Chapitre 37
Le secret des Aliens
Lévana
Devant mon sac de voyage, je reste un moment immobile, incertaine. Je ne devrais pas avoir envie de lui plaire et me prendre le chou en me demandant si le pantalon synthétique en imitation cuir est plus sexy que cette robe cintrée qui me fait une chute de reins canon… Je finis par me secouer en soupirant lourdement, récupère mon pantalon, un tee-shirt, et file dans les toilettes pour me changer à l’abri des quelques regards qui se promènent dans le dortoir.
Je ne suis pas mécontente de quitter ma tenue de service. J’avoue que j’ai l’impression d’être un morceau de viande, d’avoir été davantage recrutée pour mes airbags que pour mes compétences professionnelles. J’enfile mon pantalon, mon tee-shirt blanc basique que je noue sur mon ventre et prends quelques secondes pour abandonner mon chignon strict, laissant mes cheveux retomber naturellement dans mon dos. En repassant devant mon petit box, je dépose ma tenue et récupère ma veste, enfile ma paire de baskets et me dépêche de descendre pour rejoindre Nal’ki, qui m’attend devant le bâtiment.
— Désolée, j’ai fait au plus vite, lancé-je, à moitié essoufflée, en me postant à ses côtés.
Je ne devrais pas remarquer son regard appréciateur, c’est pourtant le cas. Cela ne devrait pas me flatter, c’est l’envahisseur, malheureusement… Je débloque totalement, c’est n’importe quoi. J’ai bien peur que le fréquenter sur son vaisseau me fasse oublier qu’il fait partie de ceux qui ont envahi mon monde à moi, bouleversé nos vies, mis un terme à mon insouciance, détruit ma famille…
— Je crois avoir lu quelque part que sur Terre, les jolies femmes se font toujours attendre. Et vous n’êtes pas vraiment en retard, nous n’avons pas d’obligation, ce soir. Juste aller au restaurant et ensuite partir en excursion. Beau programme, n’est-ce pas ?
— Les jolies femmes seulement ? Je vous dirais bien que les moches aussi, mais je trouve ça tellement cliché de dire que les femmes se font attendre, grimacé-je alors qu’il me fait signe de le suivre. Je crois que votre base de données contient bien trop de pensées humaines masculines. Croyez-moi, vous gagneriez au change à chercher à comprendre l’esprit féminin plutôt que de prendre pour acquis tout ce que nos hommes peuvent penser.
— Je vais essayer d’actualiser mes bases de données pour des sources plus féministes, sourit-il. Ou alors, il faut juste que je continue à vous fréquenter, vous êtes de bonne influence, je pense.
— Vous en êtes sûr ? Parce que vous vous retrouvez quand même à espionner les vôtres à cause de moi…
— Je suis sûr d’apprécier passer tout ce temps avec vous, oui. Quant à la partie espionnage, elle est pour l’instant limitée, je dirais. Je ne garantis pas les résultats pour ce soir, vous savez ?
Je m’arrête alors qu’il ouvre la porte d’un bâtiment plus coloré que ceux qui l’entourent et observe mon compagnon du moment.
— La question est de savoir si vous voulez vraiment que nous ayons des résultats, puisque vous affirmez apprécier passer du temps avec moi, noté-je avec un sourire en coin tout en passant la porte.
— C’est le meilleur moyen d’être récompensé, je pense, rétorque-t-il, séducteur.
Être récompensé… Comment pourrais-je le remercier, si je retrouve Jeanne ? Une pensée me traverse mais je la mets très vite de côté. C’est n’importe quoi d’imaginer… ne serait-ce qu’une seconde, un baiser, voire même… Ouais, non. Disons que je pourrais éventuellement l’épargner lorsque les Valkyries lanceront une attaque ciblée sur son quartier. Une vie pour une vie ? Voilà, bonne idée. Hors de question de lui rouler une pelle ou de coucher avec lui. Bon sang, coucher avec l’ennemi, quelle traîtrise ! Manquerait plus que ça. D’ailleurs, est-ce même possible ? Font-ils ce genre de choses ? Si je suis honnête, il faut avouer qu’il est plutôt agréable à regarder, bien bâti, et agréable tout court lorsqu’il ne cherche pas à soumettre le sexe féminin ou qu’aucune connerie sexiste ne sort de cette jolie bouche si bien dessinée…
— Stop, ma fille, tu délires totalement ! marmonné-je en levant le nez sur la décoration pour essayer de penser à autre chose.
Un peu comme pour le lieu de réception, la déco est plus soignée que dans le bâtiment où je dors. C’est à la fois classieux et épuré, dans des teintes de rouge et d’argent. Ils n’ont pas fait les choses à moitié.
Je sursaute lorsqu’un robot se plante devant moi alors que Nal’ki m’interroge sur ce que je viens de dire. Je balaie sa question d’un revers de main et observe la machine interagir avec lui comme si elle était vivante. C’est encore plus impressionnant que les machines qui se sont développées sur Terre ces dernières décennies, pour le service, notamment. En quelques secondes, nous voici installés dans une alcôve intimiste, un menu s’affiche sur la table en verre, un bras sort du mur pour déposer un pichet d’eau, la lumière se tamise au-dessus de nous et une voix salue Nal’ki en l’interpellant par son nom.
J’observe le menu, peu concentrée sur ce que je lis. Je commence à m’impatienter, j’ai hâte que la nuit tombe, je veux que nous partions explorer le vaisseau-planète, je veux en apprendre davantage sur Jeanne, la voir peut-être ? Cela fait des semaines que Nal’ki et moi parlons d’elle, qu’il a créé en moi cet espoir d’enfin savoir, il est plus que temps !
— C’est quoi, ces histoires d’expériences, alors ? lancé-je finalement après que Nal’ki m’a guidée sur les noms des plats et que nous avons commandé.
— Vous avez vraiment envie de savoir ? soupire-t-il. Je ne suis pas sûr que nos méthodes vous plaisent.
Est-ce que j’ai vraiment envie d’être mise au courant ? J’avoue être partagée, mais je ne peux décemment pas faire comme si ma petite soeur, si elle est toujours en vie, n’avait pas vécu des choses ces cinq dernières années.
— Qu’est-ce que Jeanne a potentiellement pu vivre, Nal’ki ?
— Est-ce que j’ai votre parole que vous n’en parlerez à personne ? Nous ne sommes vraiment pas censés en parler à des Terriens. Mais je comprends que pour votre sœur, vous ayez envie de savoir.
Je grince des dents. Je déteste mentir et je sais très bien que je ne pourrai jamais garder des infos telles que celles que j’ai pu accumuler depuis mon arrivée ici pour moi. Il est évident que tout ce que j’ai pu apprendre va finir dans les oreilles des Valkyries. Alors… une promesse non tenue ?
— Je devrai donc mentir à mon frère à ce propos ? soupiré-je, me donnant un peu plus de temps.
— En même temps, je pense que ça n’a plus trop d’importance, on devrait arriver bientôt à la phase deux. Je sais que je vous demande des choix difficiles, mais ce serait bien que pour le moment, personne d’autre que vous ne soit au courant.
— Je ne peux pas vous promettre de garder les infos pour moi, Nal’ki, murmuré-je en détournant le regard.
J’ai l’impression de trahir les Valkyries, à cet instant, et j’avoue que cela m’effraie. Je ne devrais pas avoir de mal à mentir à cet extraterrestre pour le bien des miens. Le trahir lui ne devrait pas me poser problème. Et pourtant…
— Je comprends, finit-il par exprimer après un long silence. Je pense que tant que vous êtes ici, vous n’aurez pas les moyens de communiquer avec votre famille de toute façon. Donc, je peux parler. Je ne sais pas par où commencer par contre… Vous savez pourquoi nous sommes venus sur votre planète ?
— Je n’en sais pas plus que ce que vous et vos congénères nous ont expliqué, que vous aviez besoin d’une nouvelle planète et que la nôtre est celle qui convient le mieux pour vous. Des rumeurs disent que votre atmosphère était polluée, d’autres que vous avez eu besoin d’une plus grande superficie parce que votre planète était trop petite… Certains disent que vous y avez abandonné vos femmes, d’autres qu’elles sont toutes logées ici mais, si c’est le cas, elles se font discrètes parce que je n’en ai pas vu une.
— Toutes nos femmes, mères, filles, épouses ont en effet péri en raison d’une épidémie dont nous ne connaissons pas trop la raison. Et nous avons dû abandonner notre planète avant que nous ne connaissions le même sort. Donc oui, votre planète est celle qui convient le mieux parce que vous avez des génomes qui ressemblent aux nôtres. Nos scientifiques pensent qu’ils sont… compatibles, si vous voyez ce que je veux dire.
Je ne peux retenir une grimace et suis presque soulagée de voir apparaître le robot qui nous apporte nos plats. J’ai commandé une soupe, premier plat que Nal’ki m’a expliqué, sans trop me poser de question… J’avoue m’en moquer encore davantage à présent.
— Compatibles… Est-ce que c’est ce à quoi je pense ? Vous voulez dire que ma petite sœur a sans doute… Est-ce que vos scientifiques ont utilisé le corps de ma sœur pour porter vos enfants ?
Il a l’air gêné mais ne se défile pas. Il continue à me regarder et prend le temps de réfléchir avant de me répondre.
— Si tout s’est bien passé, c’est possible qu’elle soit enceinte, oui. Ou qu’elle ait accouché. Mais les tests sont plus larges que ça. Nous avons besoin de savoir si ce n’est pas nous, les hommes, qui sommes à l’origine de la disparition de nos femmes… Si ce ne sont pas nos fluides qui ont causé la mort des nôtres. Et oui, de voir si une union entre nos corps peut être fertile. C’est pour ça que nous n’avons pas pris de femmes mariées. Nous avons cherché à respecter au maximum les familles. Et de ce que je sais, l’idée était de ne tester qu’avec les femmes volontaires. Il y a donc aussi la possibilité que votre sœur n’ait été que témoin de tout ça. Qui sait…
Je ne réponds pas immédiatement et soupire lourdement. Je me posais déjà bien des questions sur ce que Jeanne a pu vivre ces dernières années, j’avoue qu’à présent, elles peuvent sans doute être multipliées par deux. Et s’ils avaient fait des expériences sur son corps ? Si… Je crois que j’ai envie de vomir.
— Je pense que si l’on découvre des horreurs sur ma sœur, ce soir, vous allez devoir m’empêcher de foutre le feu à votre vaisseau, Nal’ki. Je ne suis pas sûre de pouvoir supporter d’apprendre certaines choses.
— Je ne sais pas si ça va vous rassurer, mais la communication officielle fait remonter que les Terriennes qui ont accepté l’expérience n’ont pas regretté. Il y a même des récits qui font part de notre supériorité dans certains domaines, ajoute-t-il en me regardant avec une intensité qui me trouble. Mais c’est peut-être juste de la propagande, je ne peux en être sûr. Et j’espère vraiment que les tests montreront toutes les compatibilités possibles.
Je hausse les épaules, pas vraiment convaincue, et plonge le nez dans ma soupe histoire de pouvoir réfléchir à tout cela. J’avoue avoir déjà imaginé des dizaines de scénarios sur le destin de ma petite soeur, et sans doute que finir enceinte n’est pas le pire, mais il n’en reste pas moins qu’elle a passé cinq ans en leur compagnie, sans jamais nous donner de nouvelles, et cela signifie sans aucun doute qu’elle a été contrainte à beaucoup de choses. Alors, jusqu’où est-ce que ça a été le cas, hein ?
Annotations