsqu’ils se plongent dans leur esprit, ressemblent énormément aux êtres humains. Alors, il est parfois difficile de réaliser qu’ils ne viennent pas de la Terre. Bon, ils nous le rappellent généralement assez rapidement en agissant comme des humains d’avant le vingt-et-unième siècle, mais en dehors de ça et de leurs robots, on pourrait presque se confondre. Cependant, en étant ici, en observant ce qu’ils sont capables de construire, en admirant ces bâtiments aux courbes harmonieuses qui ont voyagé jusque chez nous, difficile de supporter la comparaison.

Je devrais me sentir mal d’être ici, éventuellement stressée, un peu apeurée de me trouver entourée d’autant d’aliens, mais ce n’est pas vraiment le cas. Je crois qu’il y a un peu d’excitation qui coule dans mes veines et surtout de l’impatience. J’espère tellement découvrir des informations sur ma sœur…

— C’est par ici.

Nal’ki me sort de mes pensées en posant sa main au creux de mes reins pour me guider sur un chemin plus étroit. Je pourrais dire que ce nouveau contact ne me fait aucun effet mais ce n’est pas le cas, et je me morigène de sentir mon corps réagir à cette proximité.

Je me racle la gorge et profite qu’il m’ouvre la porte du bâtiment pour m’éloigner un peu. J’essaie de m’intéresser davantage à la décoration, à ce qui m’entoure, mais j’ai l’impression de toujours sentir sa main à travers mes vêtements. C’est du grand n'importe quoi, il faut vraiment que je me calme et que je reste focus.

Après un hall d’entrée somme toute classique, Nal’ki me fait visiter les pièces communes du rez-de-chaussée. Un genre de self pour les repas, trois pièces pour se détendre, que l’on pourrait considérer comme des salons sur Terre, avec des jeux qui me sont totalement inconnus, une salle de sport mais aussi ce qui ressemble à une petite bibliothèque. Nous ne nous attardons pas et il me conduit au deuxième étage où se trouve mon lit. Je dois avouer que cela me paraît plutôt confortable malgré le côté dortoir. En effet, chaque petit espace est à moitié cloisonné et le lit, bien que simple, montre de par sa taille qu’il a été prévu pour des aliens et non pour des Terriens.

— Les dortoirs sont mixtes comme les pièces communes ou il n’y a que des Terriens ici ? demandé-je en glissant mon sac sous le lit.

— C’est mixte dans le bâtiment, mais ici, il n’y a effectivement que des Terriens. Et par contre, ce n’est pas forcément prévu pour des femmes terriennes. J’espère que les toilettes seront accessibles…, s’inquiète-t-il en fixant une porte au fond de la pièce.

— Heureusement que ce n’est que pour quelques jours alors… Quel est le programme, maintenant que nous sommes ici ?

— Eh bien, là, on va aller rencontrer celui qui gère la restauration de la fête pour qu’il vous dise ce qu’il attend de vous, il faut bien justifier votre présence ici. Ensuite, le programme, c’est de trouver le temps pour aller à la recherche de votre sœur. J’ai quelques pistes ou idées mais il va falloir que je fasse jouer mes relations pour avancer, vu le secret qui entoure ce qui lui est arrivé. J’espère vraiment qu’elle n’a pas connu un funeste sort, soupire-t-il.

Tout mon corps se crispe à l’idée que Jeanne soit morte, mais je refuse de me laisser abattre. Du moins, j’essaie de me mettre un coup de pied aux fesses, parce que je ne supporterais pas d’avoir encore perdu un membre de ma famille. Bien que les années soient passées, Gaspard et moi n’avons jamais perdu espoir de la retrouver. J’ai bien conscience que tout est possible, mais je ne peux me résoudre à imaginer le pire.

— Et ça ne va pas paraître bizarre que vous et moi traînions ensemble ? lui demandé-je en le suivant hors du dortoir.

— Bizarre ? Non, je crois que je vais faire des jaloux, mais les miens vont penser que j’ai anticipé la phase deux… enfin, je veux dire qu’ils vont penser que vous et moi, nous sommes un couple. C’est le meilleur moyen de vous protéger des autres, je pense. Sinon, tôt ou tard, il y en a un qui va tenter de prendre possession de vous.

Je reste sans voix face à ses propos. Lui et moi, un couple ? Il est fou ! Comment un être humain pourrait-il envisager de se mettre en couple avec l’envahisseur ? Bon, je sais bien qu’il y a des précédents, des Françaises qui ont fricoté avec les Allemands, par exemple, mais… bon sang, aussi sexy soit-il, faut pas pousser non plus !

J’ai dit sexy, moi ? Non, non !

— Prendre possession… Il n’est pas né celui à qui j’appartiendrai, marmonné-je tandis que nous regagnons l’extérieur.

Il ne nous faut que quelques minutes pour gagner le bâtiment où aura lieu la grande fête qui m’a menée ici. Tout est bien plus luxueux que ce que j’ai pu voir jusqu’à présent. Qu’il s’agisse de l’extérieur ou de l’intérieur, les finitions semblent plus travaillées, les proportions plus grandes, les attentes plus élevées. C’est joli, il faut l’avouer, juste dingue que tout ça ait voyagé jusqu’à la Terre.

La salle de réception est gigantesque, dans des tons blancs et argentés. Pour le moment pas du tout prête pour les célébrations, tables et chaises sont entassées les unes sur les autres contre tout un pan de mur. Il y a déjà un groupe d’hommes et de femmes au centre de la pièce et, un peu plus loin, quelques grandes tiges qui échangent entre eux.

Je n’ai pas le temps de rejoindre les miens que l’un des aliens quitte le groupe et se plante au beau milieu de la pièce. Son air austère ne me donne pas très envie d’aller au devant de lui, mais Nal’ki me fait signe de rejoindre le groupe sans pour autant s’éloigner. La voix grave du grand chauve résonne dans la pièce vide alors qu’il ne nous salue même pas et attaque d’entrée de jeu.

— Alors, déjà, je vous le dis, vous faites partie d’une expérimentation et ça a intérêt à bien se passer. Le moindre écart et hop, c’est fini, vous disparaissez. Vous représentez les Terriens pour notre fête, c’est un signe de rapprochement, une marque de confiance dont vous serez dignes. Bref, ne perdons pas de temps avec des gens comme vous. Vous allez nous aider à faire de cette fête un moment mémorable. Et n’oubliez pas de sourire, surtout, vous allez attirer tous les regards, ne donnez pas l’impression que c’est un enterrement quand même. Qui a déjà une expérience dans le service ?

Finalement, je sens que l’excitation d’être ici va vite se dissiper. Je lève la main, tout comme plusieurs autres personnes, et observe ce type alors qu’il nous compte comme du bétail avant de reprendre la parole.

— Bien, vous cinq serez donc en salle. Il vous faudra mettre l’uniforme prévu pour ça, vous verrez, on l’a fait spécialement pour vous, ajoute-t-il avant d’émettre un petit ricanement qui ne me dit rien qui vaille. Bref, pas de familiarité avec les nôtres, des sourires surtout, je crois que je l’ai déjà dit, et vous ferez des séances de cinq heures entrecoupées d’une heure de pause. Des questions ?

Mon instinct me dit de la boucler, confirmé par le regard de Nal’ki lorsque je me tourne légèrement dans sa direction… mais c’est moi, et je sens que le temps va être bien long à servir ces messieurs, alors j’ose, pour changer.

— Moi, j’ai une question, lancé-je en levant le bras pour qu’il me situe. Vu la taille de la salle de réception, est-ce qu’on va délimiter un périmètre d’intervention où servir ? Ou on doit tourner dans toute la pièce ? Oh, et… je suis barmaid, si vous avez besoin derrière le bar.

— Eh bien, vous savez tout faire, rigole-t-il en me déshabillant du regard. Vous êtes trop mignonne pour rester derrière le bar mais on vous calera des moments où vous pourrez le faire aussi. Et il faut tourner dans toute la pièce. Il faut bien que vous justifiiez votre présence, non ? Bref, tant que vous souriez, ça ira.

— Encore un sois belle et tais-toi, quoi, chuchoté-je alors qu’il nous indique plusieurs paquets posés sur une des tables à récupérer. Pourquoi je sens qu’on va être peu habillées ?

Évidemment, la question n’attend pas de réponse. Je l’ai dite suffisamment bas pour que peu de personnes l’entendent. Et je m’empresse d’aller récupérer le paquet contenant des vêtements à ma taille avant de rejoindre Nal’ki.

— Le sexisme, c’est vraiment culturel chez vous, alors. Ce n’est pas seulement vous et vos copains installés sur Terre…

— C’est pour ça que vous vous êtes fait remarquer ? me demande-t-il, agacé. Maintenant qu’il vous a repérée, ça va être plus difficile de mener l’enquête discrètement. Et pourquoi vous dites que nous sommes sexistes ? Parce qu’il vous a demandé de sourire ? Je me demande vraiment si c’était une bonne idée de vous emmener ici. Vous allez faire tourner toutes les têtes, soupire-t-il, résigné.

Je furète dans le sac et sors finalement la tenue. Il s’agit d’une jupe plutôt courte et moulante, sans parler du haut qui va laisser mon ventre à découvert et dévoiler les courbes de ma poitrine. Voilà, serveuse sexualisée même par les extraterrestres.

— A qui la faute ? Comme si j’avais envie de me balader entre vos congénères ainsi habillée, marmonné-je.

— Je crois que je ne vais pas quitter la salle tant que vous êtes de service, maugrée-t-il. Et il faudra qu’on s’arrange pour faire l’enquête ensemble. Sinon, il va vous arriver des trucs… Parce qu’avec cette tenue, personne ne pourra vous résister.

Je jurerais qu’il est jaloux quand il prononce ces derniers mots.

— Je suis une grande fille, vous savez ? Vous n’imaginez pas le nombre de gifles que j’ai données au bar… Ils tentent une fois, rarement deux. Bienvenue dans la vie d’une femme, Monseigneur.

Nal’ki m’observe quelques secondes en silence alors que je lui souris outrageusement, provocante. Et c’est son comparse chauve qui nous empêche de poursuivre la conversation en reprenant son discours. Je ne suis absolument pas du genre à m’habiller d’une certaine façon pour un homme, mais j’avoue qu’à cet instant, malgré mon agacement face à cette tenue pour le service, j’ai presque hâte de voir la tête qu’il fera lorsqu’il me verra dedans… Mais ça, c’est quelque chose que je n’avouerai jamais à voix haute.

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