Chapitre 50

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Renouer des liens

Nal’ki

C’est quand je fais des longueurs dans ma piscine que je réfléchis le mieux. L’effort physique me permet de me déconnecter de la réalité et de l’aborder différemment. Je tire sur mes bras, je pousse sur mes jambes, je plonge sous l’eau et surtout, je continue tant que je peux. Alors que je vais abandonner cet effort physique aussi intense qu’agréable, c’est l’image de Maxim qui s’impose à moi comme une évidence. De par sa proximité avec Lezeboth, c’est sûr qu’il a accès à toutes les informations les plus secrètes. Il a peut-être même les codes et les moyens de consulter les bases de données confidentielles. Il y a cependant un hic, pensé-je en me hissant hors du bassin, nous sommes en froid du fait de ma disgrâce auprès du Directoire.

Sous la douche, alors que je me savonne et me frotte vigoureusement le corps, pour une fois, ce n’est pas aux courbes de Lévana que je pense mais bien à mon camarade avec qui j’ai tant partagé. Déjà sur notre planète, quand nous étions enfants, nous étions inséparables. Et lors de l’invasion, je lui ai sauvé la vie à plusieurs reprises alors qu’il prenait des risques dans ce but toujours ancré en lui de progresser dans la hiérarchie. Je crois que son objectif ultime, c’est de prendre la tête du Directoire et que notre amitié a pris un premier coup quand c’est moi qui ai été nommé pour diriger la zone 34 et pas lui. Il n’a rien dit, il est resté à mes côtés mais la frustration était là. Je l’ai sentie, je l’ai devinée… et je n’ai rien fait. J’aurais peut-être dû lui laisser la place vu que pour moi, cela ne revêtait pas la même importance, mais non, j’avais envie de prouver à tout le monde que ma méthode et ma façon de faire pouvaient réussir. Pendant l’invasion, j’étais déjà le seul à faire preuve de mansuétude et de compassion et cela avait admirablement réussi. Mais là, je suis obligé de constater que c’était un échec. On a la seule zone où rien ne va.

J’ai beau tourner mes réflexions dans tous les sens, je ne vois aucun moyen de retisser les liens que nous connaissions. Cela ne m’empêche pas de le contacter et de déclencher l’intercom pour lui parler. Il met du temps à me répondre mais finit par se connecter et je le vois apparaître à mes côtés, dans mon bureau. Il a revêtu son uniforme, à croire qu’il ne le quitte jamais. Il a cet air ennuyé et agacé qu’il semble préférer arborer depuis quelque temps en ma présence. Je fais comme si tout était normal et lui souris.

— Bonjour Maxim. Merci de m’accorder un peu de temps.

— Qu’est-ce que tu veux, Nal’ki ? Je n’en ai pas beaucoup, du temps à t’accorder.

— Je crois que j’ai besoin de l’écoute de mon ami, comme au bon vieux temps, quand on était adolescents et qu’on se soutenait l’un, l’autre. Tu penses que c’est encore possible après tout ce qui nous est arrivé ?

Il semble surpris de mon ton qui a perdu toute arrogance et toute assurance et lève les yeux vers moi, un peu étonné. Mais j’avoue que repenser à nos échanges quand on était plus jeunes me fait réaliser tout ce qu’on a perdu et je n’ai pas à me forcer pour parler comme je le fais.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? me demande-t-il après avoir laissé planer un lourd silence.

— Tu penses que l’on peut échanger sur ce canal de discussion sans risquer de se faire espionner ? C’est sécurisé ? J’ai besoin de t’évoquer la situation dans laquelle je me retrouve et de voir si tu peux me donner un coup de main. Et ça n’a rien à voir avec la gestion de la zone, je te rassure, ça ne craint rien pour toi. Ou presque rien, je dirais, pour être honnête.

J’ai du mal à lire en lui comme je le faisais il y a quelques années. Il a vieilli et sait mieux se contrôler. On voit qu’il cherche à ne pas se laisser aller à la camaraderie qui nous liait par le passé.

— Pourquoi as-tu peur que nous soyons espionnés si je ne risque rien, au final ? me demande-t-il, suspicieux. Je suis disponible sur l’heure du déjeuner, si tu veux un face à face.

— Comme tu veux, Maxim. Soit on parle tout de suite, ou on peut se retrouver au Blue Heart. L’idée, c’est qu’on puisse parler tranquillement. Et j’ai besoin d’informations qui ne sont pas disponibles pour tout le monde mais qui n’auront aucun effet sur la gestion des zones, je pense. C’est pour ça que je ne veux pas qu’on nous écoute.

— Je ne pense pas pouvoir t’aider. Si tu n’as pas les infos, c’est que tu ne dois pas les avoir. Mais soit… rendez-vous dans ton repaire ce midi, tu pourras me dire ce qui te passe par la tête.

— Merci Maxim. A tout à l’heure.

Il disparaît comme il est apparu et je me demande comment va se passer ce déjeuner entre nous deux et jusqu'où je peux me confier pour arriver à mes fins et enfin découvrir où se trouve la zone où se déroulent les dernières expérimentations. Je suis sincère quand je dis qu’il n’y a pas un enjeu de sécurité, on en est à la finalisation des choses, on va bientôt passer à la Phase deux, on n’en a jamais été aussi près. Quel pourrait être le risque pour lui ?

Un peu avant l’heure prévue pour notre rendez-vous, je pousse la porte du bar et fais un petit salut à Jasmine qui est de service. Lévana sera là un peu plus tard, mais ce n’est pas plus mal. Je serai moins distrait et il y aura moins de risques qu’on finisse par s’embrasser. Enfin, si elle cède encore à ses envies et oublie un peu son mari, ce qui me semble toujours aussi improbable.

Je suis à peine assis que Maxim entre à son tour. Si quand moi je me présente, le silence se fait à chaque fois, là, c’est encore plus pesant, on dirait. Et je n’ai pas à m’inquiéter d’être entendu par d’éventuels voisins, tout le monde s’écarte quand mon ami s’approche de moi. On est isolés dans notre coin et seule Jasmine s’approche pour prendre nos commandes. Nous n’échangeons pas durant ces mondanités et c’est quand nous nous retrouvons devant notre bœuf bourguignon que je me décide à attaquer.

— Merci d’être venu, Maxim. J’ai vraiment envie de te dire ce que j’ai sur le cœur mais peux-tu me promettre que si ça ne met pas en danger la zone, tu ne diras rien à Lezeboth ou au Directoire ?

— Au nom de notre vieille amitié, disons que je peux garder ça pour moi… mais n’abuse pas trop quand même.

J’hésite quelques instants sur la façon dont je vais présenter la situation mais je suis rassuré de le voir un peu plus détendu et même un peu souriant.

— J’ai pris des engagements auprès d’une personne qui m’est très chère, trop sûrement, et j’aimerais les tenir. Mais pour ça, j’ai besoin d’informations que je n’ai pas réussi à obtenir sur le vaisseau-planète. Enfin, je n’ai pas eu toutes les informations que je souhaitais avoir parce que j’en ai eu quand même pas mal.

— Tu m’en dis trop ou pas assez, là. Qui est cette personne ? Et quel genre d’informations tu cherches, au juste ?

J’essaie de ne pas dévoiler toutes mes cartes pour l’instant et me lance sur la deuxième partie de sa question.

— Tu as suivi l’avancement de l’expérimentation avec les femmes ? Aujourd’hui, d’après ce que j’ai appris, tout semble concluant sur notre vaisseau-planète, dans le milieu expérimental. Et si j’ai bien tout saisi, ils ont transféré l’expérimentation ici pour voir si les femmes ne meurent pas suite à leur contact très rapproché avec nous. Comme on ne sait toujours pas ce qui a créé la mort de nos femmes, ils prennent toutes les précautions. Et c’est là où j’ai besoin de toi. La zone P2, ça te parle ?

— Tu sais bien que tout ce qui touche à ces expérimentations est très secret, pourquoi j’en saurais plus que toi ?

— Si tu n’en sais pas plus que moi, tu as les moyens vu ta position de le découvrir assez facilement, non ? Tes accès et ceux de Lezeboth ne sont pas si différents ? Et s’ils le sont, ne me dis pas que tu n’as pas les moyens de forcer un peu les choses… Surtout que le secret finira bientôt par être dévoilé. Encore quelques mois, je dirais, mais je ne peux pas attendre…

Je sais que j’insiste et que je lui demande quelque chose qui ne va pas de soi mais depuis qu’on discute, il semble plus détendu et plus ouvert. Sans l’autre abruti de Lezeboth, je retrouve un peu plus mon ami et cela me fait du bien.

— Pourquoi tu veux ces informations, Nal’ki ? me demande-t-il en posant ses couverts sans me quitter des yeux.

— Je te l’ai dit, j’ai pris des engagements, je veux les tenir. Tu sais très bien que j’essaie toujours de tenir mes promesses.

Je n’ai vraiment pas envie d’en dire plus mais l’objet secret de notre conversation choisit ce moment-là pour arriver au bar et entrer dans mon champ de vision. Je ne peux m’empêcher de porter mon regard vers Lévana et elle est encore à tomber. Ses décolletés me tueront. Et ces vêtements qui mettent en valeur ses formes voluptueuses, ça me rappelle tellement nos étreintes et ces courbes magnifiques qu’elle cache dessous. Qu’elle est belle !

— Oh… Je crois que je comprends un peu mieux les choses, me sort de mon observation Maxim, un sourire moqueur aux lèvres.

Je ne peux m’empêcher de rougir un peu et reporte mon attention sur mon ami qui me connait trop bien.

— Je crois que je suis accro, Maxim. Je ne sais pas comment j’en suis arrivé là, mais je n’arrive pas à me raisonner. Cette femme aura ma mort, c’est certain. Et… tu sais comment je suis quand c’est comme ça, je ne peux jamais dire non. Même à une femme mariée.

— Tu vas t’attirer de sacrés ennuis, Nal’ki, soupire-t-il. Même les nôtres ne te soutiendront pas dans cette démarche, on a dit qu’on ne touchait pas les femmes mariées.

— Même sans toucher, on peut regarder. Et l’aider, ça me permet d’être proche d’elle sans franchir le rubicond. Enfin… ce que je veux dire, c’est que la sœur de Lévana a disparu pendant l’invasion. Je crois qu’elle était trop jeune et que quelqu’un a fait une erreur et a cherché à la cacher. Elle ne figure sur aucune liste. Et elle est donc sûrement sur cette zone. J’ai promis à Lévana de l’aider à retrouver sa trace et voir si elle était encore vivante.

Je ne suis pas entièrement sincère, je ne vais pas jusqu’à avouer que je l’ai franchie, cette ligne rouge, mais j’en dis déjà beaucoup et je crois que ça a l’air de convaincre Maxim de mon honnêteté.

— Très bien… Je vais voir ce que je peux faire, mais je ne te promets rien.

— J’ai juste besoin de la localisation de la zone P2, rien de plus. Tu vois, ça ne t’engage pas à grand-chose. Pour le reste, je ferai le nécessaire pour tenir mes engagements sans te mouiller davantage. Merci en tout cas de ne pas m’envoyer balader, ça me fait plaisir de pouvoir ainsi échanger avec toi. Quand tu ne joues pas au petit chef, tu restes sympa quand même, ajouté-je en souriant.

— Je ne joue pas au petit chef, je fais ce pour quoi on me fait confiance. Dois-je te rappeler que j’étais à tes côtés quand tu jouais ce rôle de petit chef ? Tu sais ce que c’est…

— Je n’y ai sûrement jamais mis autant de cœur que toi, mais oui, je sais ce que c’est. Et pas de remarque auprès de Lévana, hein, indiqué-je alors qu’elle s’approche de notre table pour nous saluer.

— Pas de remarque, mais je peux draguer ton fantasme vivant ? chuchote-t-il en ricanant. Je comprends mieux pourquoi tu passes ta vie ici, tu n’es pas guidé par tes papilles gustatives, juste par ta queue.

Je n’ai pas le temps de lui répondre car la jolie serveuse est à nos côtés et nous échangeons quelques banalités. Je suis content de la tournure que prennent les événements et surtout d’avoir renoué avec Maxim. Il ne s’est pas beaucoup engagé mais j’ai confiance en lui. Je sais que lui aussi tient ses engagements et que notre amitié reste sacrée. Une fois que je saurai où est la zone secrète, il sera temps de réfléchir à comment nous nous y rendrons. Pour l’instant, on n’en est pas encore là.

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