Chapitre 65

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Se faire Nal’ki

Lévana

Je suis parvenue à passer un début d’après-midi relativement calme au souterrain, mais je sais que toutes les bonnes choses ont une fin, à commencer par rêvasser sur ma couchette à un alien avec qui je n’aurais jamais dû commencer à fricoter et à qui je me suis bien trop attachée.

Cette nuit a été haute en émotions et je n’aurais jamais pensé lui avouer mes sentiments, tout simplement parce que je ne me les avouais pas à moi-même. Comment le faire, après tout ? Nal’ki, c’est l’ennemi, c’est interdit. Mais l’interdit a un goût délicieux, un goût de reviens-y, comme disait ma grand-mère…

Je saute de ma couchette en soupirant, déjà lasse de ce qui m’attend. A cette heure, il n’y a pas grand monde dans les dortoirs et je ne suis malheureusement pas interceptée, si bien que j’arrive en avance dans la salle où nous nous réunissons. Il n’y a même pas encore de café sur la table et je prie pour que mon frère ne soit pas le premier à me rejoindre. Heureusement pour moi, c’est Jasmine qui débarque la première, un plateau à la main qu’elle dépose rapidement avant de m’étreindre avec force.

— Ne me dis pas que toi aussi, tu as eu la trouille pour moi ? me moqué-je.

— On a tous eu peur pour toi, voyons. Tu n’as pas vu dans quel état était Nal’ki quand il est passé au Blue Heart pour te convoquer…

— Il a dû se calmer entre-temps, parce qu’il n’a pas été si virulent que ça avec moi…

— Tu m’étonnes, sourit Jasmine. Et ne me dis pas que toute la nuit, il n’a fait que te regarder comme quand il est ici. Tu… c’était bien ?

J’hésite quelques secondes à lui répondre, quand bien même je ne suis pas dupe, Jasmine est suffisamment observatrice et futée pour avoir compris certaines choses. Gaspard est trop aveuglé par sa colère envers les aliens, trop obnubilé par la vengeance pour faire attention aux détails.

— Je l’ai dit à ton chéri, on a beaucoup discuté, que veux-tu, éludé-je avec un léger sourire aux lèvres. C’était… très instructif.

— Tu me raconteras… Je suis curieuse, quand même… Tout est… proportionnel ? rougit-elle en faisant sa demande.

— Quelle obsédée ! m’esclaffé-je en nous servant du café. En vérité, je me pose plein de questions à ce propos. Enfin, pas sur la proportion, mais… c’est tellement intense. J’avais jamais connu ça avant…

— A ce point-là ? s’étonne-t-elle. Ton frère va devenir fou… Pauvre Gaspard…

— Mon frère n’en saura rien… Du moins, ce n’est pas prévu avant un moment.

— Qu’est-ce que je ne dois pas savoir ? nous interrompt-il en entrant dans la pièce. Vous me faites des cachotteries ? C’est en lien avec cette nuit chez le grand manitou plus si grand que ça ?

Jasmine, dos à mon frère, me fait une grimace d’excuse et va embrasser mon frère comme si elle cherchait à détourner l’attention. Malheureusement, c’est un têtu, lui aussi, et son regard scrutateur continue à voguer entre elle et moi. Un vent de panique souffle dans mon cerveau et j’essaie de rester de marbre alors que mon cerveau carbure à trouver quelque chose à répondre.

— Tu ne dois pas savoir… C’est comme ça, que vaut ma parole si je flanche dès que tu poses la question ?

— Moi, je veux savoir tout ce que cet abruti a pu te dire toute la nuit pour que tu ne rentres pas ! Il t’a menacée de tout brûler si tu le laissais, c’est ça ? Il préparait quoi comme mauvais coup ? On est tous en danger désormais ? Il a eu le temps de préparer un piège ?

— Oh wow, tu l’as démasqué ! Il m’a transformée en bombe… Si tu t’approches à moins d’un mètre, je vais faire CABOUM ! raillé-je, moqueuse.

— Tu es bête et ce n’est pas drôle, grogne-t-il. Pourquoi il t’a retenue si longtemps si ce n’est pas pour t’empêcher de nous prévenir de quelque chose ?

— J’ai passé la nuit avec lui à faire la bête à deux dos, on n’a pas trop discuté en fait.

— Il t’a violée ? Mais… je vais le tuer, c’est sûr ! s’énerve-t-il. Et lui couper les couilles ! Le batard ! Il a osé toucher ma soeur ! Et… ça va ? Tu dois être sous le choc, tu n’as pas l’air complètement dévastée…

— C’est toi qui es bête, Gaspard, énonce doucement Jasmine. Ou aveugle… Tu vois bien qu’il n’a pas eu à la forcer, non ?

— Mais…

Il est complètement perdu et nous regarde toutes les deux comme si nous étions nous-mêmes les aliens. Cela me fait rire un instant, mais pas vraiment sur le long terme.

— Ça va, je plaisante, soupiré-je, peu désireuse de lui mentir.

Vu sa réaction, je ne suis pas sûre d’avoir le choix…

— Ce serait si terrible que ça ? Je veux dire… Nal’ki n’est pas méchant, il est même plutôt sympathique quand on fait l’effort d’apprendre à le connaître. Sans compter qu’il nous aide pour Jeanne.

— Il ne nous aide plus beaucoup depuis l’attentat. Pas sûr qu’il nous aide à nouveau…

— C’est toujours au programme… Et juste pour info, Frangin, si j’ai envie de coucher avec un alien, je le ferai, que tu sois d’accord ou pas, hein ? Mon corps, mon choix, fais-toi à l’idée. Surtout que certains sont canons et pas des enfoirés, lui lancé-je, tout sourire.

— Olivier ne te suffit plus ? Enfin, oui, tu couches avec qui tu veux mais bon… Vous avez parlé de quoi, alors, toute la nuit ? Pourquoi tu n’es pas rentrée ? Il t’a hypnotisée et fait dormir ou quoi ?

— Tu peux pas la laisser nous raconter sans lui poser toutes ces questions ? soupire Jasmine, visiblement excédée par l’attitude de mon frère.

C’est le moment que choisissent Myriam et Fatou pour débarquer. Toutes les deux nous étreignent rapidement et s’installent. Gaspard, lui, s’est renfrogné, et nous observe, Jasmine et moi, dans un silence alourdi par son air suspicieux.

J’ai pas mal réfléchi à comment balancer mes infos et je crois qu’il n’y en a pas une meilleure que l’autre… Alors je me lance.

— Notre attaque a porté ses fruits. Une partie des aliens est prête à négocier.

— Négocier ? s’étonne Fatou. Mais là, on ne va pas négocier, on va continuer à attaquer ! S’ils montrent des faiblesses, il faut en profiter, leur montrer qu’on est les plus fortes !

— Vous avez passé la nuit à trouver un terrain d’entente, c’est ça ? me demande Jasmine. Ils ont quoi à nous proposer ? Je pense que ça vaut le coup d’écouter ce qu’a réussi à obtenir Lévana avant de décider quoi que ce soit…

— Il faut que vous sachiez que ça bouge apparemment dans toutes les zones. Nos actes ont fait le tour et réveillé un peu tout le monde. Je crois qu’ils ont peur d’être dépassés, et certains ont compris qu’ils n’obtiendraient rien en continuant à nous priver de nos libertés et de notre droit de choisir. Nal’ki et Maxim se sont apparemment liés pour faire croire au Conseil qu’ils vengent les leurs, d’où leurs attaques dans le vide. Aujourd’hui, ils réclament une trêve en attendant la mise en place d’un plan qui fera chuter le Conseil.

— Une trêve alors qu’on est en train de renverser la situation ? Mais c’est n’importe quoi… Ils essaient de gagner du temps pour reprendre des forces, non ? Tu crois vraiment à leur histoire ? me demande mon frère sans animosité mais avec une vraie curiosité.

— Pas de trêve ! s’emporte Fatou. Je vous l’avais dit qu’on allait les écraser !

— C’est quoi ce plan pour faire chuter le Conseil ? m’interroge Jasmine, toute aussi intéressée que son amoureux.

Je comprends tout à coup ce que peuvent ressentir Jasmine ou Myriam quand je m’emballe et réagis au quart de tour. Fatou m’agace, quand bien même je comprends sa colère et son besoin d’en finir. Pourquoi suis-je lasse à ce point de cette guéguerre de pouvoir ?

Je ne tarde pas à leur exposer le plan de Nal’ki, prenant soin de peser chaque mot et de ne pas non plus en donner tous les détails. C’est davantage un résumé succinct dans le but de les convaincre, mais j’ai bien conscience qu’il va falloir que le moins de personnes possible soient au courant pour éviter toute fuite. J’observe les visages qui se trouvent autour de la table et j’avoue que j’ai du mal à déchiffrer leurs émotions après mon petit speech.

— Je sais que ça semble un peu… tiré par les cheveux ? Alambiqué ? Mais je crois que ça peut fonctionner. J’ai confiance en Nal’ki.

— Tu as toujours eu confiance en lui, murmure Jasmine.

— Et ils ont quoi à y gagner, eux, avec ce plan ? me questionne Myriam. On dirait que c’est un peu trop beau pour être vrai…

— Il faut attaquer, ça montre qu’ils sont à l’agonie, s’agite Fatou avec ce qui me semble être moins de conviction, tandis que mon frère garde le silence en m’observant avec attention.

— Ce qu’ils ont à y gagner, c’est la paix et la possibilité de vivre sur Terre comme nous, en simple citoyens… Certains veulent simplement se trouver une femme et fonder une famille, perpétrer leur lignée, et ils sont prêts à aller à l’encontre du Conseil qui veut nous imposer ce qu’ils appellent la phase 2.

— La phase 2, c’est quand ils veulent féconder toutes nos femmes ? La paix, j’ai du mal à y croire. Quand on veut la paix, on ne commence pas par tuer tous ceux qui s’opposent à nous ou à imposer un ordre rétrograde aux femmes, fulmine Gaspard. Tu en parles comme si tu étais convaincue, c’est ça qui me fait hésiter, j’avoue, parce que sinon je serais presque d’accord avec Fatou.

— Ils sont un peu des soldats, ils ont suivi les ordres. Je vous en conjure, il faut que vous preniez le temps de réfléchir à tout ça. On ne doit pas agir de manière impulsive et il faut prendre cette trêve pour peser le pour et le contre. Je crois vraiment que Nal’ki peut faire la différence. On parle depuis des semaines quasiment quotidiennement au bar et je suis sûre que mes mots ont eu un impact sur lui et sa façon de voir les choses. Vous savez qu’ils ne traitaient même pas les femmes de leur monde de cette façon ? S’ils ont agi ainsi, c’est surtout par peur de ne pas pouvoir se reproduire et de disparaître…

Ouah, je n’aurais jamais pensé un jour défendre les aliens et ça me brûle un peu la langue, je l’avoue. Je ne pardonne pas tout, mais je crois qu’on peut parvenir à un consensus et mettre un terme à cette guerre. Il faut simplement que tout un chacun arrête de monter au créneau à chaque instant, qu’on se pose et qu’on échange vraiment, comme on l’a fait avec Nal’ki au bar ou ce matin. De vraies discussions, des prises de conscience.

— Je vous demande d’accepter de rencontrer Nal’ki pour en parler de vive voix avec lui, si vous avez besoin d’être convaincus. Je sais que c’est prendre un risque par rapport aux Valkyries, mais je vous rappelle qu’il ne m’a pas vendue à ses supérieurs… alors qu’il aurait sans doute pu retrouver un poste à responsabilité avec cette info.

— Ouais, mais ça, c’est parce que t’as une poitrine de ouf, se moque Jasmine. Moi, la mienne ne va pas l’impressionner autant et je suis sûre qu’il va me dénoncer tout de suite, le sang va arriver à son cerveau, rigole-t-elle, permettant de faire descendre un peu la tension.

— S’il y en a bien un qui risque de ne pas lui faire perdre la tête, c’est moi, grommelle Gaspard en souriant tout de même. Vous êtes toutes des potentielles futures poules pondeuses alors que moi, je suis sur le chemin. Je ne sais pas si c’est une bonne idée d’attirer le loup dans la bergerie…

— Si on l’attire et qu’on le tue parce qu’il nous a menti, ça ferait un joli coup, vous ne trouvez pas ? Je sais, je suis machiavélique, gronde Fatou.

— On le fait venir ici ? Sur notre terrain, on devrait pouvoir le contrôler au maximum. Et…

Myriam ne finit pas sa phrase et se tourne vers moi avant de reprendre.

— Vu qu’il semble t’écouter, tu crois que tu pourrais lui bander les yeux afin qu’il ne sache pas où il est ? Quoique… avec ses équipements, il saura exactement où il est… Oublie ma proposition. Je… je me range à ton avis, c’est toi qui as discuté avec lui toute la nuit.

— On peut le recevoir au Blue Heart, ça ne sert à rien de le faire descendre ici, ce serait prendre des risques inutiles. Après, si vous préférez ne pas le voir, c’est votre droit aussi, je ne vous oblige à rien.

— Non, moi je vote pour le voir, dit Jasmine en levant la main.

— Oui, voyons-le, ça nous aidera à décider, concède Gaspard.

— OK pour moi, confirme Myriam.

— Pff, moi je vote pour seulement si je peux lui arracher les couilles, ça compte ? se marre Fatou. Enfin, je resterai sage s’il me convainc… Sinon, couic !

Ce serait vraiment dommage de toucher à ce magnifique service trois pièces, quand même. Non, je déconne, y a rien de vraiment magnifique à ce qui pendouille entre leurs couilles, humains comme aliens… J’espère quand même que Fatou va garder ses ciseaux dans sa poche, l’idée n’est pas de mettre Nal’ki en danger, juste de discuter. Il voulait rencontrer les dirigeants des Valkyries, il va être servi, le pauvre !

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