Chapitre 45

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Retour sur Terre

Lévana

Fouler le sol de ma planète me fait un peu bizarre après ces quelques jours là-haut. Nal’ki, dans mon dos, inspire profondément, comme si retrouver l’atmosphère plutôt polluée de la Terre lui était agréable. J’ai cru comprendre qu’il avait connu pire alors j’imagine qu’on se satisfait de ce que l’on a.

Le retour sur Terre a été un moment plus ou moins gênant. Chacun de nous s’est un peu enfermé dans sa bulle, histoire de se la réapproprier et d’en exclure aussi délicatement que possible l’autre. C’est plutôt particulier comme situation. Il suffirait d’un mot de ma part pour qu’il comprenne que cette seule et unique nuit pourrait se reproduire sans que ce soit si terrible. Pour autant, jamais je ne serai capable d'assumer une aventure avec un envahisseur. Nul doute que les Valkyries me ficheraient dehors, que mon frère me renierait…

— Bon, eh bien… j’imagine que c’est ici qu’on se quitte, lancé-je en hissant mon sac sur mon épaule.

— Oh, déjà ? On ne peut pas faire une partie du chemin ensemble ?

— Je… Si tu veux, oui, soufflé-je en me mettant en marche tout en fermant ma veste. Il faisait plus chaud là-haut.

Oui, parler de la météo est bien bidon, mais que lui dire ? Cette nuit fut folle, je ne suis pas sûre de m’en remettre, mais ça ne doit pas se reproduire. Tu es l’ennemi et moi la rebelle… Mauvaise idée.

— Pourtant, tu n’as pas revêtu ta tenue de serveuse, rigole-t-il en emboîtant le pas. Tu l’as gardée, j’espère. Elle te va bien et te rend très sexy.

— Je n’ai pas besoin d’être habillée aussi court et provoquant pour être sexy, Monseigneur. Je n’ai jamais été aussi peu vêtue au bar et pourtant je suis incapable de compter le nombre de fois où tu as bavé en me reluquant, souris-je.

— Oui, mais là, ce n’est pas juste ! Je crois que je baverai jusqu’à la fin de mes jours devant toi… même si je ne devrais pas, ajoute-t-il comme s’il venait de réaliser ce qu’il vient de dire. Je vais essayer de te reluquer de manière plus discrète, Lévana, promis.

— Regarder une femme n’est pas puni par la loi ici, tu sais ? Tu fais bien ce que tu veux. Juste au cas où, je ne serai certainement pas au bar, ce soir, j’ai besoin de dormir un peu. S’il n’y a pas de décalage horaire, la nuit a été chargée, si tu vois ce que je veux dire.

— Oui, je comprends, répond-il tristement. Tu vas être occupée de toute façon. C’est le retour à la vie normale pour toi comme pour moi. Et la vie normale, ça veut dire finies les folies avec un alien solitaire.

— Toi qui as accès à l’histoire de mon monde, renseigne-toi sur la façon dont ont été traitées les Françaises qui ont osé faire des folies avec les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas fameux, je te l’assure. Alors peut-être que je ne devrais pas vous comparer, tes compagnons et toi, aux SS, mais dans les faits, fricoter avec l’envahisseur est très mal vu.

Son air absent me confirme qu’effectivement, il consulte sa base de données puis, après quelques secondes, il me regarde et prend un air blessé.

— Nous n’avons rien à voir avec les SS, c’est horrible de dire ça. Et je ne te demande pas de fricoter avec moi, j’ai bien compris que c’était impossible, tu sais ? Je suis bien trop conscient qu’il y a un mari dans l’histoire et je me demande si c’est une bonne idée que je continue à fréquenter le bar, en réalité. Je n’ai pas vraiment envie de me faire du mal, bien que ça me fera aussi plaisir de te voir. Mais bon, il va bien falloir s’organiser pour aller à la recherche de ta sœur, dans les prochains jours ou les prochaines semaines.

Mari ou pas, c’est impossible. Qu’il en ait conscience ne rend pas les choses plus faciles pour autant, c’est sûr. Mais de là à ne plus se voir ?

— Tu me tiens au courant pour la zone secrète ? De mon côté, je vais…

Mais boucle-la, Lévana ! De ton côté tu vas quoi ? Vas-y, balance-lui que tu vas te renseigner grâce aux Valkyries, tant que tu y es !

— Je vais ouvrir l’oreille… Qui sait, tes compagnons seront peut-être bavards au bar…

— Cela m’étonnerait, avant d’aller sur le vaisseau-planète, je n’avais jamais entendu parler de cette zone secrète. Et je n’aimerais pas qu’un de mes compatriotes pose ses sales mains sur toi…

— Je suis une grande fille, tu te souviens ? Capable de me défendre comme une grande sans avoir besoin d’un homme. Vingt-et-unième siècle sur Terre, Nal’ki, souris-je en jetant un œil aux alentours avant de me hisser sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue. Je crois qu’il vaut mieux qu’on se laisse là… Peut-être à demain, si tu viens au bar.

— Comment pourrais-je résister à l’envie de venir te voir ? Je serai là. Aussi discret que je pourrai l’être dans mon reluquage. A demain, Lévana.

Je lui fais un petit signe de main et bifurque dans une rue perpendiculaire, non sans jeter un regard dans mon dos pour constater qu’il n’a pas bougé et m’observe m’éloigner. Je crois bien que cela me fait un peu trop plaisir.

Le bar est quasiment vide, ce qui n’est pas étonnant en ce début d’après-midi. Mon frangin est seul derrière le comptoir et ne me laisse pas une seconde de répit, me sautant dessus comme si j’avais été absente durant des semaines. Il m’étreint fermement avant de poser ses mains sur mes épaules et de m’examiner de la tête aux pieds.

— Un vrai Drama King. Tout va bien, Gaspard, détends-toi ! m’esclaffé-je en le repoussant.

— Te voilà ! On avait peur que tu ne puisses pas rentrer. Il y a des Grandes Tiges qui disaient qu’on ne revient pas du vaisseau-planète quand on est Terriens. Mais avec toi, tout est possible ! Ils ne t’ont rien fait ? Dis-moi que tu vas bien ! Il faut aller prévenir Olivier !

— Wow, hé, calme-toi, tu veux ? Je viens de passer des journées à jouer les bonniches, je peux respirer deux minutes ? Je vais bien, je t’assure, respire.

— Raconte ! Tu as retrouvé Jeanne ? Tu as appris plein de choses sur nos ennemis ? Je suis tellement content de te revoir.

J’accepte qu’il me prenne à nouveau dans ses bras et le laisse prendre sa dose de grand frère stressé durant quelques secondes. Je crois qu’il faudrait qu’on retrouve Jeanne pour que je puisse comprendre ce qu’il vit en tant qu’aîné, bien que je m’inquiète pour lui lorsqu’il part en mission. J’essaie de faire avec son côté hyper protecteur au quotidien, c’est un peu plus vivable aujourd’hui parce que j’arrive à me mettre à sa place, mais il ne va pas falloir qu’il insiste trop non plus.

— J’ai des infos sans avoir de certitudes, concernant Jeanne… Il est possible qu’elle ait passé quelque temps là-haut et qu’elle soit aujourd’hui sur Terre, mais nous n’avons aucune preuve qu’elle y ait été. Globalement, on a trouvé une possibilité qu’il faut qu’on explore avec Nal’ki.

— “Nous” ? Tu vas continuer à explorer avec Nal’ki ? Pourquoi tu as encore besoin de cette ordure si elle est sur Terre ? On pourrait faire ça ensemble, non ? Avec les Valkyries…

— S’il a les moyens de la sortir de là “légalement”, ce sera bien moins compliqué et risqué… autant profiter de son coup de main, non ?

— Il ne sert plus à rien ici. Tu as oublié que c’était Lezeboth, le nouveau grand manitou ? C’est auprès de lui qu’il faudrait demander, non ?

— Et tu veux lui demander quoi, au juste ? Lui dire qu’on a eu les infos par hasard ? Que l’on voudrait récupérer notre petite sœur, perdue il y a cinq ans et qui serait, selon des informateurs inconnus ou top secrets, dans une zone cachée ?

— Je suis sûr qu’avec les Valkyries, on peut monter une opération de sauvetage. On n’a pas besoin des Grandes Perches. Ils sont déjà trop présents dans nos vies et si on travaille avec eux, jamais on ne les renverra d’où ils viennent.

— Donc plutôt que de profiter d’une opportunité, tu préfères mettre les Valkyries en danger pour une seule personne ? C’est un peu égoïste, non ? lui demandé-je en me servant un verre d’eau.

On est d’accord que je suis objective, hein ? C’est bien plus logique de poursuivre avec Nal’ki plutôt que d’impliquer les Valkyries, de les mettre potentiellement en danger en préparant un coup secret alors que, si ça se trouve, Nal’ki pourrait sortir Jeanne de la zone de manière tout à fait normale.

— Tu as peut-être raison… Il faudra en parler avec les autres. Là, tu dois avoir trop hâte de retrouver Olivier et ton appartement, je ne devrais pas t’embêter avec toutes ces histoires alors que tu viens à peine de revenir. C’est comment là-haut ? Tout est vraiment si différent que ça de chez nous ?

— Trop hâte de retrouver Olivier ? A ce point ? Pardon, hein, mais j’ai juste hâte de prendre une bonne douche et de retrouver mon lit plutôt, ris-je en récupérant mon sac. Tout est faux, là-haut. Faux ciel, fausse planète, fausse bienveillance. On est mieux ici, je te l’assure.

— Oui, pas étonnant qu’ils aient eu envie de nous envahir alors, rigole-t-il. Va te reposer, j’assure le service aujourd’hui. Je vais voir pour organiser une rencontre avec nos amis pour décider de ce qu’on fait maintenant que tu es rentrée.

J’acquiesce, dépose un baiser sur sa joue et sors du bar pour monter à mon appartement. Je prie pour qu’Olivier ne se soit pas incrusté chez moi, je n’ai pas particulièrement envie de le voir ou de devoir repousser ses avances. J’avoue pousser un soupir de soulagement quand je constate que mon appartement est vide, et ferme la porte tout doucement pour être certaine qu’il ne m’entende pas depuis celui d’à côté. Je ferme à clé, vais verrouiller la porte qui donne entre les deux logements et peux me détendre après ces quelques jours là-haut. Je me fais couler un bain, me prépare un sandwich et me glisse dans une eau bien chaude et moussante à l’odeur de monoï, puis laisse mes pensées dériver sur ce qu’il s’est passé cette nuit. Je sais que je devrais regretter, mais je suis incapable de le faire, en vérité. J’ai apprécié ces moments passés avec Nal’ki et, si j’ai conscience que c’est mal, je sais aussi que j’ai vraiment lâché prise pour la première fois depuis des mois au creux de ses bras. Alors, tant pis pour les petites vagues de culpabilité qui me saisissent, je veux garder le meilleur de ce séjour. Je n’en suis pas moins une Valkyrie, je serai toujours présente pour le groupe. Ça ne changera rien, strictement rien.

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