Chapitre 58

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Le cowboy du Blue Heart

Nal’ki

Il n’y a pas d’autre solution et ça me met en rage. Mon seul lien avec les Valkyries, c’est Lévana. Quelle que soit ma décision de ne plus rien avoir à faire avec elle, je suis contraint de partir à sa recherche si je veux pouvoir entrer en contact avec les rebelles et réfléchir à comment préparer la phase deux pour ne pas que notre invasion tourne au fiasco. Et tout ça, sans en parler à notre Conseil qui pense qu’ils sont dans le vrai et qui nous accusent d’être les responsables de toutes les escarmouches qui commencent à naître un peu partout, dans toutes les zones. C’est la panique sur le vaisseau-planète mais ils ne comprennent pas du tout la philosophie humaine. Les vrais coupables, ce sont eux et leur idée saugrenue de brider les femmes pour les préparer à se soumettre à nous. Je ne le voyais pas vraiment auparavant, mais plus j’y réfléchis et plus je comprends à quel point nous nous sommes fourvoyés. J’en viens à me dire que la seule chose positive qu’on a amenée sur cette planète, c’est la paix. Et peut-être une meilleure prise en compte de l’écologie. En même temps, si on veut vivre longtemps sur une planète, il faut en prendre soin, ils ne sont quand même pas très malins, ces humains.

J’observe la porte et la terrasse du Blue Heart, prends quelques grandes respirations pour me calmer un peu. J’hésite sur la façon d’aborder les choses. Il y a quelques secondes, j’étais à deux doigts d’entrer mon arme à la main et d’arrêter tout le monde mais ce n’est pas le bon plan. Si ça dégénère, c’est foutu pour entamer une discussion avec les Valkyries et ça voudrait dire encore un échec pour une mission qui m’est confiée. J’ai raté beaucoup de choses jusque-là, il faut que ça change. L’avenir de mon espèce est en jeu. Nos valeurs aussi. Si on continue comme le Conseil le souhaite, on va peut-être réussir à forcer les femmes à se soumettre à nous, mais quelle vie ce sera ? Aucune harmonie, aucune paix… Et moi, la guerre, j’en ai vraiment assez. Alors, je prends sur moi et passe la porte, le plus calmement possible.

Le silence est total et toutes les têtes sont tournées vers moi. Je n’essaie même pas de sourire et les observe froidement. Sont-ils au courant que la serveuse est une rebelle et c’est moi, le dindon de la farce ? Ou alors, ils ne se doutent de rien ? Impossible de le savoir, mais je reste immobile pour leur mettre la pression, bloquant la porte d’entrée de mon imposante carrure. On se croirait dans un western spaghetti où le cowboy mystérieux regarde les méchants sans cligner des yeux. Il ne manque que la musique de Morricone pour rendre l’atmosphère encore plus pesante. Ah non, il manque aussi autre chose : la jolie héroïne aux formes voluptueuses pour qui tout le monde se bat. Lévana n’est pas là, c’est son frère qui est au bar.

Nos regards se croisent alors que Gaspard s’est stoppé, un verre à la main, à moitié séché. Je crois qu’il n’en revient pas de me voir là et que sa stupeur l’empêche de vraiment réfléchir à ce qu’il doit faire.

— Je vais la faire simple et courte, affirmé-je doucement. Je veux discuter avec le patron. Je vais compter jusqu’à dix. Si vous êtes encore là et que vous ne vous appelez pas Gaspard, je tire et fais passer ça en vengeance suite à l’attaque des Valkyries. Capice ?

Purée, il faudrait vraiment que j’arrête de prendre les mauvais films terriens comme référence aux comportements que j’adopte pour m’intégrer. Cela doit leur sembler pathétique mais personne ne me fait de remarque. Au contraire, ils se lèvent tous, des chaises tombent et ils partent, tête baissée et la peur au ventre. Je dois vraiment être horrible à voir. Après quelques secondes, je suis surpris de constater qu’il ne reste pas que le frère de Lévana. Jasmine, l’autre serveuse, est restée aussi. Je fais comme si c’était normal.

— Elle est où, Lévana ? demandé-je en venant m’accouder au bar comme si je ne venais pas de faire fuir toute la clientèle. Ne me dites pas que vous ne savez pas, je ne vous croirai pas.

— Vous venez de foirer mon chiffre d’affaires de la journée, soupire-t-il en terminant d’essuyer le verre qu’il avait dans la main.

— Vous et moi, on sait parfaitement que je peux foirer bien plus que votre satané chiffre d’affaires, aboyé-je presque. Alors, je répète ma question qui est très simple : où est Lévana ? Il n’y a qu’elle qui sait préparer le cocktail que j’aime, ironisé-je. Il faut absolument que je la voie.

— Qu’est-ce que vous lui voulez, au juste, à ma sœur ? Parce que j’ai la liste des ingrédients pour votre cocktail imbuvable alors il faudra vous passer d’elle aujourd’hui.

Je garde le silence quelques instants et me demande comment continuer cette conversation qui semble partir sur des bases particulièrement stériles. Mais comment leur en vouloir ? L’ennemi est dans la place.

— J’ai besoin de lui dire en face que mentir, c’est pas beau. Et si vous me dites qu’elle a toujours été sincère avec moi, là, je vous préviens, ça va vraiment m’énerver. J’ai horreur de la trahison et il me suffit d’un mot à Maxim pour que ce bar soit rasé et que tous les occupants soient arrêtés. Alors, pour être sympa, je vais changer de question, vous allez voir, ça va être tout aussi sympa.

Je tourne la tête vers Jasmine alors qu’ils restent silencieux, un peu ébranlés par mes propos durs et sans concession.

— Les Valkyries, vous en faites partie aussi, je pense. Où vous cachez-vous ? Et pas de mauvaise réponse parce que je suis vraiment de mauvais poil.

— Les Valkyries… Vous… vous nous prenez vraiment pour des Valkyries ? me demande-t-il, visiblement surpris, avant de lâcher un rire nerveux. Et comment je fais pour bien répondre quand vous attendez des informations que je n’ai pas, au juste ?

— Ecoute, ce n’est pas à un homme que je m’adresse mais à la Valkyrie qui est à côté de toi. Alors, je vais être gentil et répéter une nouvelle fois ma question, continué-je d’une voix un peu plus lasse. Où se cachent les Valkyries, chère Madame ? Je… j’en ai marre qu’on me mente et comme vous le voyez, je suis seul. Avec ce que je sais, j’aurais déjà tout pu faire sauter, ici. Donc, accordez-moi le bénéfice du doute et répondez-moi. C’est si difficile que ça de me dire où est Lévana et où se cachent les autres Valkyries ?

— Je pourrais vous le dire, mais je trahirais et mon amie, et mes sœurs d’armes, Monsieur, me répond-elle finalement en levant fièrement le menton. Alors seul ou pas, faites ce que vous voulez, arrêtez-moi, interrogez-moi, torturez-moi, je ne dirai rien.

— Ne l’écoutez pas, intervient Gaspard en tirant Jasmine derrière lui. Elle veut simplement vous provoquer, elle ne sait rien.

— Ah ! On avance, on dirait. Elle n’a pas l’air de ne rien savoir, ta copine. Oh, ça fait beaucoup de négations tout ça. Bref, je me perds et je m’embrouille. Alors, je vais faire simple et jouer au con pour lequel vous me prenez. Je sais que Lévana est une Valkyrie, je suis convaincu que Madame l’est aussi mais on va faire comme si elle s’était trompée. Et donc, moi, j’ai besoin de parler à une Valkyrie. L’équation est simple, il me semble. Si vous êtes tous des innocents ici, vous allez me chercher Lévana et vous me la ramenez. Avec elle au moins, peut-être que j’arrêterai de perdre mon temps ? Après, si vous préférez, j’appelle du renfort et on fouille tout le bar. Vous ne m’en voudrez pas si ça occasionne un peu de casse mais… nous sommes un peu énervés et pas très délicats quand on est en colère. Donc, Lévana ?

Le couple échange un rapide regard que je ne manque pas et je sais qu’ils sont un peu perdus. Je comprends aussi que leur loyauté les uns envers les autres et leur volonté de se protéger les empêchent de répondre favorablement à ma question. Mais je ne peux pas les aider plus dans leur décision. Je souffre déjà assez à l’idée que je vais devoir m’entretenir avec celle qui m’a trahi, qui m’a fait croire en des choses merveilleuses avant de me jeter une bombe dessus, comme si je n’étais rien pour elle. Alors, leurs états d’âme, j’avoue que j’ai du mal à m’en préoccuper.

— Vous m’avez compris ? Je parle votre langue, non ? Je promets solennellement et officiellement que je ne lui veux pas de mal. Juste discuter. Si j’avais voulu vous nuire, ça fait longtemps que je l’aurais fait, soupiré-je.

Je ne sais pas si c’est vrai, ça. Je n’ai aucune idée sur la façon dont je vais réagir si je me retrouve face à la jolie serveuse. Je risque de péter un plomb si elle me regarde et que je me rends compte qu’elle n’éprouve rien pour moi. Mais j’ai une mission à remplir et… mes sentiments passent après.

— Et pourquoi devrais-je vous croire, hein ? me demande son frère. Vous avez débarqué ici en conquérants il y a cinq ans et vous venez de faire la même chose à l’instant, comme si tout vous était dû. Dans les conditions inverses, vous me livreriez votre frère ou votre sœur ? Vous nous avez déjà volé notre petite sœur, et nos parents sont morts lors de l’invasion, vous pensez vraiment que vos menaces me feront vous livrer le seul membre de ma famille qu’il me reste ?

— J’avoue que j’ai manqué un peu de délicatesse tout à l’heure mais on ne va pas s’arrêter à ça. Pas maintenant. Je…

Je m’arrête pour réfléchir rapidement et trouver comment me sortir de cette impasse. Parce qu’il a raison, à sa place, je ne dirais rien. Je pourrais les arrêter, tous les deux, mais ils ne parleront pas. La menace semble avoir ses limites. J’ai joué la colère, le désabusé, je ne sais plus dans quel rôle puiser mon inspiration pour conclure cette scène qui ne remporterait aucun prix dans un festival de cinéma. Alors, je me lève. Quand plus rien ne va, il faut tout effacer et reprendre à zéro, non ?

— Vous avez raison, à votre place, je ne parlerais pas et c’est bien dommage. Vous êtes aussi bornés et têtus que moi. A ce jeu-là, je pensais être le plus fort mais clairement, je suis un petit joueur. Alors, je vous propose une dernière chose. Je vais vous laisser. Cela vous donnera le temps de vous remettre de vos émotions, de discuter et de prévenir Lévana que je veux la voir. Dites-lui de venir seule chez moi, ce soir à vingt heures. Je préviendrai les gardes et les drônes de surveillance de sa venue pour qu’elle ne soit pas embêtée. Si elle ne vient pas, à vingt-et-une heures, il n’y a plus de Blue Heart. Je suis désolé de rester dans la menace, mais j’ai l’impression qu’il n’y a que ça qui fonctionne avec vous. Le choix est entre vos mains. Capice ?

Eh mince, je l’ai encore dit. C’est vraiment devenu un tic de langage et ça m’énerve parce que j’ai l’impression que ça enlève tout le sérieux de mes propos. Foutus films, jamais ça ne me fera passer pour un Terrien…

— Vous allez vraiment torpiller le bar des parents de Lévana ? m’interroge Jasmine. Vous lui feriez ça ?

— Elle a bien essayé de me faire sauter, ce ne serait que justice, grimacé-je. Je suis patient, j’essaie d’être gentil mais tout ça a des limites. Si ça ne tenait qu’à moi, je n’aurais plus rien à faire avec Lévana mais j’ai une mission à accomplir pour éviter que tout ça ne finisse dans un bain de sang. Alors, je veux la voir ce soir à vingt heures chez moi. C’est possible de lui demander ?

— C’est possible, soupire-t-elle alors que Gaspard prononce un “non” ferme. J’essaierai de lui transmettre le message, mais… elle aussi avait une mission, et pour ce que ça vaut, vous n’étiez pas censé être à cette soirée, elle s’en était assurée, alors ne la condamnez pas trop vite.

— Mais qu’est-ce que tu racontes, bon sang ? s’exaspère Gaspard qui la fusille du regard.

— Je vous laisse gérer vos petites affaires en famille. Désolé d’avoir mis tout le monde dehors mais vu nos échanges, c’était mieux niveau discrétion. Ce soir, vingt heures, n’oubliez pas. Et vraiment, sur cette planète, je n’arrive pas à comprendre comment les hommes peuvent prétendre au moindre pouvoir, vu leur manque d’intelligence. Jasmine, merci de remonter un peu le niveau, asséné-je en quittant le bar.

Si j’avais un chapeau de cowboy, je crois qu’il serait temps de le remettre et de siffler mon cheval pour qu’il débarque et que je lui saute dessus. Là, je me contente de partir sans fermer la porte, en silence, perdu dans mes pensées. Si Lévana vient bien ce soir, je me demande si elle va confirmer ce que son amie a dit ou si c’est juste un piège pour me calmer. Clairement, jusqu’à présent, j’ai sous-estimé ces femelles terriennes et c’était une erreur. Ce soir, j’essaierai de ne pas la renouveler et de voir au-delà des mensonges de Lévana. Si elle vient…

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