Chapitre 46

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L’interrogatoire du sportif

Nal’ki

Je souris à Gabrielle, toujours aussi efficace, alors que je paresse un peu chez moi. Avec nos aventures sur le vaisseau-planète, j’avais oublié qu’ici, je n’ai plus aucune fonction et que je ne sais pas à quoi je sers vraiment. Mon oncle me dirait sûrement que je suis un bon à rien et là, il n’aurait pas tout à fait tort. Voyant que mon employée attend une réponse de ma part, je fais un effort pour revenir à la réalité.

— Je pense que je serai là pour le déjeuner, oui. Et sinon, ne vous inquiétez pas, je mangerai ce que vous avez préparé hier soir. Je vais aller faire un peu de sport pour me maintenir en forme pour l’instant.

— J’ai profité de vos petites vacances pour nettoyer la salle et les équipements. N’hésitez pas à me dire si vous avez besoin d’autre chose.

Elle s’éclipse tandis que je me dirige vers le treadmill où j’accélère progressivement le rythme de ma course. Je fais tout pour que l’effort physique absorbe toute mon énergie et mes pensées mais malheureusement pour moi, cela ne fonctionne pas totalement. Il arrive toujours un moment où, malgré la vitesse intense, mon esprit parvient à s’échapper et à se diriger vers Lévana et les souvenirs qu’elle a laissés chez moi. Je suis content de n’avoir que des visions d’elle dans mes bras et pas dans ceux de son mari que je jalouse au plus haut point.

Je continue ma session avec l’appareil de musculation où j’empile les poids. Cela me force à me concentrer sur l’effort à produire pour les soulever. J’ai vraiment chargé l’appareil et j’avoue que là, je ne pense à rien d’autre qu’au prochain lever. Quel idiot je fais à me casser le dos ainsi juste pour ne pas penser ! Une fois que je n’en peux plus, je ressors et ne manque pas le regard appréciateur que Gabrielle porte sur mon torse nu et couvert de sueur. Je fais comme si je n’avais rien remarqué et plonge dans ma piscine où je fais des longueurs. La fraîcheur de l’eau me fait un bien fou et me revitalise. Cet instant de détente est cependant de courte durée car Gabrielle se pointe et attend que je sorte la tête de l’eau pour m’informer que mon ami, Maxim, est là, avec nul autre que Lezeboth. Quelle chance…

— Faites-les attendre dans le salon, j’arrive, soupiré-je en m’extrayant de l’eau.

Alors que je suis en train de m’essuyer les cheveux, j’ai la désagréable surprise de voir que mes “invités” n’ont pas écouté mes désirs et me rejoignent près de la piscine. Lezeboth est toujours égal à lui-même, un petit air méprisant affiché sur son visage glabre. Ses petits yeux me détaillent froidement et son air réprobateur trahit le jugement négatif qu’il porte sur moi. Maxim, à ses côtés, un peu en retrait, semble vouloir se couler dans le moule de son nouveau mentor. Aucune trace de camaraderie, il est d’un implacable professionnalisme. Nous procédons au salut traditionnel en unissant nos poignets mais vu comment j’ai tout cadenassé, ils ne vont pas avoir beaucoup d’informations, me concernant.

— Mon salon n’était pas assez confortable pour vous ? les attaqué-je, agacé de les voir envahir mon espace personnel. Vous me donnez encore cinq minutes, capice ?

— Tu as peut-être un temps libre plus ou moins illimité et le temps d’aller festoyer chez nous, mais ce n’est pas mon cas, cingle Lezeboth en avançant encore d’un pas. Tu ne m’avais pas averti que tu montais là-haut malgré ta destitution.

Ostensiblement, je finis de m’essuyer les cheveux sans répondre, avant d’enfiler ma chemise.

— Je te rappelle que tout le monde est invité pour notre fête, je n’ai fait que profiter de mon temps libre pour aller festoyer, comme tu dis. Je n’ai pas à te tenir au courant de tous mes faits et gestes, il me semble. C’est quoi, ces manières d’agir? Tu n’as pas mieux à faire que de venir m’embêter jusque chez moi ?

— Je crois qu’une mission t’a été confiée, non ? Plusieurs jours sans te rendre au bar, je pense mériter d’en être informé, oui. Enfin, j’imagine que vu ta proximité avec la barmaid, tu as poursuivi ta mission même à distance ?

Il me faut un moment pour comprendre de quelle mission il parle parce qu’à l’évocation de Lévana, j’ai des images de la jolie femme plein la tête mais je me reconcentre rapidement sur notre discussion.

— En voyant que j’étais parti, tu aurais pu envoyer ton fidèle lieutenant aller traîner au bar, si tu crois que c’est si utile que ça. Je suis sûr que Maxim aurait pu faire le travail mieux que moi, de manière consciencieuse et efficace. Quant à la barmaid, elle faisait partie de l’équipe retenue pour le service. Tu sais bien que ça a été validé en haut lieu, tu ne remets pas en cause la surveillance que j’ai faite pour nos responsables, quand même ? conclus-je perfidement.

— Validé en haut lieu à ta demande, non ? Ne me prends pas pour un imbécile, Nal’ki, je t’en prie. Bref, là n’est pas la question, en vérité. J’attends ton compte rendu.

Il va être vite fait, mon compte-rendu. A part lui décrire les courbes de Lévana, sa façon de se donner totalement quand elle fait l’amour et les cris qu’elle pousse quand elle jouit, je n’ai pas grand-chose à raconter. J’hésite quelques secondes et étudie l’idée d’inventer quelque chose avant de me résigner à lui dire la vérité. Une partie de la vérité, en tout cas.

— Eh bien, les gens ne nous aiment pas, ça, c’est évident. Quand je suis là et que je parviens à me faire oublier, j’entends beaucoup de discours critiques sur la façon dont on traite les femmes. Je ne crois pas que ce soient uniquement les Valkyries qui nous en veulent, tu sais ? Je pense que l’avis est assez généralisé et que s’il y a une chose à faire remonter, c’est que notre stratégie n’est pas forcément la bonne. Ce n’est pas en les réduisant aux rôles de soumises et d’esclaves que nous allons réussir à conquérir les Terriennes. Je crois qu’une approche plus subtile serait plus adéquate. C’est en tout cas le résultat de mes observations quotidiennes et de ce que j’ai vu là haut aussi. Je peux t’assurer que Lévana a attiré beaucoup de regards et qu’elle répond mieux aux yeux doux que lui ont fait tous nos camarades qu’aux coups et à la domination.

Et c’est un euphémisme si on considère où l’expérience nous a menés, mais je ne vais pas lui avouer cette partie-là, cela ne le concerne pas.

— Donc nous devons jouer les soumis comme leurs hommes ? ricane Lezeboth en jetant un regard à Maxim, toujours silencieux dans son dos. Ton discours risque d’en faire rire plus d’un.

— Cela ne fait pas rire ton Lieutenant, tu vois ? le provoqué-je avant de reprendre immédiatement. Tu sais ce que ça veut dire, avoir un discours mesuré ? C’est ne pas pousser à l’extrême certains concepts. Bref, il y a un espace interstellaire entre leur laisser une place et se soumettre à elles. Je dois continuer ma mission au bar, alors ? Pour l’instant, je n’ai pu aider à déjouer aucune opération des Valkyries mais sait-on jamais, ça pourrait arriver ? indiqué-je en essayant de cacher mon ton sarcastique. Ou alors, tu as trouvé une autre mission que je pourrais faire ?

Je suis en train de me demander comment je vais faire pour accompagner Lévana sur la zone secrète si déjà là, il se pose des questions sur mon absence pour aller sur notre vaisseau planète.

— Tu sembles beaucoup te plaire dans ce bar… Es-tu vraiment efficace dans cette mission ? Impliqué ?

— Je crois que tu ne pourrais pas trouver plus impliqué que moi ! répliqué-je honnêtement. Je pense réellement que le cœur de vie de la zone 34, c’est là. Il y a eu des attaques pendant que j’étais parti ? Je n’ai rien vu de particulier à part quelques escarmouches. Je pense vraiment qu’ils sont en train de préparer quelque chose d’important. Et que sans une politique efficace d’espionnage, ça va nous péter entre les dents.

— Il ne s’est rien passé de significatif, intervient Maxim. Nos sources ne nous ont rien fait remonter de particulier non plus quant à une action à venir.

— Mais nous n’avons pas de source assez proche des Valkyries pour ça, marmonne Lezeboth. Vu le temps que tu passes au bar, je pensais que tu aurais davantage d’informations à nous transmettre.

— Eh bien, je t’en ai donné deux : on pourrait les calmer en revoyant notre politique envers les dames et je sens une tension monter. Je suis sûr que ce sentiment provient de mes observations. Je vais y retourner dès cet après-midi et essayer de creuser la piste. Je pense que Lévana pourrait me renseigner si j’y vais discrètement. Un voyage ensemble, ça rapproche, elle ne devrait plus tarder à se confier à moi, j’en suis convaincu.

Tu m’étonnes que ça rapproche. On aurait difficilement pu faire plus ! Mais c’est vrai qu’elle est restée discrète sur les aspects politiques. Je pense qu’elle est proche des Valkyries sur le plan des idées, elle doit bien savoir qui elles sont. Peut-être que je devrais lui demander un ou deux noms pour calmer les envies de Lezeboth ?

— Bien. Que ça ne traîne pas, ou nous prendrons des mesures un peu plus… fermes, pour obtenir des réponses de la barmaid.

— Et ça marchera aussi bien que les tentatives de mater les Valkyries, me moqué-je. Tu sais que tous les grands stratèges le disent : la force brute, ça ne sert à rien. Il faut une main de fer dans un gant de velours. Tu as dû oublier la deuxième partie de cette maxime.

— Qui a parlé de force brute ? Les femmes ont un défaut très utile pour nous, ici. Elles sont sentimentales. Il suffit de mettre dans la balance les gens auxquels elles tiennent, je suis sûr que l’on pourrait obtenir bien plus d’informations de leur part. C’est toi et Maxim qui usiez de la force, mon cher Nal’ki, je suis plus stratège.

— On verra les résultats auxquels tu parviens, persiflé-je. C’est fini, le temps des questions ? Je vais pouvoir aller me restaurer pendant que vous continuez à faire vos importants en paradant partout en ville ?

— Cesse cette mesquinerie tout de suite, je ne suis pas ton oncle, grogne Lezeboth alors que Maxim me fait discrètement signe de me taire. J’attends de toi un compte rendu hebdomadaire sans que j’aie à me déplacer à nouveau. Je déteste perdre mon temps. Allons-y, Maxim.

— Ce sera fait, Lezeboth, dis-je sobrement en les regardant s’éloigner.

Cet entretien me laisse une impression un peu amère et une grande colère. Je n’aime pas me faire traiter comme un moins que rien. J’hésite à retourner dans ma salle de sports pour passer cette rage sur une machine mais l’odeur des plats préparés par Gabrielle me détourne de cet emportement. A bien y réfléchir, cet entretien montre que rien n’a changé ici et que j’ai toujours une bonne raison d’aller au Blue Heart. Le reluquage va pouvoir continuer de manière officielle !

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