Chapitre 34
Le regard des autres
Nal’ki
Ce matin, j’ai un peu de mal à émerger, il faut dire que je n’ai pas beaucoup dormi. Hier soir, après avoir laissé Lévana dans son dortoir, j’ai contacté plusieurs personnes dans l’administration pour essayer de leur soutirer discrètement des informations sous couvert de prendre de leurs nouvelles et de les informer que je suis sur place. Je n’ai pas réussi à obtenir grand-chose à part d’un garde qui m’a indiqué qu’il n’était pas disponible car devant aller dans une zone où je n’ai pas le droit de me rendre moi-même. Cela est intriguant et je me promets de creuser la question lors du buffet organisé ce midi où tous les visiteurs comme moi seront présents pour partager un repas convivial. Après ces mondanités, j’ai passé de nombreuses heures à écouter des enregistrements sur la base de données mais là aussi, j’ai fait chou blanc. Je suis sûr que l’information est quelque part, mais il faudrait vraiment avoir de la chance pour tomber dessus, ce qui n’a pas été mon cas jusqu’à présent.
Je sors du bâtiment et attends Lévana qui est censée me rejoindre. Avec les autres Terriens, je ne suis pas trop inquiet, elle n’est pas plus en danger que chez elle, mais il faut vraiment que je fasse attention à elle par rapport à mes congénères. Elle attire tous les regards, toutes les convoitises et en plus, elle ne fait rien pour être discrète, bien sûr. D’ailleurs, cela se confirme quand elle apparaît dans mon champ de vision : elle a revêtu la tenue de serveuse et elle est à tomber. Je me force à fermer la bouche mais ne peux cacher mon regard admirateur. Elle me capte bien entendu mais au lieu de se moquer, elle s’arrête un instant comme si elle voulait me laisser le temps de l’admirer, ce que je fais avec gourmandise. Son haut sombre est légèrement échancré mais surtout bien ajusté à son corps, ce qui me fait croire qu’elle pourrait être arrêtée pour attentat à la pudeur si ça existait ici tellement on discerne bien ses seins ronds à travers le tissu. Je suis comme hypnotisé par son nombril qu’elle dévoile sans pudeur au-dessus d’une petite jupe rouge qui met en valeur ses fesses bombées et ses jambes galbées. Je ne reviens à la réalité que quand le son de sa voix parvient à mon cerveau complètement figé devant la beauté de la femme qui me fait face.
— Je ne suis pas sûre de pouvoir supporter d’être regardée comme ça par n’importe qui d’autre… Je sens que la journée va être longue, soupire-t-elle en tirant sur le bas de sa jupe.
— Désolé, je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise, indiqué-je en rougissant légèrement. C’est juste que… wow, quoi. Vous êtes magnifique. Je… je n’ai jamais vu une femme aussi jolie que vous. Et… vous avez dit que vous saurez vous défendre, non ?
Comme elle, j’imagine déjà tous les regards posés sur son corps et me demande une nouvelle fois dans quel pétrin je nous ai fourrés. Espérons que tous croient vraiment que nous sommes en couple, je ne vois pas quoi d’autre pourrait la protéger.
— J’espère bien oui. Une question, cela dit : quel acte est puni le plus sévèrement ? Gifler ? Crever un œil ? Briser des os ? Castrer ? Que je sache ce que je risque.
— Castrer, assurément, mais je vous assure que je vais essayer de ne plus vous regarder comme je l’ai fait. Je… cela ne me ressemble pas, d’habitude, je sais me tenir.
— Je ne parlais pas pour vous, mais pour tous les suivants, Monseigneur. Disons que… vous avez droit à un traitement particulier. Enfin, une autorisation spéciale, au moins.
Je me demande ce qu’elle entend par là, mais n’ai pas le temps de lui poser la question car elle me prend la main et m’entraîne à sa suite avec clairement l’envie de mettre un terme à cette discussion. Durant tout le chemin qui nous mène au hall de réception, elle reste silencieuse, ce que je respecte tout en essayant de ne pas trop laisser mes yeux dériver vers son corps de rêve, malgré l’autorisation spéciale dont elle a parlé. Arrivés devant la porte, je la stoppe néanmoins.
— Vous savez, si vous voulez faire demi-tour, je comprendrai. Je… Ne vous forcez pas à aller faire le service dans cette tenue si vous ne le sentez pas. Hier soir, j’ai poursuivi mes recherches et j’ai peut-être une piste. Je devrais pouvoir glaner des informations même sans vous. On trouvera bien une excuse si vous ne voulez pas participer à la réception…
— Je vous l’ai dit, je suis prête à tout pour Jeanne. Je vais survivre à quelques heures dans cette tenue, ne vous inquiétez pas pour moi. Et n’oubliez pas que je suis là pour ça aussi, ce serait dommage de ne pas profiter de ma présence.
J’en viens presque à regretter qu’elle n’accepte pas ma proposition. Je crois, même si je n’en ai pas vraiment le droit, que je suis jaloux et je me secoue mentalement car ce n’est pas le moment de jouer à ça. On a une mission à accomplir et sa tenue peut grandement nous aider. Elle va délier les langues, c’est certain.
— Vous avez raison... Je vais quand même essayer de rester à proximité. J’ai confiance en vos capacités de défense, mais un peu de soutien ne vous fera pas de mal. Et il faut bien que je profite un peu de mon autorisation spéciale, n’est-ce pas ? ajouté-je en parcourant rapidement sa superbe silhouette.
— Restez quand même concentré, hein ? se moque-t-elle.
— Je crois que je ne pourrais pas être plus concentré ! rigolé-je avant de lui tenir la porte ouverte, galamment.
Nous pénétrons ensemble dans un grand hall et j’accompagne Lévana jusqu’aux cuisines où un autre Terrien lui fait signe de le rejoindre. Quant à moi, je me retrouve coincé à discuter avec le “Gouverneur des Mets” comme on l’appelle. Zitron, de son petit nom, me remercie de la merveilleuse idée que j’ai eue. Il est ravi d’avoir des Terriens qui vont l’assister et me fait tout un discours sur le manque de considération qu’a mon oncle, Lorkan, sur le travail qu’il effectue ainsi que pour ses difficultés à trouver les ingrédients nécessaires à la réalisation de tout ce qu’il veut préparer. Je me contente de hocher la tête et observe ce que fait ma compagne de route à qui on explique visiblement ce qu’elle devra faire. Elle récupère un plateau sur lequel elle dépose des verres qu’elle remplit d’un liquide orangé dont la seule vue me réjouit. Enfin un alcool qui va me faire un peu d’effet !
— Attention à vous, lui glissé-je après avoir récupéré un verre. Surtout ne goûtez pas à cette boisson, quoi qu’on vous dise. Elle est un peu forte pour moi, si vous voyez ce que je veux dire.
— Hum… je vois, je vais éviter le coma éthylique, merci du conseil !
— Parfait, et gardez les oreilles ouvertes, surtout. Tous les détails peuvent être utiles.
Je la suis vers un groupe composé de représentants des ambassadeurs des différentes zones voisines à celle que je dirigeais jusqu’à peu. Lévana, toute petite à leurs côtés, les sert mais ils sont trop pris par leurs discussions pour la remarquer. Ils se stoppent néanmoins quand je m’approche, comme s’ils se méfiaient de moi.
— Vous savez, rigolé-je en levant mon verre, ce n’est pas parce que je ne suis plus le dirigeant que je suis contagieux ! Et voyons le bon côté des choses, cela me donne le temps de venir à la fête et d’en profiter. A la vôtre, Messieurs !
Soit c’est mon ton badin qui les déride, soit c’est la liqueur qu’ils boivent, en tout cas, ils se détendent et trinquent avec moi.
— Alors, qu’est-ce que tu deviens, Nal’ki ? m’interroge le responsable d’une zone voisine.
— Eh bien, je me demande toujours comment j’ai échoué là où vous semblez tous réussir à maintenir l’ordre sans aucune difficulté. C’est moi ou alors je suis tombé sur une bande de fous excentriques et ingérables ?
— C’est bien possible, rit-il alors que d’autres se joignent à lui. Mais on a eu aussi un peu de rébellion chez nous.
— Ah oui ? Et pourquoi on n’en parle pas ? Ils ne savent pas s’organiser et ce sont juste des petites rixes ? Vous n’avez pas de mouvement de revendication sur la place des femmes ? Moi, je peux vous dire que notre phase une du plan d’envahissement n’a pas les effets escomptés ! Aucune femme ou presque ne devient plus soumise parce qu’on a mis en place nos règles. Au contraire, ça a aidé les Valkyries !
Il faut que je fasse attention car la simple mention de ces rebelles crée un moment de gêne et de silence avant qu’une grande perche comme nous appelle Lévana, n’éclate de rire et ne me tape dans le dos.
— Evidemment qu’on a eu des mouvements. Disons qu’on a fait ce qu’il fallait pour que cela cesse rapidement.
— Pourquoi on ne me dit jamais rien, à moi ? J’aurais aimé avoir vos trucs et astuces avant qu’on ne mette ce lèche-cul de Lezeboth à ma place. Et niveau secrets, il y en a ici aussi, on dirait. Vous savez qu’il y a une zone à laquelle on n’a pas accès ?
— Eh bien, disons que chacun s’occupe de sa zone comme il l’entend. Et de quoi tu parles, au juste ? Comment veux-tu qu’il existe une zone qu’on ne connaîtrait pas ?
Je fais mine d’être plus alcoolisé que je ne le suis vraiment et vacille légèrement en souriant niaisement pour qu’ils baissent un peu leur garde et je pense que ça fonctionne.
— C’est totalement ridicule, ricane le responsable de la zone 18, rejoint par quelques autres.
Il y a pourtant un membre du groupe plus âgé, membre des dirigeants, qui ne rigole pas du tout et me scrute. Je surjoue le côté alcoolique en trinquant à nouveau mais je me dis que j’ai dû toucher juste. Au lieu de continuer sur cette voie, pour ne pas me faire griller, je reviens sur la question de la gestion des zones.
— Ce qui est ridicule, c’est que je ne sais toujours pas comment vous faites ! Allez, dites-moi, que je sois moins con, ce soir.
Ma stratégie semble fonctionner car le petit vieux se détend visiblement un peu. C’est un des adjoints de la zone 18 qui a la condescendance de m’expliquer sa méthode.
— Personnellement, je n’ai pas hésité à sévir dès qu’il y a eu une rébellion. C’est un mal pour un bien de perdre quelques personnes si ensuite on a la paix.
Lévana, qui passe à ce moment-là à côté de notre groupe, ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel, et je cherche à cacher le sourire qui naît sur mes lèvres en la voyant faire.
— C’est vrai que sur le long terme, c’est une bonne solution, me moqué-je. En s’aliénant toutes les femmes de la zone, c’est sûr qu’on va réussir à s’implanter sur Terre. Vous n’avez pas peur d’être dans des stratégies court-termistes ?
Ai-je dit ça pour gagner un regard approbateur de la belle Terrienne ? Peut-être un peu. Mais j’y crois vraiment… Si on apparaît comme des monstres sanguinaires, à quel moment pourra-t-on passer à la phase deux ? Elle semble cependant plus perturbée qu’en pleine approbation, remarqué-je alors qu’elle retourne vers la cuisine.
— Parce que vous pensez que les femmes de votre zone seront plus à même d’ouvrir les cuisses que celles de ma zone ? se moque-t-il. Voyons, on sait très bien qu’il va falloir batailler pour ça, peu importe la zone.
— Vous avez peut-être raison. Ce qui est sûr, c’est que vous êtes toujours en poste et pas moi. C’est que vous devez être dans le vrai…
La discussion se poursuit mais je reste en retrait et remarque que Lévana n’est pas revenue dans la grande salle. Inquiet, je me libère dès que possible pour aller la retrouver. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé.
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