Chapitre 47
Conflits de loyauté
Lévana
L’eau qui coule sur ma peau me permet de détendre mes muscles après ma séance de sport suivie de celle de self-défense avec les enfants. Faire du sport, me défouler, m’a fait un bien fou ce matin. J’ai réussi à me débarrasser de mon frangin hier soir, à éviter Olivier en bouclant mon appartement tôt après avoir prétexté un mal de crâne à mon frère et le besoin de me coucher tôt… Pourquoi n’ai-je aucune envie de voir mon “mari” ? La raison est pourtant simple, même si je refuse de me l’avouer. L’éviter m’arrange parce que depuis quelques semaines, je trouve qu’il confond un peu trop le mensonge et la réalité, et je n’ai pas envie de faire semblant aujourd’hui. Pas envie de le repousser, de lui rappeler que nous jouons la comédie alors que j’ai connu un moment empreint d’honnêteté il y a peu, sans faux-semblant. Même si je n’ai jamais joué avec Olivier, j’ai toujours été claire avec lui, pour moi ça n’était que purement sexuel, rien de plus. Malheureusement, j’ai bien peur qu’il souhaite davantage et je ne partage pas ses sentiments.
Je traîne plus que nécessaire sous la douche et grince des dents en sortant, constatant que je vais être en retard pour mon débrief avec les leaders des Valkyries. Je m’habille en vitesse, sors du bloc de douche en nouant mes cheveux mouillés sur le haut de ma tête et me fige en voyant Oli au bout du couloir, la petite Louane dans les bras. Du haut de ses six ans, la jolie petite blonde babille, le sourire aux lèvres, et appelle le mien lorsque je l’entends raconter comment elle a mis au sol une des grandes de dix ans lors de notre session de self-défense.
Elle abandonne malheureusement Olivier au moment où je passe, sautille jusqu’à Rachel qui l’attend avec un petit groupe, et mon ami attrape délicatement mon bras pour m’empêcher de partir.
— Désolée, je suis un peu pressée, j’ai rendez-vous avec les autres pour débriefer…
— Je ne t’ai donc pas manqué ? Parce que l’inverse est vrai, tu sais ?
— Tu sais que je ne suis pas partie en vacances ? Je n’ai pas vraiment eu le loisir de me détendre suffisamment pour penser à autre chose qu’à ne pas faire une boulette et me faire prendre…
Oui, bon, OK, je mens comme je respire… J’ai fini mon séjour là-haut très détendue… Trop ? Sans doute. Si j’étais vraiment honnête avec lui, je lui dirais que je n’ai pas vraiment pensé à lui. C’est moche, mais c’est la réalité.
— Après le débrief, tu viens me retrouver et je te fais un petit massage ? Tu verras, ça te fera oublier tout ton stress !
— Je bosse au bar après, je ne vais pas avoir le temps. D’ailleurs, je suis en retard, m’en veux pas, mais il faut que je file. On a un souci avec l’une des cafetières ici, toi qui bricoles, tu crois que tu pourrais y jeter un coup d'œil ? éludé-je.
— Oui, je vais la bricoler avec mes doigts de magicien dont tu peux toi aussi profiter quand tu veux, hein ?
J’acquiesce, dépose une bise sur sa joue et fuis lâchement pour m’engouffrer dans le long couloir qui ramène sous le café, là où se trouve notamment la pièce où nous nous réunissons. Quand j’arrive et entre le code pour accéder à cette zone, Gaspard me hèle et m’étreint comme s’il ne m’avait pas vue hier.
— Respire, Frangin, je vais bien, hein ? Tu vas t’en remettre ? me moqué-je.
— C’est bête, mais j’ai cru que tu allais subir le même sort que Jeanne et que je n’allais jamais te revoir… Ne rigole pas, je ne suis pas sûr que je m’en serais remis et je suis content que tu sois là, près de moi.
Je le repousse gentiment et lui grimpe sur le dos comme lorsque nous étions plus jeunes. Par réflexe, Gaspard agrippe mes cuisses et me hisse plus haut tandis que je passe mes bras autour de son cou. Il bougonne mais je peux percevoir son sourire alors qu’il nous fait entrer dans la salle de réunion, où Fatou est en train de remplir sa tasse de café. Jasmine sourit en nous voyant faire les andouilles, Myriam a déjà le nez dans de la paperasse mais elle nous salue d’un signe de tête. Quittant le dos de mon frangin, je prends le temps d’étreindre les filles et m’installe à côté de Fatou qui glisse une tasse devant moi.
— Alors, il s’est passé quoi pendant mon absence ? lancé-je pour ne pas perdre de temps et alors que Jasmine et Gaspard se galochent comme si de rien n’était.
— C’est plutôt à toi de nous transmettre toutes les informations que tu as ! s’emporte Fatou, toujours aussi vive. Ici, ça sent mauvais. Lezeboth est un pervers qui veut tout foutre en l’air. Et en plus, ça se tend partout, on dirait. Ils ont l’air sur les nerfs, les grandes tiges.
— Eh bien… honnêtement, je n’ai pas grand-chose à vous annoncer si ce n’est qu’avec Nal’ki, on a des pistes pour trouver Jeanne, qui est apparemment sur Terre après avoir passé un bon moment là-haut.
— Il lui est arrivé quoi ? Tu as eu des infos sur les raisons de son enlèvement ? m’interroge Jasmine qui sait à quel point cette disparition nous affecte, mon frère et moi.
J’ai un moment d’hésitation. Est-ce que je dois lancer le pavé dans la mare ? Si j’avoue aux filles ce que m’a confié Nal’ki, j’ai peur de déclencher une guerre. D’un autre côté, comment leur cacher ça ?
— Apparemment, ils ont recruté des femmes pour… comment dire… tester la compatibilité entre eux et nous afin d’envisager des accouplements… Jeanne était mineure, elle n’aurait pas dû être embarquée, Nal’ki n’est pas parvenu à savoir pourquoi c’est arrivé.
— Putain, on n’est que des souris de laboratoire pour eux ! Ils font des tests sur des humaines ! Sur nos sœurs ! Et donc, tu veux dire qu’ils veulent toutes nous engrosser ? On n’est que des poules pondeuses pour eux ? Tu m’étonnes qu’ils veulent nous transformer en esclaves. Des esclaves sexuelles, bientôt ! C’est dégoûtant ! s’indigne Fatou à mes côtés.
— Je crois qu’il y a deux camps dans les oppresseurs, ceux qui veulent faire ça en douceur et donner le choix aux femmes et… les autres. Du moins, ils n’ont pas tous le même discours.
— Il faut tous les émasculer ! s'emporte Jasmine. Il faut qu’on les frappe au cœur sans plus attendre. Vu leurs discours et ce que tu dis, ils arrivent à la fin de leurs expérimentations. Si on ne fait rien, on va toutes passer à la casserole ! Moi, j’appelle à des actions encore plus fortes et qui les touchent vraiment !
Gaspard reste silencieux de son côté de la table, mais il semble bouillonner. Et je peux le comprendre, imaginer notre petite sœur dans ce contexte me donne moi aussi toujours autant envie de hurler malgré le fait que j’ai eu le temps de digérer les choses. Myriam, elle, garde le nez sur ses papiers et je me demande si elle est vraiment concentrée sur notre échange. Depuis la mort de notre alliée Hortense, je la trouve davantage sur la réserve.
— A quoi tu penses ? Une frappe d’envergure ? Depuis que Nal’ki a été remplacé, la surveillance est encore accrue…
— On a continué à travailler sur nos bombes, on va tout faire péter. A commencer par la maison de Nal’ki et celle de Lezeboth ! Il nous faut des symboles ! Et il faut qu’on communique à toutes les autres zones ce qu’on sait et ce qu’on fait ! On tient là l'élément qui peut tout changer ! Tu imagines si tout le monde se révolte en même temps ? Ils sont morts, les grandes tiges. Et nous, on retrouve notre liberté !
A cet instant, je me rends compte que je suis vraiment dans la mouise. Mon premier réflexe est de leur dire non, qu’on ne peut pas faire ça, que Nal’ki n’est pas un méchant. Il est pourtant l’envahisseur, lui aussi. Peut-être n’est-il pas aussi mauvais que son remplaçant, il semble tenir compte de mon point de vue et réaliser qu’il n’a pas toujours agi comme il aurait dû, il reste malgré tout l’oppresseur.
— On devrait peut-être se concentrer sur un objectif à la fois, non ? Lezeboth serait la cible parfaite pour commencer.
Une partie de moi a envie de s’auto-étriper. Je me fais honte d’essayer de sauver Nal’ki, pour la cause, pour mes camarades… mais c’est sorti tout seul.
— Non, il faut frapper fort, intervient froidement Myriam. Il faut qu’on venge Hortense et tous les autres. Pense à tes parents, Lév. Pense à ta sœur. On leur doit ça. De toute façon, si on fait encore les choses à moitié, ils vont en profiter pour nous écraser. Il faut créer la panique chez eux. Je ne vois pas d’autres solutions.
J’avoue que je suis assez étonnée par son discours. Myriam est d’ordinaire plutôt mesurée, réfléchie… J’ai peur que son besoin de vengeance l’aveugle un peu.
— La dernière fois qu’on a voulu frapper fort, on a perdu Hortense… Tu es sûre de toi ?
— Je ne veux pas finir dans le lit d’un alien. Je ne veux pas devenir la mère d’un monstre qui leur ressemblerait. Plutôt mourir que leur céder. On n’est pas des mères génitrices, Lév.
— Je suis d’accord avec toi, évidemment, soufflé-je sans plus oser regarder l’un d’eux autour de la table.
Je crois n’avoir jamais été aussi mal à l’aise qu’à cet instant.
— Et je ne dis pas non pour frapper fort, continué-je malgré tout. Mais Nal’ki nous aide à trouver Jeanne, je ne peux pas envisager de le tuer.
— Il faut écouter ma sœur, c’est elle qui a pris les risques pour avoir les informations que l’on a aujourd’hui. Sans elle, et sans son travail auprès de l’ancien grand manitou, on ne saurait rien. Et si on peut retrouver Jeanne grâce à lui, il faut le préserver. On peut frapper fort sans l’attaquer directement, non ? Occupons-nous plutôt du grand blond qui est là depuis le début et qui est le sous-chef de Lezeboth. Cela aura plus d’impact, vous ne croyez pas ?
Plus personne ne parle, comme si chacun pesait le pour et le contre. J’ai l’impression de percevoir de la suspicion dans le regard des autres, mais je dois me faire des films. Heureusement, il n’est pas inscrit sur mon front que j’ai fricoté avec le camp adverse. Et j’ai tellement honte à cet instant, parce que je ne parviens pas à regretter cette nuit avec Nal’ki. Maintenant, il va falloir voter, et j’espère que l’intervention de Gaspard aura eu un certain impact, parce qu’il sera difficile pour moi de monter un plan pour tuer le seul extraterrestre qui ne me sort plus par les yeux. Est-ce que tout doit se jouer là, tout de suite ? Je ne suis pas prête, moi.
Annotations