Chapitre 42
La féérie de l’instant présent
Nal’ki
J’ai une curieuse impression à la fois de familiarité et d’étrangeté en marchant ainsi, bras dessus, bras dessous avec Lévana. J’ai le sentiment que tout est naturel, que c’est comme se retrouver sur la planète mère et marcher au clair de lunes avec la femme avec qui je souhaite passer plus que du temps amical. Je sais pourtant au plus profond de moi que ce ciel étoilé est faux, que ces lunes sont reconstituées et que si je devais les chercher, il faudrait d’abord que je trouve la constellation du Scorpion et que ce ne serait que des étoiles à peine brillantes. Et surtout, j’ai conscience que Lévana, quoi que je puisse ressentir pour elle, reste inaccessible. Je ne suis pas un briseur de couple et même si notre aventure ici, sur le vaisseau-planète, nous rapproche, je n’ai rien à espérer. Pris par cette atmosphère un peu irréelle et extraordinaire, je me suis laissé aller à quelques insinuations sur ce que je ressens pour elle mais nous en sommes toujours au même point. Deux êtres que tout sépare et que rien ne pourra rapprocher.
Nous avançons en silence et je ne peux m’empêcher de jeter de fréquents regards vers ma compagne du soir. Son visage est éclairé d’une luminosité lunaire assez particulière, ce qui relève la touche brune de ses cheveux qu’elle n’a pas dû teindre en rouge depuis un moment. Ses yeux sont tournés vers le ciel qu’elle observe avec une attention que j’aimerais diriger vers moi. J’admire ses pommettes, son nez aquilin, et j’essaie de ne pas trop baisser les yeux vers sa poitrine que moule son débardeur qui me laisse aussi apprécier la nudité de ses épaules. Je ne sais pas si c’est possible mais je crois qu’elle m’attire un peu plus à chaque moment que je passe avec elle.
Alors que nous approchons de notre hôtel, mes réflexions me mènent à nouveau aux Valkyries. Plus j’y pense et plus je crois que si elle n’en fait pas partie, elle doit en être très proche vu ses idées sur la condition des femmes. Est-ce que cela me dérange ? Non. Au contraire, ça renforce l’idée d’interdit qu’elle représente, ce qui m’excite encore davantage. Et… si je veux être honnête, j’ai de plus en plus de mal à les critiquer pour leur violence quand j’analyse celle que représente notre arrivée et l’imposition d’un régime aussi discriminant envers ce que certains appellent le sexe faible. Mais il n’y a rien de faible chez Lévana, juste une force pure, un élan et de l’énergie à revendre… et un charme auquel je ne connais personne qui pourrait résister.
— Tu veux repasser par ton espace avant de venir dans ma chambre ou on y va direct ? demandé-je en maintenant la porte de l’hôtel ouverte pour elle.
Je me demande si elle va se saisir de cette occasion pour ne pas me rejoindre dans ma chambre mais je me sens obligé de lui proposer une échappatoire, si elle en veut une. Je n’ai pas envie qu’elle puisse penser que je l’ai piégée à venir avec moi en évoquant cette vue depuis ma fenêtre. Par contre, durant les quelques secondes qu’il lui faut pour répondre, mon cœur bat la chamade, comme l’adolescent que je ne suis plus depuis longtemps.
— Non, je n’ai besoin de rien, on peut y aller. A moins que tu préfères que nous partions finalement chacun de notre côté. Je me suis invitée, je ne veux pas m’imposer.
— Oh non, m’empressé-je de répondre, tu ne t’imposes pas du tout ! Cela me fait plaisir de continuer à passer du temps avec toi. Suis-moi, nous allons prendre l’ascenseur.
Elle me précède dans l’espace confiné et ne semble pas mal à l’aise du tout, ce qui me rassure sur son état d’esprit.
— C’est ici, indiqué-je en passant mon poignet sur la serrure pour l’ouvrir. Tu vas voir, il n’y a rien d’exceptionnel à l’intérieur.
Une fois la porte refermée derrière elle, je prends encore plus conscience de la proximité entre nous et de la sensualité de la situation. Je prends une grande respiration alors que curieuse, elle scanne la pièce principale de mon espace qui est tout simple, avec le grand lit contre un des murs, la salle de bain sur le côté et la grande fenêtre devant nous. Pour l’instant, on ne peut rien voir car elle est en mode opaque.
— Tout est à ton goût ? Quand je pense que demain, on rentre et qu’on va retrouver nos vies normales, soupiré-je.
— C’est plutôt sympathique, oui. Je t’avoue que j’ai hâte de retrouver un peu d’intimité. Les dortoirs, ce n’est vraiment pas pour moi.
— Oui, je comprends, indiqué-je en essayant de cacher la pointe de jalousie que je ressens en l’imaginant dans l’intimité de son appartement qu’elle partage avec son mari. Tu es prête à voir la vue ? Il faut que je te prévienne, il y a deux choses formidables à observer. Tu veux que je te l’explique avant ou après avoir regardé ?
J’essaie de revenir au présent pour ne pas que mon esprit se projette déjà dans des lendemains où je ne pourrai plus partager cette même intimité.
— Tu as piqué ma curiosité. Dis-moi tout, Monseigneur, je suis tout ouïe.
— Eh bien, la première particularité, c’est que notre vaisseau n’est pas rond, même si ça ressemble à une planète. En fait, c’est juste immense, il y a tous les bâtiments à observer, avec les lumières, les bizarreries architecturales et au fond, à l’horizon, quand il n’y a pas le faux ciel, du noir. Le noir interstellaire. Et ça me mène à la deuxième particularité que tu vas pouvoir observer ce soir.
Elle boit mes paroles et je me demande si le résultat va être à la hauteur de ce que je promets. Mais son regard est tellement intense que j’ai envie de prolonger ce moment.
— Pour la deuxième, il vaut mieux que tu regardes d’abord… Même si tu as conscience que les lunes sont fausses tout comme le ciel étoilé, d’ici, on voit un peu la supercherie… Personnellement, je trouve que ça renforce encore l’émerveillement sur les capacités techniques de mon peuple.
— D’accord… Alors, ne laisse pas traîner les choses davantage, je suis impatiente ! rit-elle.
— Installe-toi là, devant la fenêtre, indiqué-je en la positionnant entre la vitre et moi. Et maintenant, que le spectacle commence, soufflé-je à son oreille en me collant dans son dos.
J’appuie sur le bouton qui permet de révéler la vue derrière la fenêtre. Lentement, les espaces apparaissent et on voit les milliers de lumières qui éclairent la magie de l’organisation créée par nos plus grands scientifiques. Il y a quelques zones d’ombres où se situent nos machines et des espaces techniques mais l’ensemble est merveilleux. Lévana ouvre grand les yeux et semble sous le charme du spectacle qui s’offre à nous. Quant à moi, j’ai une envie folle d’embrasser ce cou qui est à ma portée. Je la domine de toute ma taille et n’aurais aucune difficulté à regarder le paysage si toute mon attention n’était pas prise par sa beauté.
— Est-ce que c’est à la hauteur de ce que je t’ai annoncé ? m’inquiété-je alors qu’elle reste silencieuse.
— Je… j’imagine, oui, souffle-t-elle. C’est surprenant et… superbe. Merci d’avoir accepté de m’accueillir ici.
— Nous ne sommes pas qu’un peuple envahisseur et destructeur, comme tu peux le voir. Je sais que nous avons fait des erreurs lorsque nous sommes arrivés sur ta planète, mais notre survie est en jeu et cela ne nous a pas conduits à faire les meilleurs choix. Quand on peut créer du beau comme ça, cela mérite de nous laisser une chance, non ?
J’ai presque envie d’ajouter que je mériterais aussi qu’elle me laisse une chance, à moi, mais je me retiens. Je dois la respecter et ne rien forcer, même si c’est compliqué de résister à la féérie du moment.
— Les autres sont-ils vraiment comme toi ? Parce qu’à l’heure actuelle, tu es le seul à qui j’ai confié ma vie et, de ce que j’ai pu voir, je ne pourrais pas faire confiance à ceux que j’ai rencontrés.
— Comme partout, je suppose, il y a des bons et des méchants. J’ai toujours essayé de respecter mes principes et je sais que beaucoup des miens font de même. Mais je peux comprendre que tu n’aies pas ce ressenti. Comme depuis la vue qu’on a ici, tu vois que nous sommes parfois plus forts pour les illusions que pour la réalité. Et au moins, tu peux réaliser que je ne te cache rien. Tout ce que je peux te dire, c’est que demain, on retourne sur ta planète et que je vais continuer à t’aider pour retrouver ta sœur, comme je m’y suis engagé. A moi, au moins, tu peux me faire confiance, c’est un bon début, non ?
— Merci, pour tout ça. Vraiment, Nal’ki, murmure-t-elle en se hissant sur la pointe des pieds avant de poser ses lèvres sur les miennes avec douceur.
Je n’ose pas bouger de peur de rompre la magie de cet instant mais je suis rassuré car elle ne s’interrompt pas et, au contraire, elle noue ses bras autour de mon cou pour prolonger ce baiser auquel je ne peux que répondre tellement je suis sous le charme de cette femme extraordinaire. Je referme mes bras autour d’elle et m’empare de ses lèvres, avec la certitude qu’à tout moment, elle va me repousser. Cependant, quoi que puissent penser nos cerveaux, nos corps semblent ne pas s’embarrasser de ces principes qui pourraient nous séparer. Au contraire, comme lors de notre premier baiser dans la rue, elle se love contre moi et nous prolongeons ce contact qui nous fait tout oublier. Je n’ai en tête que cette langue qui vient jouer avec la mienne, que ce corps voluptueux que je serre contre moi, que cette femme unique et formidable qui s’abandonne à cette étreinte qui réveille toutes mes envies et tous ces désirs que j’ai trop longtemps réprimés.
Je la soulève et elle en profite pour nouer ses jambes dans mon dos. Maintenant qu’elle est à ma hauteur, sa bouche se fait encore plus exigeante et j’ai le droit à un baiser comme je n’en ai jamais eu. Elle est entière et passionnée, sensuelle, elle s’offre totalement à moi. Je réponds en essayant de ne pas trop m’emporter. J’ai envie de lui retirer ses vêtements, de l’allonger sur mon lit et de la faire mienne, mais un éclair de lucidité traverse mon esprit et je parviens à reculer un peu la tête, comme si j’avais besoin de reprendre ma respiration. Elle semble frustrée de cette interruption et fronce les sourcils en m’observant avec un désir que je devine fort en elle. Est-ce que je suis en train de rêver ou est-ce que cette Terrienne merveilleuse a vraiment envie de moi autant que je la désire ?
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