Chapitre 54

9 minutes de lecture

Un coup des Valkyries

Nal’ki

Je soupire car il va déjà falloir que je quitte le Blue Heart. Je ne peux pas faire la fermeture aujourd’hui et voler un baiser à Lévana comme j’ai pris l’habitude de le faire ces derniers jours. Et j’avoue que cela me met de mauvaise humeur. Ça et la frustration de ne pas avoir réussi à trouver un moment ensemble depuis la nuit où nous avons célébré de la plus belle des façons la fête du printemps. Et pourtant, chaque soir, je revisite en pensées ces moments de pure joie. Quelle frustration de ne pouvoir recommencer ! Mais Lévana a l’air particulièrement occupée en ce moment. Et même préoccupée. Est-ce qu’elle regrette de s’être laissée aller ainsi ? Impossible, vu comment on a vécu les choses, elle doit être aussi en demande que moi de recommencer. Et pourtant, elle ne m’a laissé aucune ouverture. Aujourd’hui, c’était même encore pire. J’ai à peine eu le droit à un sourire ce matin et elle s’est absentée en début d’après-midi, laissant le bar à son “mari” et à son frère, me privant du plaisir de la regarder. Bref, cette journée n’est pas partie sous les meilleurs augures.

Je rentre chez moi pour me changer et me préparer pour la soirée organisée par le grand manitou et à laquelle j’ai été invité. Je voulais l'esquiver et inventer une excuse pour ne pas y aller, mais Maxim m’a bien fait comprendre que sauf si j’étais aux portes de la mort, je devais être présent. Lezeboth veut en effet nous présenter le nouveau drône qui a été mis au point par nos chercheurs sur le vaisseau-planète. Il a dit que c’était une merveille de technologie, que l’on n'avait jamais vu des caméras aussi efficaces, bla, bla, bla. Passer la soirée à s’extasier sur une machine qui ne va rien faire pour aider à pister les Valkyries, franchement, c’est pas enthousiasmant. Et écouter le grand chef se congratuler d’un truc pour lequel il n’a rien fait, ça va être d’un ennui…

En arrivant à la maison, je suis surpris de la trouver vide. Je croyais que Gabrielle serait là mais elle est sortie. Et comme j’ai oublié de lui demander de s’occuper de ma tenue d’apparat, elle ne doit pas être prête. Tant pis, je vais y aller avec mon uniforme habituel. De toute façon, personne ne va me regarder ou s’occuper de moi. Je suis juste là comme faire-valoir. L’ancien responsable de zone doit être invité à ce genre d’événements, il faut qu’il fasse comme s’il était impressionné. Je ne sais pas si je vais jouer le jeu. Je n’en ai pas du tout envie, surtout en sachant que mon successeur va tout faire pour me rabaisser, comme il le fait à chaque fois que l’on se croise. Mais pourquoi donc j’ai accepté d’aller à cette soirée ?

Bien entendu, j’arrive volontairement en retard dans la grande maison de mon successeur. Je suis surpris de ne croiser personne dans les rues de la ville. Tout est triste, presque lugubre. Même les oiseaux sont déjà allés se coucher car je n’ai croisé qu’une corneille qui croassait en jouant avec un morceau de papier. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi déprimé. Je crois que c’est le manque de Lévana qui fait ça. Quand elle est là, je suis heureux car elle rayonne et brille. Quand on ne peut pas se voir, je suis triste. Pathétique… Dépendre comme ça d’une Terrienne… Mais bon, quelle Terrienne quand même !

La première personne que je rencontre lorsque j’entre, c’est malheureusement Lezeboth qui s’empresse de porter son poignet au mien. Je sais qu’il cherche à me coincer, à trouver des éléments sur moi, mais je me suis assuré qu’il n’y avait rien sur ma rencontre avec Lévana et que tout était le plus clean possible.

— Ne me dis pas que vous m’attendiez pour commencer la petite fête ? demandé-je le plus innocemment possible avant de poursuivre avec ironie. Je suis désolé pour mon retard, mais j’essaie de faire au mieux la mission capitale que tu m’as confiée et ça prend du temps.

— Tu devrais prendre garde à ton attitude, Nal’ki. Cette pointe de sarcasme terrien ne te va pas vraiment. Peut-être que tu passes finalement trop de temps en leur compagnie.

— Mais non, je suis RAVI d’être là ! continué-je sur le même ton un peu badin. On va pouvoir tester le nouveau joujou, ça va être TROP bien. J’espère juste qu’il y a des petits fours pour que la soirée soit parfaite !

Oui, je le provoque, je sais, mais bon, il faut bien que je trouve un peu d’amusement, sinon je vais mourir d’ennui, non ? Et puis, voir l’air fâché de mon supérieur hiérarchique, ça vaut le coup !

— Ton insolence m’insupporte. Je ne crois pas que tu aies conscience que sans Maxim et ton oncle, je me serais déjà débarrassé de toi il y a un moment, grince-t-il, le regard noir. Tu as de la chance d’avoir les bonnes personnes dans ta poche, sans quoi tu ne serais plus là pour m’emmerder.

Oh, il a sorti les gros mots, il est vraiment énervé, là. J’en rajoute une couche ou j’arrête ? Alors que je me décide à remettre une pièce dans la machine, Maxim nous interrompt et vient me saluer.

— Tout est prêt pour la présentation du drône, vous venez ? demande-t-il après avoir posé son poignet sur le mien.

— Oui, allons-y, avant que Lezeboth ne réhabilite les oubliettes des châteaux médiévaux de cette planète. Je crois qu’il a envie de m’y enfermer, il vaut mieux aller voir les beaux robots tout neufs ! souris-je en lui emboîtant le pas.

— Je pensais plutôt a réhabiliter la peine de mort, en vérité, marmonne Lezeboth avant de siffler sa coupe d’alcool d’une traite en s’éloignant.

— Eh bien, tu es en forme, ce soir, soupire Maxim. Tu devrais arrêter de le chercher, tu sais ?

— C’est la seule chose qui m’a fait sourire aujourd’hui. Je dois aussi me priver de ce petit plaisir ? Si on ne peut même plus faire de l’ironie, le reste de nos vies va être triste.

— Je suis presque sûr qu’il était sérieux avec cette histoire de peine de mort, fais gaffe à toi.

— Cela va contre tous nos principes, il ne peut pas être sérieux. Je te rappelle que nous représentons la paix et l’ordre. Il faut que ça commence entre nous, grogné-je alors que nous nous retrouvons dans un grand salon où quasiment tous ceux qui vivent sur la zone sont présents.

Je vois même mon oncle qui est là en virtuel ainsi que quelques Terriens parmi lesquels je reconnais les responsables de la sécurité. Il ne fait pas les choses à moitié, Lezeboth, et prend cette présentation vraiment très au sérieux. Peut-être que je me trompe finalement et que ce nouvel appareil va vraiment faire une différence ? Si c’est le cas et qu’il réduit à néant les Valkyries, mon avenir politique est terminé. Il aura réussi à prouver mon incompétence et mon incapacité à gérer un problème auquel lui aura trouvé une solution. Est-ce que ça fait de moi un traître de vouloir qu’il se plante, comme je l’ai fait ? Non, je ne crois pas. Ce qui m’agace vraiment, c’est que je suis convaincu que ma politique d’ouverture et d’empathie était la bonne, et que là, en parlant ordre, autorité et répression, on ne fait qu’attiser les braises sur le feu.

J’écoute d’une oreille distraite le discours prononcé par Lezeboth et m’évade comme je le peux en regardant le soleil qui se couche par la grande porte-fenêtre qui donne sur un jardin qui a l’air un peu à l’abandon. Il n’a pas la main verte, le grand manitou. Franchement, ces grands sapins mériteraient d’être un peu taillés. Et ces buissons, je suis sûr qu’avant, ils étaient taillés à la française. Là, c’est n’importe quoi. Et c’est quoi, cette tâche blanche que je devine derrière ce banc de pierre ? Je n’ai pas le temps de creuser la question car Maxim me met un coup de coude afin d’attirer mon attention.

— Eh, Nal’ki, regarde, il va mettre le drône en marche. Ne te fais pas remarquer en ayant l’air de préférer les petits oiseaux à notre modernité !

— Oui, Papa, me moqué-je en faisant néanmoins le nécessaire pour prendre l’air intéressé alors que Lezeboth se connecte à l’engin dont toutes les lumières s’allument.

J’entends quelques murmures appréciateurs et me fais la réflexion qu’il y a quand même de sacrés lécheurs de Leze-bottes ici. Je souris à mon bon mot intérieur quand tout à coup, les lumières s’éteignent et nous nous retrouvons dans l’obscurité relative de ce crépuscule sans lune.

— Ce n’est rien, ça va revenir, indique Lezeboth en continuant à programmer le drône. Maxim, tu peux aller voir ce qu’il se passe ? Il doit y avoir un plomb qui a sauté à la cave.

— Tout de suite, Chef, fait mon ami en s’exécutant.

Je l’observe s’éloigner en trottinant presque et me dis qu’il n’a jamais fait preuve d’autant de diligence envers mes demandes. Peut-être que c’est le nouveau grand manitou qui a raison quand il dit que les gens aiment s’écraser et se faire humilier. Lorsque je reporte mon attention sur le drône dont les seules lueurs éclairent la pièce, je le vois commencer à s’élever. Il fait plusieurs tours sur lui-même devant nous, envoyant des lueurs rougeâtres sur nos visages. L’atmosphère est un peu étrange, comme si tout le monde attendait qu’un miracle se passe alors que ce n’est qu’une machine pourvue de caméras et de détecteurs qui est en train de s’initialiser… Quoique, non ! Toutes les lumières du drône s’éteignent en même temps et dans le noir, nous l’entendons s’écraser au sol. Tu parles d’une belle invention ! Elle n’aura pas tenu cinq minutes ! Je pouffe tout seul dans mon coin mais m’arrête vite en entendant des bruits de chute dans le jardin. On dirait que tous nos drônes sont en train de s’écraser ! Mais qu’est-ce qu’il se passe ?

Je regarde à l’extérieur à travers la porte-fenêtre pour essayer de comprendre et entends derrière moi les convives jurer et murmurer entre eux. Lezeboth est en train de râler et de crier dans l’intercom pour avoir des informations auprès du Conseil, mais mon oncle lui répond que tout est normal partout ailleurs et que le problème est circonscrit à notre zone, et même à notre quartier.

— Encore un coup des Valkyries, maugrée un des Terriens.
C’est la dernière chose que j’entends alors qu’une grande déflagration retentit. Nous sommes tous soufflés par l’explosion et je me retrouve propulsé à travers la porte-fenêtre dont le verre a explosé. J’entends des cris derrière moi, des râles de douleur aussi, et essaie de retrouver mes esprits alors que j’ai l’impression que tout mon cerveau résonne. Impossible de vraiment réfléchir et mes réflexes de soldat reprennent le dessus. Je m’accroupis derrière un pilier et essaie de voir les dégâts et de comprendre la situation. Des flammes immenses sont en train de se propager dans la pièce où je me trouvais il y a quelques instants et tout le monde essaie de fuir dans le désordre le plus total. J’aperçois un corps qui gît près des restes du drône et me dis que cette fois, les Valkyries n’ont pas raté leur coup. Je ne vois ni Maxim, ni Lezeboth et me demande s’ils ont disparu dans l’explosion ou s’il s’en sont sortis. Entre le manque de lumière, la fumée et les lueurs des flammes, difficile de se faire une idée sur l’étendue des dégâts.

Lorsque je retrouve un peu mon équilibre et que j’arrive à me reconnecter à la réalité, je me redresse et j’entends un bruit derrière moi. Je sors mon arme et m’apprête à ouvrir le feu quand je réalise qu’il s’agit de deux femmes toutes vêtues de noir. Enfin, non, ce n’est pas ça qui m’empêche de faire feu, mais c’est plutôt le regard de celle qui est la plus proche de moi et qui croise le mien. Non… pas elle ! C’est impossible ! Elle m’avait pourtant juré qu’elle ne faisait pas partie des Valkyries ! Le doute n’est cependant pas permis, je reconnaîtrais l’éclat de ces yeux entre mille. Je pourrais dessiner les courbes de ce corps même dans l’obscurité la plus totale. Si je tire, je peux les éliminer toutes les deux mais je reste là, sans rien faire, pris entre l’impossibilité pour moi de vraiment comprendre ce qu’il se passe et le sentiment de trahison qui me traverse le cœur. Voyant que je n’agis pas, Lévana fait un geste à sa camarade et elles disparaissent dans la nuit. J’ai échoué à les arrêter mais je ne parviens pas à m’en vouloir. De toute façon, j’ai maintenant le nom d’une Valkyrie, ma mission est remplie. Mais que cette découverte est douloureuse ! Pourquoi ne m’a-t-elle rien dit ? Et pourquoi a-t-elle cherché à me tuer ? Je ne suis donc qu’un ennemi parmi les autres pour elle ?

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