Chapitre 57

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Ils sont fous, non ?

Lévana

Trois jours que je suis enfermée dans le souterrain et je suis déjà à deux doigts de péter un câble. Mais comment font les filles qui ne montent jamais à la surface ? Je ne vais pas tenir bien longtemps avant de me tirer d’ici. Je profite déjà de la nuit pour monter prendre l’air, suffisamment discrètement pour que Gaspard ou Olivier ne m’aient pas grillée, heureusement. Tous deux me couvent comme du lait sur le feu… ou alors ils me fliquent pour s’assurer que je ne vais pas faire une connerie. Et ils ont raison, je n’en suis pas loin.

J’augmente la vitesse du tapis de course et adapte mon rythme en repensant à ma connerie d’hier soir. J’ai failli me faire repérer par un groupe de surveillance en me faufilant dans les petites ruelles en direction du quartier des dirigeants de la zone. Sacrée bêtise, mais j’avais besoin de parler à Nal’ki. De me justifier ? Peut-être… En tout cas, je voulais lui expliquer que je n’ai pas agi contre lui en particulier, seulement contre son peuple qui nous oppresse, mais aussi que je pensais qu’il ne serait pas à cette soirée. Est-ce que savoir qu’il serait là m’aurait empêchée de poser cette bombe ? Je ne sais pas trop… Je crois que j’aurais été capable de l’avertir ou de le retenir pour qu’il n’y aille pas.

Bref, finalement, j’ai fait demi-tour en croisant une seconde équipe de surveillance. J’ai pris conscience de mon imprudence et je suis revenue me terrer dans ce que j’appelle à présent le terrier. J’espère pouvoir vite remonter à la surface et j’avoue que j’ai un petit espoir. Pour le moment, il n’y a pas d’avis de recherche à mon nom, personne n’est venu me cueillir au bar… Est-ce que Nal’ki a gardé l’information pour lui ?

Gaspard m’a dit qu’il n’était pas venu au Blue Heart depuis la soirée… Il y a des rumeurs qui disent que plusieurs des leurs sont morts, qu’il y a des blessés graves, et je ne cesse de me repasser nos quelques secondes face à face pour tenter de me souvenir d’une quelconque blessure, d’une grimace… mais la seule chose qui me revient en tête, c’est son regard déçu en me reconnaissant.

Merde, il me manque… Je donnerais n’importe quoi pour revenir quelques jours en arrière, le voir passer la porte du bar et s’installer à une table au calme pour nous permettre de discuter, ou se poser sur l’un des tabourets du comptoir pour observer chacun de mes gestes et me reluquer comme un mort de faim.

— Tu comptes courir jusqu’à épuisement ?

Je sursaute et manque de me casser la figure, surprise d’être interrompue durant mon marathon décompression. Il y a un moment que je ne m’étais pas acharnée à faire autant de sport. J’y ai passé une bonne partie de ma journée après avoir fait une longue séance de self défense avec les enfants. Je suis crevée mais en même temps, je ne sais pas quoi faire de ma peau.

Gaspard m’observe des pieds à la tête, visiblement concerné, s’attardant sur mon visage. Je suis certaine d’être bien rouge, je transpire comme si je courais sous un cagnard pas possible, mais bon sang, ça fait un bien fou et ce qui sera encore meilleur va arriver : une douche !

— Je n’aurais jamais cru dire ça un jour, mais piétiner au bar me manquerait presque, soupiré-je en faisant ralentir la machine. Il faut bien que je m’occupe. Toujours pas de visite pour venir au bar ?

— Non, mais dehors, ils s’agitent, les aliens. Ils ont fait sauter plusieurs garages mais on ne comprend pas pourquoi, on n’avait rien de caché dedans. Et nos informateurs nous disent qu’ils font plein de réunions et qu’ils sont tous occupés à écrire plein de comptes-rendus… On dirait qu’on les a rendus fous avec notre attaque, sourit-il.

Un petit sourire m’échappe alors que je marche sur le tapis. Je prends le temps d’éponger mon front et mon cou puis bois quelques gorgées d’eau.

— On a le rapport définitif de l’attaque ? Est-ce qu’on connaît le bilan des pertes et blessés chez eux ? L’info sur Lezeboth est confirmée ?

— Le grand manitou est peut-être mort à présent, il est parti en sale état, mais personne n’a confirmé son décès, pas sûr qu’on ait l’information un jour. Quant au bilan définitif, on a fait du beau travail : douze blessés et cinq morts dont deux Terriens à la botte des ET. Leur état-major est dévasté ! Il paraît qu’on en parle même dans les autres zones ! Tu te rends compte ?

Une fois encore, impossible de vraiment me réjouir alors que nous avons pris des vies. J’avoue éprouver une certaine lassitude à cette guerre des camps. Je rêve de me réveiller et que ça n’ait été qu’un cauchemar… Sauf qu’une partie de tout ce que j’ai vécu depuis l’arrivée des envahisseurs était bien loin du cauchemar. Certes, il y a eu beaucoup de douleur, mais j’ai aussi vécu quelque chose de très intense avec Nal’ki et… c’est fini !

— Et Nal’ki ? questionné-je mon frangin en descendant du tapis de course, la respiration encore chaotique.

— Gabrielle dit qu’il est bizarre depuis notre attaque. Il ne parle pas et… comme toi, il passe son temps à faire du sport. Il tourne aussi beaucoup en rond dans son salon, comme s’il réfléchissait. Mais à part ce côté un peu loufoque, il n’a rien physiquement, on dirait. On a raté notre ex meilleur client.

— Tant mieux… Même si je ne suis plus très sûre qu’il nous aide à retrouver Jeanne, maintenant, soupiré-je.

— Parce que tu penses vraiment qu’il nous aurait aidés ? Je crois que tout ce qui l’intéressait, c’était d’essayer de te séduire… Il n’a aucune morale, ce type. Une femme mariée et ça ne le gênait pas de passer ses journées à te mater. Franchement, je suis content qu’il ne mette plus les pieds chez nous !

— Je te trouve bien jugeant. Tu n’as même pas essayé d’apprendre à le connaître, tu n’en sais strictement rien, lui lancé-je un peu froidement.

— Ce n’est qu’une grande perche… dont il faudra se débarrasser comme des autres dès que tous les Terriens auront compris qu’on ne doit pas se résigner. Franchement, j’espère que notre exemple va redonner l’espoir aux nôtres et que la rébellion va gagner du terrain un peu partout. Ils ne sont pas invincibles, on l’a prouvé, Lév.

— Oui, et ils ne sont pas tous aussi mauvais que ce Lezeboth non plus… Franchement, j’en ai marre de toute cette histoire, moi. Si seulement on pouvait tous cohabiter sans se marcher dessus et chercher à dominer l’autre, tout irait beaucoup mieux.

— C’est eux qui ont commencé, Lév. S’ils n’étaient pas venus nous soumettre, rien de tout ceci ne serait arrivé. Nos parents seraient sûrement encore en vie et on serait avec notre sœur. Ça, moi, je ne l’oublie pas, me rétorque-t-il un peu brutalement.

— Je ne l’oublie pas non plus. Je te rappelle que je dois jouer la comédie depuis des années et que je risque de finir par devenir un utérus sur pattes, moi. Alors excuse-moi de fatiguer de temps en temps et de rêver à un monde en paix… Bon, il faut qu’on comprenne pourquoi ils font péter tout et n’importe quoi… Est-ce qu’ils ont trouvé d’anciennes planques ou c’est vraiment tout au hasard ? Il y a eu des blessés ?

— Désolé, je m’énerve alors qu’on devrait tous se réjouir. Parce que non seulement, notre opération a été un succès, mais en plus, oui, ils tapent n’importe où. Tu crois toi, qu’hier, ils sont arrivés à une vingtaine et qu’ils ont encerclé une voiture dans la rue avant de la faire sauter alors qu’elle était vide ? Ils sont devenus fous, je te dis.

Fous, je ne sais pas, mais ils agissent effectivement de manière étrange. Sans compter que Nal’ki n’a apparemment pas cafté.

— Ça ne te paraît pas étrange qu’ils ne me cherchent pas ? Je suis certaine qu’il m’a reconnue…

— Moi, je crois que ça fait partie de leur plan… Ils font comme si tu étais passée incognito et si tu réapparais, ils te suivront discrètement pour trouver les autres Valkyries. Ils sont malins, tu sais ? Et donc, il faut que tu restes cachée, surtout. Sinon, on y passera tous. Heureusement que je suis un mec, sinon, ça serait dangereux pour moi aussi. Et au pire, moi, je peux jouer au frère qui ne sait rien. Mais c’est étrange, oui, qu’ils n’aient pas cherché à m’interroger au moins. Tu crois que Nal’ki aurait pu ne rien dire ?

— Peut-être… Ça prouverait que tous ne sont finalement pas si pourris, tiens, ça te ferait les pieds !

— Ou alors, comme je le disais, il cherche à tous nous coincer en même temps et c’est pour ça qu’il ne met plus les pieds au Blue Heart. Il faudrait peut-être qu’on ferme le bar et qu’on essaie de fuir vers une autre zone ?

— Je ne partirai pas sans Jeanne. Si on fuit, on aura une cible dans le dos, Gaspard, je doute que ce soit une bonne idée… Ils ne voudront jamais de nous dans une autre zone et il n’y aura plus aucun doute sur ta culpabilité. Si tu continues ta vie comme avant, tu ne laisses aucun indice…

— Ouais, je sais, c’est ce qu’on a décidé de faire, mais il y a un truc qui cloche. Les grandes perches ne sont pas logiques, là, et ça, ça me fout la trouille, j’avoue.

— Il n’y a toujours pas eu d'annonce officielle pour savoir qui reprend les rênes de la zone ? Ils sont sans doute désorganisés et doivent taper partout où ils ont des doutes. J’imagine qu’ils ont plus la trouille que nous encore.

— Gabrielle dit que c’est l’ami de Nal’ki, qui a repris le contrôle. Le gars, il doit être trop content, il a enfin eu ce qu’il voulait après être passé derrière son pote et Lezeboth. Ils sont vraiment comme nous, je crois, le pouvoir les attire, les femmes leurs plaisent. C’est quand même incroyable alors qu’on a évolué tant de millénaires sans avoir de contacts.

Je hausse les épaules et récupère mon sac dans un coin de la pièce. Je sais qu’il est tard mais je n’avais pas conscience que le gymnase s’était vidé durant ma petite course. Je n’ai plus qu’une envie, me doucher, manger un morceau et aller me coucher.

— Ce qui est incroyable, c’est tous ces siècles de guerres partout et que personne ne réalise que tout ça a été mené par des mâles, la plupart du temps, chez eux comme chez nous. Mais bon, qui sait, peut-être qu’un jour vous réaliserez que vous êtes le fond du problème ? Je file à la douche… Passe le bonjour à Jasmine de ma part, Frérot.

Je dépose une bise sur sa joue, quitte le gymnase et me faufile dans les couloirs peu chaleureux du souterrain pour aller détendre mes muscles sous un filet d’eau chaude. J’espère qu’il n’y aura pas trop de monde au bloc de douches et qu’il restera quelque chose à manger en cuisine, mais ce dont je rêve surtout, c’est de ne pas me retrouver encore une fois à discuter de ces explosions et de la vie là-haut. Depuis quand n’ai-je pas eu une conversation ordinaire avec mon frangin ou une des personnes ici ? Je crois que je suis incapable de m’en souvenir.

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