Chapitre 36
Le jaloux est dépassé
Nal’ki
Je piétine, impatient que le service de Lévana se termine. Elle papillonne entre tous les miens qui ne se gênent pas pour la mater, lui faire les yeux doux et même, pour certains, créer des contacts physiques avec elle. Le pire, c’est celui qui l’a traitée de merveille ou je ne sais quoi. Lui, je l’ai vraiment à l'œil. Je crois que s’il pouvait mettre la serveuse dans son lit, il ne se gênerait pas. Et pourquoi ça me dérange autant que ça ? Parce qu’elle est mariée à un Terrien ? Si je veux être honnête avec moi-même, ça n’est pas ça, la vraie raison. Je suis jaloux et m’en rendre compte m’énerve au plus haut point. Je n’ai aucun droit à l’être et en plus, on n’est pas ici pour ça.
J’utilise ce temps d’attente pour explorer la carte du vaisseau-planète que je consulte dans le cloud et repère assez facilement la zone où les tests ont lieu. Avec les indications qu’on m’a données sur la zone interdite, ce n’est pas si compliqué, au final. Elle n’est pas repérée d’un grand X rouge, mais on est presque à ce niveau d’indication. Quel est le dirigeant qui a eu l’idée d’appeler la zone : “Projet Terre XXX” ? C’est un peu excentré mais pas autant que je le pensais et je me dis que ce soir, il faudra tenter d’y aller. Avec un peu de chance, la zone n’est pas si protégée que ça et on pourra y entrer pour retrouver la sœur de Lévana. Et rentrer vite loin de tous ces pervers qui ne pensent qu’à la baiser. Ou alors, je projette mes désirs sur eux ? Heureusement pour moi, l’objet de toutes mes pensées se pointe enfin à mes côtés mais je n’ai le droit à rien, pas un sourire ou un geste amical.
— Vous êtes libre, ça y est ? demandé-je, agacé de la sentir si glaciale à mon égard.
— Je ne serais pas là si ce n’était pas le cas. Qu’est-ce qu’on fait à présent ?
— Je ne sais pas, ça dépend si vous avez des merveilles à aller découvrir ou pas, persiflé-je sans pouvoir retenir l’élan de jalousie qui me prend.
— Je vous conseille d’y aller mollo avec votre petit air condescendant. Je ne sais pas ce qui vous prend mais à part m’empêcher d’obtenir davantage d’informations, je me demande quel était le but de votre petite intervention de tout à l’heure.
— Comment ça ? J’ai juste évité qu’il ne vous saute dessus ! Si je n’étais pas intervenu, vous n’en sauriez pas plus mais vous n’auriez pas terminé la soirée à faire le service, grommelé-je en lui faisant signe de me suivre à l’extérieur pour éviter l’attention qui commence à se porter sur nous.
Elle me suit, le regard noir et je me demande si elle n’a vraiment pas vu que je l’ai sauvée d’une agression sexuelle ou si elle a juste envie de me vexer. En tout cas, après m’avoir rejoint dans un recoin, c’est elle qui revient à la charge, toujours aussi en colère.
— Il me semble vous avoir déjà dit que je n’avais pas besoin qu’on me protège. Je suis une grande fille capable de me défendre. Et puis, nous étions en public, c’est n’importe quoi, vous dramatisez !
— Une grande fille ? Je crois qu’ici, vous ne pouvez pas dire ça, ce n’est vraiment pas le bon mot, rigolé-je. Et non, je ne dramatise pas, je sais de quoi sont capables les miens. Pourquoi vous croyez qu’on est venus sur votre planète ? Pour gérer des zones et se faire du mal ?
— Eh bien, vous semblez fortiches pour jouer les dictateurs, ça c’est clair. Pour le reste, je n’ai absolument pas envie de rire. Il parlait, bordel, et vous avez fait de la merde, cingle-t-elle.
— Il parlait ? De votre décolleté d’enfer ou de vos formes de rêves, à n’en pas douter ! Je ne suis pas sûr qu’il allait vous confier pour autant où est située la zone où se trouve votre sœur… Ce n’est pas parce que vous êtes super jolie et que vous avez un charme fou qu’il aurait oublié que vous êtes une Terrienne, vous savez ?
— Vous êtes terrible et insupportable, Nal’ki, s’agace-t-elle à son tour en me fusillant du regard. Pour votre information, il m’a parlé d’une zone secrète et d’expériences. Alors qui sait ce qu’il aurait dit si vous n’aviez pas joué au mâle protecteur. Pire, on dirait que vous êtes jaloux, c’est n’importe quoi !
— Je ne suis pas jaloux, assuré-je, conscient de ma mauvaise foi, je veux juste qu’on ne passe pas notre temps à batifoler et qu’on puisse se concentrer sur la recherche de votre sœur. Et nous sommes tous au courant des expériences. Quant à la zone secrète, vous savez qu’elle figure sur la carte du vaisseau-planète ? Je n’aurais pas dû vous demander d’aller le sonder, c’était inutile. La zone n’a finalement de secret que le fait que personne ne veut en parler. Mon peuple n’a vraiment aucun sens de l’espionnage, soupiré-je en tournant le dos à Lévana pour ne pas qu’elle puisse continuer à plonger son regard dans le mien et y lire qu’elle m’a percé à jour.
— Tout le monde est au courant des expériences… Donc vous me faites des cachotteries, à ce que je vois. Au final, vous la jouez solo. Et faites gaffe à ce que vous insinuez, Nal’ki. Je n’ai aucune envie de fricoter avec l’un des vôtres, on a beau s’entendre sur un sujet, je n’oublie pas ce que votre peuple fait au mien.
Elle est énervante à toujours réussir à viser aussi juste dans ses propos. C’est clair que je ne lui ai jamais parlé de ces tests qu’on réalise avant de passer à la phase deux. Mais les ordres sont tellement clairs et forts à ce sujet que même avec elle, je n’ai pas osé les trahir. Et puis, comment je pouvais savoir que sa sœur serait mêlée à ces expériences, moi ? Quant à la fin de son discours, il est on ne peut plus limpide. Je me tourne à nouveau vers elle, sans vraiment savoir ce que je dois lui confier ou pas. Finalement, après quelques secondes de réflexion, je me lance.
— Je sais où est la zone de tests, ici sur le vaisseau-planète, et je suis prêt à vous y emmener pour voir si votre sœur s’y trouve ou pas. Je risque gros en faisant ça, vous savez ? Pas sûr que ce soit vraiment la jouer solo car je n’ai rien à y gagner, à part le respect de ma parole donnée. Alors, merci d’arrêter de me critiquer, je fais ce que je peux, c’est tout.
— Eh bien, qu’est-ce qu’on attend pour y aller ?
Je la regarde, estomaqué. Elle est passée de la critique à l’impatience en un quart de seconde. Ce changement émotionnel est bien trop rapide pour moi et je reste un instant interloqué sous son regard amusé.
— Vous voulez faire ça maintenant ? Mais… vous êtes sûre de vouloir y aller dans cette tenue ?
C’est nul mais c’est le seul argument que je trouve à cet instant précis. Elle m’a tellement surpris avec sa demande que je n’ai pas réfléchi à comment faire pour approcher la zone secrète avec une Terrienne. Je ne sais même pas quel est le niveau de protection ! Il ne doit pas être très élevé, vu que nous sommes entre nous ici, mais quand même…
— Qu’est-ce qu’on s’en fout de ma tenue, y a tellement plus important ! Et si on était à quelques minutes de trouver ma soeur, hein ? Je m’en fiche royalement d’être déguisée en soubrette, honnêtement.
— Mais vous êtes impossible, m’enervé-je. Je… je ne sais même pas si on peut vraiment y aller… Je n’ai pas envie de vous mettre en danger, vous voyez ! La tenue… c’était une excuse pour tout vous dire. A un moment, vous vous énervez contre moi, ensuite vous me demandez de l’aide… Vous me perdez avec votre folle énergie. Je… Et si je n’étais pas à la hauteur de vos espérances ? Vous ne savez pas ce qu’on va trouver en plus. Et si elle ne voulait pas que vous la voyiez ? Comment je fais pour gérer tout ça, moi ?
Je réalise que je dois avoir l’air pathétique avec ma tirade et je m’arrête aussi brusquement que j’ai commencé avant de me détourner à nouveau d’elle et de lui tourner le dos pour ne pas qu’elle voie mon trouble. Elle me fait perdre tous mes moyens avec ses beaux yeux remplis d’espoir, sa foi en moi et sa croyance que tout peut s’arranger d’un simple claquement de doigts. Et elle doit me prendre pour un clown avec mes mouvements désordonnés et mes voltes-faces.
— Et donc, parce que vous avez peur, vous abandonnez ? Eh bien, j’aurais aimé que vous ayez la trouille de venir nous envahir, soupire-t-elle. Vous n’aurez pas à gérer ma sœur, qu’elle veuille me voir ou pas, j’ai besoin de savoir. Je ne suis pas venue ici pour abandonner maintenant, Nal’ki. Je comprends que les risques sont grands pour vous et… que vous ne souhaitiez pas vous mouiller davantage, mais moi je suis prête à tout. Alors vous avez le choix, soit vous m’accompagnez, soit vous me dites où c’est et je me débrouille.
Je pourrais tout aussi bien ne rien lui dire mais ça ne changerait pas grand-chose. Il ne lui faudra pas longtemps pour trouver le moyen d’avoir les informations qui lui manquent, vu sa détermination. Résigné, le regard porté au loin, vers les fausses montagnes qui apparaissent à l’horizon, je reste silencieux. Elle se trompe, je n’ai pas peur me concernant. C’est juste qu’elle est trop… tout. Et que c’est vers elle que mes craintes se dirigent. Mais comment lui avouer ça ? Et qui suis-je pour ne pas répondre à ses demandes qui sont légitimes, somme toute. Je ne suis pas son mari, elle est venue ici de son plein gré. Elle est responsable de ce qui lui arrive. J’essaie de mettre de l’ordre dans mes pensées, de retrouver un peu de rationalisation mais cela semble visiblement prendre trop de temps à son goût car elle se glisse devant moi et me toise. Oui, elle me toise alors qu’elle fait deux têtes de moins que moi.
— Pas la peine de tergiverser, vous savez ? Si vous voulez protéger votre peau, je comprends, mais dites-moi où est-ce que je dois aller avant qu’on s’inquiète de ne pas me savoir de retour dans mon dortoir. Il n’y a pas de temps à perdre.
— Arrêtez de me prendre pour un froussard, voyons ! Vous n’avez pas encore compris que c’est pour vous que je m’inquiète ? Et vous n’avez pas à retourner dans votre dortoir, ce n’est pas une prison, ici, quoi que vous puissiez en penser. Personne ne va s’inquiéter, sauf si vous avez donné un rendez-vous galant sans m’en parler. Bref, on ira ce soir. Là, en plein jour, c’est trop compliqué. Et ça me laissera le temps d’étudier un peu plus la question. En attendant, je vous emmène dîner, j’espère que ça vous calmera un peu. Je suis désolé, Lévana, je ne suis pas comme vous, je n’ai pas votre énergie ou votre fougue. Parmi les miens, on n’est pas habitués à une telle énergie et… vous me perturbez. Cela ne m’est jamais arrivé avant et c’est ça qui me rend aussi incertain. Alors, d’accord pour aller manger avant de continuer à me faire tourner en bourrique ?
— Tourner en bourrique, hein ? Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose que vous ayez accès à toutes nos expressions, celle-ci n’est… vraiment pas toute jeune. Je ne suis pas sûre d’avoir la patience d’attendre jusqu’à ce soir, je vous préviens, je risque d’être insupportable.
Elle se permet de se moquer de moi et le pire, c’est que ça m’amuse et que ça fait immédiatement retomber la pression que je ressentais depuis le début de notre échange.
— Si vous êtes insupportable, je vous préviens, je vous remets dans une navette et vous repartez chez vous illico presto, la menacé-je en ayant conscience que mes propos sont démentis par mes yeux rieurs. Alors, on y va mollo pour que je puisse à nouveau utiliser mon cerveau et surtout, vous ne vous moquez plus de mes expressions. Capice ?
— Je ne peux vous assurer de rien. Vous utilisez les expressions de mon défunt grand-père et vous m’obligez à attendre pour éventuellement trouver ma soeur, je ne peux pas vous garantir que je serai sage comme une image et incapable de rire selon ce que vous direz. Tout ce que je peux vous assurer, c’est que je crois que votre attitude de chef directif ne me fait plus vraiment peur. J’aimerais m’en excuser, mais en vérité, je suis bien contente d’avoir passé ce cap. Vous survivrez ?
— Et si je prends une grosse voix, vous pourrez faire semblant d’avoir peur quand même ? rigolé-je enfin, ravi de voir que la tension est totalement retombée. J’ai quand même le moyen de vous faire chanter avec l’information que vous souhaitez avoir. Je suis en position de force et vous feriez bien de vous en rappeler, petite impertinente. Alors, on va manger dans le calme et le respect ?
— N’oubliez pas qui vous sert votre cocktail favori, une fois sur Terre, Monseigneur, me lance-t-elle en me toisant à nouveau, le sourire aux lèvres. Moi aussi, je suis en position de force. Du coup, on a le temps pour que je passe me changer au dortoir, ça m’évitera d’avoir l’air d’une poupée gonflable pour adulte.
— Moi, j’aime bien votre look, la titillé-je en passant mon bras derrière son épaule. Mais oui, retournons donc à notre résidence et après, je vous invite au restau. Je vous dois bien ça, Lévana. En route.
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