Chapitre 39
Les infos de la fureteuse
Lévana
Mais qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi lui demande-t-il de nous accompagner à l’intérieur ? Je ne comprends pas… Maintenant que nous avons appris que Jeanne n’est pas ici, que leurs expériences ont été déplacées sur Terre, qu’attend-il de plus de cet homme ? Nal’ki pense-t-il vraiment qu’il a d’autres informations à nous fournir ?
Alors que nous avançons dans un couloir sombre, mon bras passé autour du sien, mon esprit est parasité parce ce qu’il s’est passé il y a quelques minutes. J’ai l’impression d’étouffer, de commencer à paniquer. Nal’ki et moi nous sommes embrassés. Mon corps a réagi au contact du sien. Je devrais avoir honte, pourtant… pourtant, merde, je n’avais jamais ressenti ça auparavant.
J’avoue avoir totalement abandonné la conversation qui a lieu entre les deux aliens, déconcentrée par cette analyse que je ne parviens pas vraiment à faire. En vérité, j’ai envie de me frapper d’avoir pris du plaisir à être aussi proche de lui, mais j’ai aussi envie de virer le gardien pour reprendre là où nous nous sommes arrêtés. Et ça, c’est hors de question !
— Excusez-moi. Est-ce que je peux faire un détour par des toilettes ou… je ne sais pas…
Un lieu où je pourrais me retrouver seule quelques minutes, histoire de m’auto-engueuler, de me coller deux ou trois baffes histoire de reprendre contenance et d’arrêter mes conneries mentales ?
— Bien sûr, ma Jolie. C’est juste ici, m’indique le gardien alors qu’il pointe du doigt un couloir adjacent.
— Super, merci. Je vous rejoins, marmonné-je en m’enfuyant comme si j’avais le feu aux fesses.
Je suis à deux doigts de faire une prière pour qu’ils ne me suivent pas, et je suis soulagée de parvenir à m’enfermer dans la pièce sans les avoir entendus dans mon dos. Je souffle lourdement, profite du lavabo pour m’asperger le visage d’eau et m’observe dans le miroir.
— Jeanne, Jeanne, Jeanne, murmuré-je sans quitter mes yeux bruns, similaires à ceux de ma sœur. Tout ça c’est pour Jeanne.
Je passe une main lasse dans ma tignasse rouge aux racines presque noires, souffle un bon coup et grimace lorsque mes yeux tombent sur mes lèvres légèrement gonflées. Purée, mais c’est pas possible ! Contrôle-toi, ma fille, contrôle ton corps ! Le frisson qui vient de dévaler ma colonne vertébrale est bien trop agréable quand on pense qu’il est causé par le souvenir d’un baiser avec l’envahisseur. Je n’aurais pas dû le laisser faire, j’aurais dû me débattre, mais bon sang, c’était tellement bon, si intense et… interdit. Voilà, c’est dit, je suis excitée par cet interdit. Je mérite quelques gifles, je crois. Je n’ose imaginer la tête de mon frère, d’Olivier ou même de Jasmine si j’avouais ce qui s’est passé il y a quelques minutes. Le pire, dans tout ça ? Je me demande si Nal’ki a apprécié autant que moi ou si ça n’a été, pour lui, qu’une simple obligation pour qu’on ne se fasse pas griller. Est-ce qu’il avait envie de m’embrasser ? Est-ce qu’il recommencerait si je lui disais que je le souhaite ?
OK, ça suffit, Lev’. On arrête les conneries. Je suis dans un lieu où il y a potentiellement des informations sur ma soeur et sur l’expérience des aliens, il est temps que je me reprenne.
— Nal’ki ne me fait pas d’effet, Nal’ki ne me fait aucun effet, cet alien ne me fait pas d’effet. Focus sur la mission, Lévana, murmuré-je à nouveau devant le miroir avant de lever les yeux au ciel.
Je suis en train de devenir folle à me parler ainsi à moi-même. Et je sors des toilettes perplexe, entre envie de rire de moi et agacement. Il est hors de question que je merde parce que je suis déconcentrée. Peu importe sa belle gueule, son corps ferme et ô combien chaud contre le mien, ce semblant de complicité qui transparaît parfois ces derniers temps et le plaisir que je peux souvent prendre à passer du temps avec lui. Et voilà, ça recommence. Encore et toujours lui.
J’observe ce qui m’entoure et décide de ne pas retrouver tout de suite mes compagnons de soirée. Il me semble plus intéressant d’aller mettre mon nez là où on ne m’emmènera pas. C’est donc avec un plaisir que je peine à dissimuler que je trouve une sorte de débarras, ou tout du moins une pièce de stockage. Je laisse la porte entrouverte afin d’avoir un filet de lumière et tente d’ouvrir quelques tiroirs qui sont malheureusement fermés à clé. Je doute qu’il s’agisse de paperasse, j’imagine qu’avec leur technologie bien plus avancée que la nôtre, il y a bien longtemps qu’ils n’utilisent plus de papier. Je fais chou blanc dans cette pièce et grimace en sortant. Je sais que mon temps est compté. D’ici peu, ces messieurs se demanderont ce que je fiche et viendront me chercher, alors il ne faut pas que je traîne. Je tente d’ouvrir plusieurs portes qui sont elles aussi fermées, et suis presque étonnée de finalement m’engouffrer dans une pièce.
C’est très sommaire, assez petit, et comprend un bureau, quelques chaises et deux fauteuils l’un en face de l’autre, il y a quelques tiroirs à fouiller ainsi qu’un meuble bas. Encore une fois, tout est bouclé, mais je tombe sur quelques feuilles volantes en déplaçant un livre aussi épais qu’un dictionnaire terrien. Chacune des pages est gribouillée, encadrée de dessins faits à la main, parfois de formes qui ne ressemblent pas à grand-chose. On dirait mes prises de notes au lycée, lorsque je m’ennuyais en cours. J’imagine que ce sont des mots écrits à la va-vite, on ne dirait pas des phrases, d’autant plus que l’un d’eux est inscrit dans ma langue au beau milieu de tout ça : famille. Qu’est-ce que c’est que ça ?
J’hésite à les embarquer avec moi pour les montrer à Nal’ki. Est-ce qu’ils se rendraient compte que les papiers ont disparu ? C’est abandonné, non ? Il ne me faut finalement pas bien longtemps pour me décider. Je plie rapidement les feuilles et les glisse dans la poche arrière de mon pantalon. Je ne sais pas si ça nous apportera quelque chose, mais ma curiosité a été piquée, alors cela aura au moins le mérite de la satisfaire.
Je reprends le couloir en sens inverse et suis le son des voix lorsqu’elles parviennent jusqu’à moi. De nouveau curieuse, je m’arrête avant d’entrer dans la pièce où sont Nal’ki et le gardien. Je me demande si mon “partner in crime” a tenu l’échange pour me laisser le temps de fouiner ou s’il ne lui est pas venu à l’esprit que je chercherais des infos de mon côté. En tout cas, tous deux discutent sans se soucier que je ne sois pas de retour.
— Ca fait déjà quelques semaines qu’elles ont été déplacées, mais la zone de recherche n’est pas complètement fermée.
— Elles peuvent sortir avec leurs compagnons ? demande Nal’ki qui semble vouloir récolter un maximum d’informations. Ou tu veux dire qu’on peut rentrer et qu’elles sont isolées, sans aucun des nôtres ?
— Eh bien, c’est un peu compliqué, tout ça. De ce que j’ai compris, il y a eu plusieurs étapes, et au final, toutes n’ont pas été autorisées à sortir, certaines sont restées isolées. Après, elles n’avaient pas accès à tous les lieux du vaisseau et ne devaient pas sortir seules. Disons que tout le monde est resté méfiant.
— Pourquoi personne sur Terre ne parle de cette zone ? Même moi qui gérais une des zones, je n’étais pas au courant, c’est fou.
— La zone n’est pas publique, je ne sais pas où elle se situe. Je n’ai aucune information officielle, vous savez, j’ai juste… les oreilles qui traînent. Et les yeux aussi. Sacré spécimen que vous avez convaincue, d’ailleurs, si je peux me permettre, glousse le gardien, me faisant grimacer.
— C’est vrai qu’elle est magnifique, mais je ne suis pas sûr de l’avoir convaincue, elle a un sacré caractère, ce qui la rend encore plus désirable… D’ailleurs, je me demande où elle est. J’espère qu’elle ne s’est pas perdue dans le camp.
— Une main de fer dans un gant de velours, un peu de patience et de savoir-faire et vous allez y parvenir, je n’en doute pas. Je suis même certain qu’elle adorera ça !
— Vous avez l’air d’avoir de l’expérience. Vous avez pu participer à la phase une de l’expérience ?
— Oulah, non, je n’en ai pas eu le droit, je ne suis qu’un simple gardien. Pour le moment, il n’y a que l’élite qui a pu profiter de l’expérience.
— Quand on sera à la phase deux, on pourra tous en profiter, il ne faut pas être trop impatients.
— Ouais, mais on dirait que vous, vous avez envie d’anticiper les choses ! Petit veinard, va ! Si vous voulez partager, je suis là, hein ? Tout ce que j’ai vu me laisse penser qu’il n’y a aucun risque, je veux bien être un cobaye, moi aussi !
Nouvelle grimace qui s’imprime sur mon visage et je recule de quelques pas avant de faire du bruit pour informer de mon retour. Je passe devant la pièce en zieutant dedans et reviens sur mes pas.
— Ah, vous voilà… Je crois que je m’étais un peu perdue, gloussé-je en m’accrochant au bras de Nal’ki.
— Oh, ne t’inquiète pas, Chérie. On discutait et… on pourra parler de ce que j’ai appris plus tard. Là, je suis impatient de voir une des pièces qui a été au cœur de l’expérimentation en phase une. Toi aussi, j’espère !
— Evidemment ! C’est pour ça que nous sommes ici, non ? souris-je.
Le gardien ricane en nous faisant signe de le suivre et, quelques mètres plus loin, nous fait entrer dans une pièce qui n’a plus rien à voir avec ce que nous avons visité jusqu’à présent. L’ambiance est totalement différente et j’ai presque envie de rire tant cela me semble cliché. Nal’ki, lui, reste bien silencieux tandis que notre guide sourit de toutes ses dents.
— Bon, eh bien… Je vais faire comme si je n’avais vu personne et vous laisser tranquilles. Passez une bonne soirée, tous les deux !
Son air libidineux me donne envie de lever les yeux au ciel, mais j’avoue être un peu soulagée de me retrouver seule avec Nal’ki. Un peu seulement, parce que j’ai conscience que tout pourrait déraper maintenant que la porte se referme sur nous.
Annotations