Chapitre 66

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Face aux Valkyries

Nal’ki

Je m’étire et prends une grande inspiration en sortant du bar. La nuit n’est pas encore tombée mais les températures commencent à rafraîchir, restant cependant très confortables. Je me suis fait une raison et me dis que je ne verrai pas Lévana ce soir. Elle doit être en train de répondre à toutes les questions de son frère et des Valkyries sur la nuit qu’elle a passée avec moi. Je me demande quel niveau de détails elle va leur donner. Alors que j’observe un moineau se poser sur le bord du trottoir et picorer quelques miettes, mes pensées se tournent vers le repas que je vais manger de mon côté. Gabrielle m’a dit qu’elle me préparerait un plat typique et j’ai hâte de savoir ce que c’est. Quelle petite merveille, cette femme. C’est quand même dommage qu’elle ait perdu son mari dans cette guerre. Les Valkyries n’y vont pas de main morte quand elles ont décidé de se battre.

Un drône de surveillance passe au-dessus de moi et s’arrête un instant, le temps d’analyser les environs. Je sais que c’est la nouvelle politique mais j’aime bien ne pas être importuné aussi. Surtout qu’il a fait fuir le moineau qui est autrement plus intéressant que cet amas de métal et de technologie. Sur notre planète, nous n’avions pas ces petits volatiles et franchement, je ne me lasse pas du spectacle qu’ils offrent chaque jour. J’en suis là dans mes réflexions quand j’entends une voix m’appeler depuis l’entrée du bar, quelques mètres derrière moi.

— Monseigneur ! Vous partez vraiment sans avoir bu le meilleur cocktail de la ville ?

Mon sourire s’élargit en reconnaissant ces paroles et je me retourne, content de voir que la charmante Terrienne qui me fait tourner la tête m’attend et me fait signe de revenir.

— Ce n’est pas l’heure de la fermeture ? demandé-je en revenant néanmoins sur mes pas. J’ai le droit à un extra pour vous faire pardonner de l’absence de ma serveuse préférée cet après-midi ?

— Disons que tu pourrais en avoir besoin vu ce qui t’attend là-dedans.

— Et qu’est-ce qui m’attend ? l’interrogé-je, imaginant déjà qu’elle s’est organisée pour reprendre dans le bar nos folies de ce matin.

— Des amis proches prêts à te rencontrer…

La température est vite redescendue, là. Je ne crois pas que ce soit pour boire un coup que ces “amis proches” souhaitent me rencontrer et je ne peux retenir une grimace de frustration qui est vite remplacée par un sentiment d’excitation. C’est le moment que j’attendais et qui peut tout changer. Soit je repars de cette entrevue avec ce que je cherchais… soit je ne ressors pas du tout. Je ne crois pas qu’il y aura de juste milieu. Même si j’échappe aux Valkyries, il y a de fortes chances pour que je finisse par être découvert et accusé de trahison par les miens. Bref, il vaut mieux que je me concentre sur la jolie femme qui referme la porte derrière moi plutôt que sur ces lugubres pensées.

— Je me mets à ma table habituelle ou le cocktail va être servi ailleurs ?

— Ils nous attendent dans la pièce du fond, ça évitera qu’on soit visibles depuis la rue… Tu veux vraiment un cocktail pour te donner du courage ?

— Je ne pense pas que j’aurai un bisou, alors oui, je veux bien une boisson.

La dernière du condamné ? Ou alors celle qui permettra de célébrer une belle avancée. Elle servira de toute façon. Je l’observe se dépêcher de me le préparer avant de me le tendre et de me faire signe de la suivre. Elle a l’air stressée et sent comme moi que ce moment est important. J’espère encore un baiser alors que nos doigts se frôlent lorsqu’elle me remet mon verre mais non, elle se contente de me montrer la voie et je la suis dans la pièce où ils stockent leurs bouteilles et où ils préparent les petits encas… et ils sont là. Oui, “ils” car le frère de Lévana est présent. Que fait-il là ? Il est là pour protéger sa sœur du danger que je représente ? L’autre serveuse est aussi présente avec deux femmes que je ne connais pas. L’une des deux me regarde comme si elle était prête à se jeter sur moi. Lévana s’installe et me fait signe de m’asseoir à côté d’elle, pour faire face aux trois autres. Je reste silencieux ne voulant pas créer un incident diplomatique en faisant preuve d’un manque de respect des convenances que je ne connais pas. Je n’ose même pas toucher à ma boisson.

— Tu connais déjà mon frère et Jasmine… Je te présente Fatou et Myriam. Myriam a perdu son père et son mari lors de l’attaque. Ils faisaient partie d’un groupe qui défendait un village près d’ici… Fatou, continue-t-elle en me montrant celle qui a certainement envie de me tuer, a perdu son père et ses trois petits frères et sœurs lors de l’invasion… Un bombardement sur une zone qui refusait de rendre les armes. Sa mère n’a pas supporté la douleur, elle s’est malheureusement suicidée quelques jours plus tard.

Eh bien, voilà comment plomber l’ambiance. Je ne suis pas sûr que mon idée de m’allier avec elles soit l’idée du siècle.

— Et donc, c’est vous, les cheffes des Valkyries, si je comprends bien ? Vous avez des hommes parmi vous ou vous aviez besoin d’un garde du corps parce que vous ne me faites pas confiance ?

— Un garde du corps ? s’esclaffe la dénommée Fatou. Aucune de nous ici n’a besoin d’un homme pour se défendre. Toi, en revanche, ça reste à prouver…

— Fatou, soupire Lévana. On a dit qu’on y allait mollo. Et pour répondre à ta question, il y a des hommes chez les Valkyries. Ce n’est pas la majorité du groupe, mais on a quelques chromosomes Y.

— Eh bien, vous êtes pleines de surprises. Je vous remercie déjà de me faire assez confiance pour me recevoir. Je ne sais pas si vous allez me laisser sortir, je crois que certaines d’entre vous préfèreraient me garder ici pour me torturer, mais je vous assure une chose : je suis là un peu comme un ambassadeur et je… j’aimerais qu’on puisse discuter calmement et qu’on prépare la paix plutôt que de continuer à faire la guerre. Vous croyez que c’est possible ou il faut que j’essaie de me sauver tout de suite ?

— Nous ne sommes pas tous d’accord autour de cette table, répond Myriam. Disons que nous avons besoin d’être convaincus, surtout que Lévana nous a dit que si vous ou Maxim êtes prêts à trahir vos supérieurs, nous n’avons aucune preuve que vous ne venez pas là en étant le seul prêt à ça ou même que vous ne manigancez pas ça pour infiltrer les Valkyries.

— Personnellement, je n’ai aucune confiance, en vous ou en n’importe lequel de vos semblables !

— Eh bien, pour l'infiltration, j’ai déjà rempli ma mission, on dirait, souris-je pour essayer d’alléger un peu l’atmosphère. Alors, passons à la suite de mon plan machiavélique, celui où je vous explique comment nous pouvons envisager un avenir ensemble. Parce que quoi que vous fassiez, nous ne repartirons pas, nous n’avons nulle part où aller. Et donc, soit on s’extermine et nous souffrons tous de plein de tragédies comme celles que vous avez déjà connues et qui vous ont traumatisées… ou alors, on est plus malins que ça et on voit comment on fait pour se partager votre planète. Je sais qu’on n’est pas chez nous ici, qu’on s’est imposés, pas besoin de me faire un cours sur ce sujet, mais on n’a pas apporté que du mauvais. Nous avons sauvé l’écosystème de la planète, on a pacifié les différents conflits qui existaient. Et je peux vous assurer que nos valeurs n’ont rien à voir avec ce que vous avez pu voir de notre façon de traiter les femmes. C’est à vous de me dire si vous souhaitez entendre ma proposition ou si on arrête là et j’essaie de sortir d’ici vivant.

Je ne suis même pas certain que ce soit possible. J’ai vu l’efficacité des Valkyries en action et je suis sûr que Fatou a une arme chargée et prête à me cribler de trous si je fais le moindre faux-pas.

— On a déjà entendu parler de ta proposition, intervient le frère de Lévana. Notre question est de savoir comment on peut te faire confiance. Parce que soyons clairs, éradiquer les conflits en jouant les dictateurs, c’est pas une solution.

— Je suis là et je n’ai dénoncé personne. J’ai même coupé mes moyens de communication pour qu’il n’y ait aucune trace, c’est déjà un premier signe qu’on peut me faire confiance, non ? Et… je propose de passer à la suite du plan ensemble. Je ne peux pas trop compter sur les miens, j’ai besoin de vous pour réussir à prendre le dessus. Vous savez vous battre admirablement. Si on fait un petit groupe efficace, je serai seul ou avec au mieux, un des miens. Vous pouvez venir aussi nombreux que vous le souhaitez même s’il ne faut pas non plus faire n’importe quoi. Bref, vous avez la supériorité, j’ai les accès et la possibilité de vous introduire là où aucune Valkyrie ne peut pénétrer. On a tout à gagner à coopérer et tout à perdre à continuer cette guerre stérile. C’est un motif suffisant pour me faire confiance, non ?

— Imaginons qu’on marche, intervient à son tour la seconde serveuse. Une fois le Conseil tombé, vous et votre pote, vous allez reprendre les rênes. Qui nous dit que vous n’allez pas être pire que le Conseil ?

— Moi, le pouvoir, je n’aime pas ça. Je l’ai fait parce qu’il le fallait, mais vous devez l’avouer, ça va, je n’étais pas si terrible que ça. Et… après, il faut qu’on imagine un système qui préserve les uns et les autres. Je n’ai pas les réponses sur ces questions, mais je pense que ça se construit si on réussit. Là, c’est un peu trop anticiper les choses, il me semble.

— Anticiper les choses, c’est important, cingle Fatou. Chez nous on dit “on sait ce qu’on perd, pas ce qu’on retrouve”. Si c’est pour avoir une situation pire ensuite, parce que vos potes vont se battre pour reprendre le pouvoir et que nous serons à nouveau des dommages collatéraux, non merci.

— Je ne sais pas ce que je peux vous donner comme gage de ma bonne foi, soupiré-je. Vous voulez quoi ? Peu importe ce que je dis ou fais, vous me soupçonnez. Et vous avez sûrement raison de le faire, je ne vous juge pas. Mais peut-être que je me suis trompé en venant chercher votre aide… Si vous l’acceptez, laissez-moi partir, je trouverai bien un autre moyen de parvenir à mon but et là, au moins, vous me croirez. Lévana, continué-je en me tournant vers elle, tu sais, toi, que je suis sincère, non ? Je fais quoi, maintenant ? C’est la fin et vous me zigouillez ou…

Je ne finis pas ma phrase, un peu désespéré par la tournure que prend la conversation. Pour moi, je n’ai rien à leur offrir qui pourrait les rassurer totalement, sauf si j’avoue que je suis amoureux de l’une des Valkyries. Mais si je fais ça, je mets celle que j’aime en danger et ça, je ne peux pas l’accepter. J’ai donc l’impression d’avoir non seulement perdu mon temps, mais aussi aliéné toutes mes chances de voir cet entretien tourner en ma faveur.

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