Chapitre 69

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Section d’assaut

Lévana

La nuit est en train de tomber et je me retrouve à plisser des yeux pour pouvoir voir Jasmine, assise à même le sol entre les jambes de mon frère, terminer son sandwich en grimaçant. En attendant qu’il soit l’heure de rejoindre l’île, nous avons opté pour un repas léger histoire de prendre des forces. Nous ne savons pas pour combien de temps nous en aurons, ni si nous allons devoir réellement nous battre, ou si faire peur sera suffisant…

J’envie cette complicité qu’ils affichent, tous les deux, alors que Nal’ki et moi sommes à une distance de sécurité correcte pour que Gaspard ne prenne pas la mouche et que Verlox ou Fatou ne nous grillent pas. A cet instant, alors que n’importe quoi pourrait arriver d’ici quelques heures, je ne dirais pas non à un peu de tendresse et à profiter de ce qui pourraient être nos dernières heures ensemble. Voire même en vie. Est-ce qu’ils sont sur le pied de guerre, à l’affût de tout, suite aux attaques dans les différentes zones de la région ? Ou bien se sentent-ils inatteignables sur cette île ? Nous n’en saurons davantage qu’une fois sur place et c’est bien là le problème. Nous sommes vraiment peu nombreux et nombreuses, et même si ce sont essentiellement des personnes de confiance, j’ai peur que notre petit nombre nous soit fatal si l’on en vient à devoir se battre. A moins qu’ils aient vraiment pris la confiance et qu’on ne soit accueillis par personne en particulier, ce qui nous permettra de prendre l’île aisément.

Mon regard vogue vers Fatou et les jumelles, installées un peu plus loin, qui semblent tenter de la canaliser depuis que nous avons formé ce groupe. J’ose espérer que tout se déroulera pour le mieux, mais je sais aussi à quel point elle peut être spontanée et tête brûlée. Elle n’hésitera pas à aller au front et cela peut tout faire partir en vrille.

— A quoi tu penses ? chuchoté-je à Nal’ki en récupérant la gourde d’eau devant lui alors qu’il semble perdu dans ses pensées.

— Si je dis “à toi”, tu me crois ? sourit-il. Et je me demande aussi si c’était une bonne idée de venir ici. Mon plan est complètement fou…

Je me réinstalle plus près de lui et lâche un petit soupir.

— Il est trop tard pour reculer, non ? Par contre, tu devrais te concentrer sur la mission, pas sur moi.

— Je n’ai pas envie qu’il t’arrive quoi que ce soit, Lévana. Je sais que tu es forte, courageuse et que tu n’as pas besoin de protection mais en même temps, je ne peux m’empêcher de me dire que si tu étais blessée ou pire, je m’en voudrais jusqu’à la fin de mes jours. Et puis, ici ou ailleurs, je pense toujours à toi, cela me fait une bonne compagnie.

Je ne peux m’empêcher de jeter un regard alentour pour m’assurer que nous ne sommes pas écoutés. Verlox est posté près du véhicule et monte la garde même si, entre nous, je doute que quiconque débarque dans ce coin perdu.

— On veille les uns sur les autres, ça va aller. Et puis, une petite blessure ne me fait pas peur, ce ne serait pas la première. Et tu pourras jouer à l’infirmier, pouffé-je en lui donnant un coup d’épaule pour dédramatiser les choses.

— Oui, cela ne me déplairait pas, rit-il. Et toi, comment tu te sens ? Prête à retrouver ta sœur ? Je sens qu’on est proches d’atteindre ce but… Il est temps.

— J’ai encore du mal à y croire… Je me demande si je vais même parvenir à la reconnaître, elle doit avoir tellement changé en cinq ans. Et puis, je t’avoue que j’ai peur de la découvrir enceinte, ou pire, maman. Elle est si jeune… Gaspard risque d’ailleurs de péter un câble si c’est le cas.

— Je crois que tu ferais mieux de t’y préparer… Elle n’est pas arrivée ici par hasard. Et si elle est heureuse, ce ne serait pas si grave que ça, si ?

— Ça dépend s’ils lui ont lavé le cerveau pour qu’elle accepte d’être une expérience. Aria était mineure quand ils l’ont enlevée et je suis désolée, mais ça me reste en travers de la gorge. S’ils ont abusé de ma petite soeur, je te préviens que je ferai un carnage, Nal’ki… et Gaspard se joindra à la fête.

— Je te comprends, soupire-t-il. Peut-être que c’est ce qu’il faut faire si on arrive à avoir tout le Conseil ici, à notre merci. C’est sans doute le seul chemin vers la rédemption…

Je hausse les épaules et profite de la pénombre pour glisser ma main dans la sienne à même l’herbe fraîche. Ce soir, tout peut arriver, le meilleur comme le pire. Ce soir, nous pouvons sortir vainqueurs de cette “invasion” si tant est qu’on puisse la nommer ainsi, comme nous pouvons finir en martyrs pour la cause… Oui, je suis légèrement tragédienne sur les bords mais c’est un peu ça, au final.

— Bon, on y va ? chuchoté-je sans pour autant bouger d’un poil.

— Je pense qu’on a encore une dizaine de minutes à attendre avant que l’obscurité soit suffisante. Tu étais toujours aussi impatiente pendant les attaques Valkyries ? se moque-t-il gentiment en serrant mes doigts.

Je souris, me penche à son oreille à présent que le noir est presque complet et lui susurre soucement tandis que Jasmine et Gaspard sont lancés sur un débat dont j’ignore totalement le sujet.

— L’adrénaline me rend impatiente… et elle est longue à chuter… Une fois que j’ai fait ce que j’avais à faire, elle me donne aussi des envies peu catholiques qui ont besoin d’être assouvies.

— Tu es sérieuse, là ? Tu cherches à m’exciter alors qu’on part au combat ? Mais c’est un truc à nous faire tuer, ça, tu le sais ? plaisante-t-il.

— Dis pas des choses comme ça, c’est pas drôle. Je te préviens juste que je risque d’avoir besoin de toi une fois qu’on aura pris le pouvoir.

— Eh bien, j’ai hâte que ça soit terminé, alors, indique-t-il en se levant. Je te préviens, tu as intérêt à garder cette même énergie parce que je vais te sauter dessus dès que ce sera terminé, quoi qu’en pensent les autres !

Un gloussement m’échappe, que je réprime à peine en me levant à mon tour. Nous sonnons le top départ et tout le monde range ce qui a été sorti. Une sorte d’effervescence se dégage de tout un chacun, on sent les esprits qui carburent, le stress qui se mêle à l’excitation, la peur à l’envie. Depuis le temps que nous attendons une telle opportunité, je peine à croire que ce soir est le Grand Soir.

J’arrête Nal’ki une fois qu’il a fermé la porte de l’arrière du véhicule sur nos camarades et l’embrasse avec fougue et une sorte de désespoir, comme si ce baiser pouvait être notre dernier, ce qui en soi n’est pas inenvisageable. Je me retrouve immédiatement enserrée dans ses grands bras et sa langue vient jouer avec la mienne. Cela ne dure que quelques secondes mais elles sont nécessaires à mon esprit qui s’apaise quelque peu. Son sourire appelle le mien tandis que nous nous séparons pour monter à l’avant.

Le trajet se fait en silence. Nous volons au-dessus de la mer, la Lune n’est qu’un quartier et éclaire à peine les vagues, ce qui nous permet de voyager sans être vus, en plus de la technologie alien.

Lorsque nous atterrissons à l’orée d’un bosquet, aux abords d’une plage, tout le monde descend, arme à la main, hormis Elise qui fourrage sur ses écrans pour activer le brouilleur qui nous permettra d’éviter qu’un garde donne l’alerte sur l’île mais également plus haut. Grâce aux informations données par Nal’ki, notre super informaticienne est parvenue à améliorer le dispositif qui nous a servi lors de la dernière attaque afin de couper les transmissions entre eux en plus de désactiver les drônes et robots. En bref, nous avons à présent l’arme idéale, qui ne fonctionne malheureusement que sur une surface et une durée limitées.

L’île n’est pas grande et, d’après les informations récoltées par Verlox, les plages ne sont pas surveillées contrairement aux entrées des deux seuls quartiers. Aussi nous nous séparons afin de couvrir tous les potentiels postes de garde. Les jumelles, Verlox et Fatou partent à la recherche des points de contrôle à l’Est et nous faisons de même à l’Ouest. Les deux quartiers sont apparemment parallèles et espacés de quelques centaines de mètres. Rapidement, nous repérons les petits chalets, dont certains montrent que les habitants ne dorment pas tous puisque de la lumière perce par certaines fenêtres.

Gaspard nous fait signe de nous arrêter et s’accroupit, ce que nous faisons également, à quelques mètres d’un premier point de contrôle apparemment tenu par trois aliens. Il se tourne finalement vers nous et nous observe tour à tour, Nal’ki et moi, avant de soupirer lourdement.

— Je te confie ma sœur, lance-t-il à Nal’ki en chuchotant, ce qui n’enlève rien à son ton bien trop sérieux et tragique. S’il lui arrive quoi que ce soit, je te jure que tu regretteras d’être venu sur Terre.

Je lève les yeux au ciel et me retiens d’imiter l’homme de cro-magnon et le mâle alpha qui se doit de protéger ses femelles tandis que mon alien répond avec sérieux.

— Ta sœur n’a pas forcément besoin de ma protection mais oui, je vais tout faire pour la protéger. Et vous aussi, d’ailleurs. Je m’en voudrais si par ma faute, il vous arrivait quelque chose.

Gaspard marmonne dans sa barbe et nous informe qu’ils vont chercher le point de contrôle suivant. Nous nous donnons dix minutes de battement, après quoi on attaquera en simultané, au moins tous les quatre.

Quand le silence revient après que les pas de mon frère et de Jasmine se sont atténués, je sens que mon cœur s’est emballé, l’adrénaline coule dans mes veines et j’inspire lentement pour m’apaiser. Nal’ki reste silencieux à mes côtés mais pas inerte, puisqu’il finit par m’étreindre et nous patientons en attendant que les dix minutes soient écoulées. Aucun mot n’est nécessaire, je crois. L’heure de l’assaut arrive et j’ai l’impression que le temps se fige… jusqu’à ce que des coups de feu retentissent de l’autre côté de l’île alors que le délai n’est pas encore terminé. Mais qu’est-ce qu’il se passe ?

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