Chapitre 56

8 minutes de lecture

Répression, violence ou… ?

Nal’ki

L’agitation est enfin retombée et je m’assois lourdement dans le fauteuil de mon bureau. Dans quelques instants, il va falloir que je me connecte aux autres mais là, j’ai besoin de prendre un peu de temps pour moi. De toute façon, j’attends Maxim avant de faire quoi que ce soit. Encore une fois, il s’en est sorti avec juste une estafilade, une cicatrice de plus qui marquera son parcours. Moi, je n’ai rien. Aucune trace physique en tout cas car à l’intérieur, ce n’est pas la même histoire. Mais je n’ai pas envie de m’apitoyer sur mon sort, ce n’est pas le moment. J’essaie de me secouer et de lister tout ce que je vais devoir faire pour éviter de penser à la personne vers laquelle mon esprit semble décidé à se tourner.

Tout d’abord, il faut que je décide si je veux reprendre le contrôle de la zone ou pas. Lezeboth n’est pas mort mais il est dans un sale état et ne sera pas capable de faire quoi que ce soit avant de longues semaines, ça, c’est certain. Je crois qu’il a perdu un bras et le reste de son corps doit être bien abimé aussi. Il est déjà en route vers le vaisseau-planète où nos médecins vont essayer de le reconstruire au mieux mais pour moi, il ne sera jamais plus pareil. Et Maxim m’a surpris tout à l’heure, alors que l’on transportait le corps d’un de nos officiers, en me demandant si j’allais reprendre le rôle de responsable de la zone. Cela m’a stoppé dans mes mouvements et nous avons failli laisser tomber la dépouille dont nous étions en train de nous occuper.

— Je ne peux pas, Maxim, parce que je sais quelle politique on va nous demander de mener. Là, ça va être répression et violence et… je ne veux pas aller contre mes principes. Je pense qu’il faut pardonner, qu’il faut comprendre et qu’il faut tout faire pour travailler l’union avec les Terriens. Si on entre dans leur jeu, c’en est fini de nous. Ils vont rejeter les parasites qui sont venus prendre possession de leur organisme et nous serons contraints à repartir vers une autre planète. Nous ne sommes plus les plus forts, Maxim, nous n’avons pas le nombre avec nous, notre technologie est impuissante à les contrer même si nous avons réussi à les soumettre en arrivant avec l’effet de surprise. Mais si toi, tu le sens, tu es tout à fait celui qui peut prendre cette responsabilité.

Mon ami m’a juste regardé, interloqué. Je pense que l’envie de vengeance est en lui, qu’il ne comprend pas mon défaitisme, mais moi, je sais désormais que nous ne serons jamais que les ennemis, ici. Si même la femme avec qui je pensais pouvoir vivre tant de choses s’est retournée contre nous, si même cette personne en qui j’avais totale confiance peut utiliser notre relation pour mentir et se rebeller, alors tout espoir est perdu. Et ce n’est pas la force qui arrangera les choses. Au pire, ça soulagera quelques égos le temps que ça dure mais moi, je pense déjà à l’étape d’après. On va tuer des Terriens, plus qu’ils ne l’ont fait avec les nôtres, pour assouvir notre soif de sang et une fois cela réalisé, la rupture sera encore plus totale avec les autochtones. On n’arrivera jamais à séduire leurs femmes et on finira par les forcer, ce qui créera encore plus de ressentiment. Et hop, un nouveau cycle de violence repartira, sans fin. Tout ça n’est pas pour moi. C’est ce que je vais confirmer à Maxim quand il va me rejoindre avec le bilan définitif de cette opération si dévastatrice des Valkyries dont Lévana fait partie.

Si je veux être honnête, c’est aussi à cause d’elle que je ne veux pas reprendre la responsabilité de la zone. Là, je peux faire semblant et prétendre que je ne l’ai pas reconnue. Ce n’est pas facile mais j’y arrive. Un reste de loyauté à son égard, je dirais. Mais en tant que chef, je serais dans l’obligation de la traquer et de la condamner. Je ne crois pas que je survivrais à un tel dénouement vu dans quel état je suis déjà. Je suis dévasté et m’en veux de ne pas avoir vu les signes pourtant présents depuis ma rencontre avec la jeune femme. Est-ce si étonnant qu’une femme avec un tel caractère se batte contre nous et nos lois stupides imposées à toutes les femelles de cette planète ? Est-ce si surprenant qu’elle ne se soumette pas et veuille reprendre le dessus quand on connaît son caractère de feu ? Non. J’ai tu mes doutes en apprenant à la connaître, je crois que je n’ai pas voulu voir les signes. Quel imbécile ça fait de moi ! Quand je pense que je commençais à croire qu’on allait pouvoir faire quelque chose de beau ensemble… Mais là, j’avoue que je n’ai plus envie de croire en quoi que ce soit, difficile d’imaginer qu’elle pourrait vouloir de moi vu ses actes. L’avenir s’est assombri.

C’est Maxim qui me sort de mes sombres pensées. Il s’installe en face de moi qui n’ai pas bougé et me regarde intensément.

— Tu souhaites toujours que ce soit moi qui reprenne le contrôle de la zone ? me demande-t-il, plus doucement que je ne l’aurais cru.

— Je n’ai plus aucun crédit auprès du Conseil, Maxim. Et jamais ils n’entendront ce que j’ai à dire, la façon dont je vois les choses… Au mieux, ils me traiteraient de fou mais avec mon passif, je serais accusé de trahison à coup sûr. Donc oui, la suite, c’est sans moi.

— Et si je te disais que moi, tu as réussi à… non, pas à me convaincre, mais à me faire douter, tu en dis quoi ? Je… je vais me proposer pour prendre la suite de Lezeboth mais… je vais avoir besoin de toi, Nal’ki.

— Besoin de moi ? Mais pour faire quoi ? demandé-je, assez choqué des propos si inattendus de mon ami.

— Je vais faire du cinéma, je vais leur donner la violence qu’ils attendent. Cela va faire du bruit, des explosions, des rapports incendiaires, tout ça, je sais faire. Mais j’ai parlé avec les autres, Nal’ki. Cette attaque a laissé des traces chez tout le monde et beaucoup ont visiblement compris que la phase deux était compromise et qu’elle le sera encore plus si on continue à leur taper dessus sans discernement. Oh, ils veulent punir les coupables, ça, c’est certain. Et c’est normal. Il faut qu’on fasse un exemple des quelques cheffes qui nous ont fait tant de mal. Mais ils ont tous conscience qu’on s’est fourvoyés jusque-là. Et c’est toi qui peux nous aider à arranger les choses. Je ne sais pas comment, mais je te fais confiance. Tu crois que tu peux entrer en contact avec les Valkyries et négocier une paix qui ferait du bien à tous ?

Mais qu’est-ce qu’il me raconte, là ? Et qu’est-ce qui lui a fait changer d’avis aussi drastiquement ? Et c’est quoi, cette idée de mission de paix avec les Valkyries ?

— Tu rigoles ? Négocier la paix avec ces folles ? Et je fais comment pour entrer en contact avec elles alors qu’on court après depuis des mois ?

Bon, je joue un peu la comédie parce que clairement, je sais comment faire. Mais je ne vais pas avouer ça au futur chef de la zone… Et s’il me demande de m’occuper de cette question, peut-être qu’il a capté quelque chose et qu’il est moins con que je l’ai été jusqu’à présent.

— Je ne sais pas… Je t’avoue que je suis un peu perdu, je n’imaginais pas qu’elles pouvaient taper si fort et qu’on pourrait être si à découvert. On a surestimé tellement de choses, au final. Peut-être que si on avait été plus pacifistes… Bref, peut-être qu’on peut faire courir des rumeurs. Toi qui passes pas mal de temps entouré d’humains, tu pourrais glisser qu’on veut entrer en discussion avec la rébellion ?

— Et toi, pendant ce temps-là, tu vas jouer au dur ? l’interrogé-je, toujours aussi incrédule. Tu crois vraiment que ça peut passer ? Mon oncle ne va jamais gober tout ça.

— Eh bien… J’espère que si. Que veux-tu faire, sinon ? On est plutôt limités dans nos actes. Tu ne peux pas demander à ta jolie serveuse de faire l’intermédiaire ?

— Non ! crié-je presque immédiatement. Jamais de la vie !

Je suis surpris par ma propre véhémence mais clairement, je ne veux plus rien avoir à faire avec elle. Reprendre contact avec cette femme qui m’a trompé ? Plutôt mourir.

— Si elle avait eu des contacts, ça fait longtemps que je l’aurais su, indiqué-je en essayant de cacher ma mauvaise foi. Je… je vais réfléchir à un moyen mais je ne mets plus les pieds au Blue Heart. Pas après ce qu’il s’est passé et la mort des nôtres. Cela ne ferait pas sérieux que je continue comme si rien ne s’était passé, comme si c’était cool de continuer à boire avec l’ennemi. Je… je suis sûr que je peux trouver autre chose, si tu me laisses un peu de temps. Tu crois que tu peux faire semblant pendant combien de temps ?

— Je ne sais pas… Le temps qu’il faudra, j’imagine. Espérons que ton oncle soit un peu crédule, ricane-t-il sans joie. Qu’est-ce que tu en penses, de ce plan ?

— Que tu es complètement fou, que ce plan, c’est du grand n’importe quoi, asséné-je avec force avant de me lever et de lui tendre la main. Mais je n’ai plus rien à perdre et j’en suis. Autant essayer ce que nous aurions dû faire dès notre arrivée. Et je sais que je peux compter sur toi pour faire plein de bruit et couvrir mes arrières.

— Il va falloir la jouer finement pour ne pas affoler les Terriens, mais oui, tu peux compter sur moi, me répond-il en serrant ma main dans la sienne.

Mais dans quoi on se lance, là ? Je me rassois dans mon siège alors que Maxim lance la communication avec le vaisseau-planète. Il veut vraiment que je négocie la paix avec les Valkyries ? Mais comment faire sans changer toute notre politique envers les Terriens ? Je crois qu’il va falloir que de son côté, il assure et arrive à manoeuvrer pour faire changer la politique globale du Conseil. Je ne sais pas comment il compte y arriver mais ce que je sais, c’est qu’il croit en ma capacité à entrer en contact avec les rebelles et utiliser cette expérience pour transformer toute notre présence sur cette planète. Je sais que sur le fond, nous avons raison et que passer à la phase deux nécessite une alliance avec les habitants et surtout les habitantes. Mais me demander ça alors que je veux fuir les Valkyries et ne plus jamais entendre parler de Lévana, c’est le comble, quand même.

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