Chapitre 71

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Une nouvelle raison de lutter

Lévana

Je regarde dans la direction indiquée par Nal’ki et repère un attroupement plutôt éloigné. D’instinct, je recule pour m’éloigner de l’éclairage artificiel du lampadaire et me retrouver dans la pénombre, tout comme mon frère et Fatou. Les vieilles habitudes de Valkyries, passer sous les radars et ne pas se faire voir, c’est la base pour nous. Cela ne nous empêche pas de garder un œil sur les aliens qui ont déposé les armes et Gaspard ne se fait pas prier pour les immobiliser comme leurs congénères un peu plus tôt. Nous ne traînons pas à nous élancer vers le groupe de curieux qui, en nous voyant approcher, armes à la main, commence à paniquer. Nous ne leur laissons pas l’occasion de s’échapper et leur ordonnons de ne pas bouger, menaçants. Il ne faut prendre aucun risque, personne ne doit disparaître et risquer d’alerter les autres. Mon regard vogue sur les visages des trois femmes présentes et je suis déçue de ne pas voir Jeanne ; quant aux quatres aliens présents avec elles, j’en viens à me demander si l’un d’eux aurait pu toucher à ma petite sœur. Si jusqu’alors je suis parvenue à passer outre la forte probabilité de retrouver Jeanne ce soir, à présent que nous sommes ici, en position de force, en train de rapatrier ces personnes dans la maison la plus proche, mes pensées se concentrent sur elle et je sens mon impatience croître avec force.

Je crois que Nal’ki remarque mes tourments parce qu’une fois tout ce petit monde installé dans la pièce principale sobre bien que décorée avec soin de ce chalet où traînent quelques jouets et accessoires pour enfant, il m’entraîne dans la cuisine et part jeter un oeil à l’extérieur par la fenêtre.

— Dis-moi qu’on va faire toutes les maisons dans les prochaines minutes, soufflé-je en le rejoignant, observant Verlox faire le guet dans la ruelle.

— On va surtout faire attention parce que l’effet de surprise et de sidération, ça marche un moment mais on risque d’avoir plus d’opposition dans l’autre groupe de maisons… qu’on va visiter, ajoute-t-il rapidement en voyant ma frustration grandir. Ta sœur est forcément parmi les autres femmes.

— On peut laisser Verlox ici avec les jumelles et s’occuper des autres… Après, il doit y avoir des enfants, il faut qu’on soit vigilants et pas trop flippants, ce serait dommage de les traumatiser.

— Oui, c’est une bonne idée. C’est vrai que ces pauvres gamins n’ont jamais connu ça… Heureusement que tu es là, sinon je crois que je n’y aurais pas fait attention et que j’aurais précipité les choses sans vraiment m’occuper des enfants…

— Tu y aurais sans doute pensé en en voyant un… En tout cas, ils n’ont pas l’air d’être prêts à prendre les armes, ils n’ont montré aucune résistance.

— Non, ce ne sont pas des guerriers, ici… On a affaire à des parents et même si c’est bien pour nous, ça me fait étrange de me dire que la phase deux est vraiment un succès…

— Oui, c’est difficile à imaginer quand on voit les relations entre nous dans les zones… Enfin, toi et moi mis à part, j’entends…

Il prend un air un peu pensif avant visiblement de se reprendre et de revenir à notre réalité.

— Bon, ce n’est pas comme ça qu’on va sauver ta sœur. Ou au moins la retrouver si elle n’est pas en danger. On y va ?

J’acquiesce et le suis hors de la cuisine. Gaspard plante son regard dans le mien dès que je suis dans son champ de vision et semble toujours aussi suspicieux. Peut-être a-t-il compris qu’il y avait un semblant de vérité dans mon soi-disant mensonge provocateur…

— On va aller faire les autres maisons. Tu restes ici ou tu viens avec nous ? lui demandé-je.

— Je viens, je ne vais pas te laisser seule avec lui, répond-il en montrant du menton Nal’ki. Et… je veux être là quand on va retrouver Jeanne.

— Arrête de jouer le frère protecteur, je te rappelle que je suis une grande fille, soupiré-je. Fatou, tu peux rester ici avec Verlox pour les surveiller ?

— J’ai le droit d’en tuer combien avant que vous reveniez ? Et je te promets, si le vermachin fait un geste déplacé envers moi, je l’explose !

— Vas-y mollo sur la gâchette, on pourrait avoir besoin d’eux pour le plan et certains sont sans doute des pères de famille, maintenant… Les enfants n’ont rien demandé, eux.

— Ces enfants sont des monstres, commence-t-elle avant de s’arrêter en voyant mon regard courroucé. Bon, OK, je me calme pour les enfants, grommelle-t-elle. Mes propos ont dépassé ma pensée…

Fatou dans toute sa splendeur. Elle parle sans réfléchir et parfois, je me demande si j’ai vraiment ce type de comportement également. Gaspard m’a souvent comparée à elle mais j’ai l’impression d’être tout de même moins radicale. Il faut dire que, ces derniers temps, je fricote un peu trop avec l’ennemi.

La nuit est particulièrement sombre et les lampadaires éclairent faiblement la rue que nous empruntons dans un silence à la fois tranquille et emprunt d’une certaine émotion. J’imagine que chacun a sa propre façon de réagir. Nal’ki trahit les siens et doit se poser nombre de questions quant à l’avenir. Les jumelles ne se sont jamais cachées de vouloir venger leur famille mais ne sont pas non plus du genre à blesser ou tuer sans raison valable. Jasmine, elle, reste toute proche de Gaspard qui se montre encore plus fébrile que moi. J’ai l’impression qu’il pourrait dégoupiller d’une seconde à l’autre, qu’un rien pourrait le faire vriller. Je me sens moi-même sur les nerfs et j’ai peur d’être déçue, que Jeanne ne soit finalement pas ici. J’ai du mal à me dire qu’après cinq ans, il est fort probable que je retrouve ma sœur.

Nous fouillons une première puis une seconde maison, réveillant ses habitants pour les réunir. Il y a des enfants en bas âge et Fatou a tout sauf raison, ils sont bien loin d’être des monstres. Ce sont simplement des enfants comme nous l’avons été. Les femmes que nous embarquons n’ont pas l’air contraintes d’être ici, elles cherchent à être rassurées par un regard, une étreinte, auprès des grandes perches avec qui elles semblent vivre. Nal’ki est dévisagé par ces derniers, parfois apostrophé, mais j’avoue ne pas trop m’en préoccuper car je me dirige rapidement vers les maisons suivantes.

Il ne reste que deux chalets et je tremble d’anticipation autant que de peur que mes attentes soient déçues. D’une certaine manière, je préférerais que ma soeur ne soit pas ici car cela voudrait dire qu’elle n’a pas vécu cinq années en compagnie des aliens et potentiellement été utilisée contre sa volonté ou manipulée… mais mon besoin de la retrouver et de la serrer contre moi est si fort que je suis prête à encaisser.

Comme à chaque fois, Nal’ki entre le premier. Gaspard et moi suivons et Jasmine reste à l’extérieur. Les jumelles sont restées dans la première maison, en surveillance, et nous nous dirigeons immédiatement vers la chambre au fond du couloir. La lumière s’allume lorsque la porte grince et j’ai une nouvelle fois envie de pousser mon frère et Nal’ki qui m’empêchent de voir à l’intérieur de la pièce. Pourtant, cette fois, je sais que c’est la bonne sans avoir rien vu. Gaspard vient de lâcher une sorte de gémissement qui me fait comprendre que Jeanne est dans la pièce.

— On ne vous veut pas de mal mais ne faites rien de stupide et levez-vous calmement.

La voix de Nal’ki passe difficilement le brouillard qui m’entoure tandis que je croise enfin le regard de ma sœur, si similaire à celui de notre frère et pourtant bien différent de celui dont je me souvenais. Moins enfantin, plus mature, mais surtout surpris. La peur qui s’est imprimée sur ses traits disparaît pour laisser place à une joie bien affichée tandis qu’elle quitte le lit et se précipite vers nous. Tout se passe en l’espace de quelques secondes, pourtant j’ai le temps de croiser le regard de Nal’ki qui m’interroge alors qu’il a pointé son arme sur elle ; je le vois baisser son bras en même temps que le corps de Jeanne percute celui de Gaspard, et quand bien même ce ne serait pas vraiment l’heure de se perdre en retrouvailles, je rejoins ce petit attroupement sans plus me poser de question.

Jeanne est vivante. Jeanne est ici, dans nos bras, et elle pleure aussi sûrement que moi. Même Gaspard qui se targue de ne pas être du genre à montrer ses émotions a les yeux bien humides.

— Je savais qu’on finirait par se retrouver ! s’écrie-t-elle, riant à travers ses larmes. C’est incroyable mais je n’ai jamais perdu espoir !

Je peine à la lâcher comme à sortir un seul mot. Mes mains attrapent finalement son visage aux traits plus fins pour l’examiner, dans un besoin viscéral de m’assurer qu’elle va bien, qu’elle n’est pas malheureuse, traumatisée ou que sais-je. Jeanne a grandi, elle est devenue adulte et son corps a lui aussi changé, et j’ai bien peur de comprendre à quel point c’est le cas lorsque je remarque le berceau dans un coin de la pièce.

— Ça va ? Ils ne t’ont pas trop fait souffrir ? lui demande Gaspard avant de fusiller la grande perche qui est restée près du lit mais qui ne perd rien de la scène. Tu es sauvée, ce sale type ne te touchera plus, je te le promets.

— Je vais bien et Zabor n’est pas un sale type, calme-toi enfin ! C’est un amour et le père de mon fils.

— Un amour ? s’étrangle Gaspard avant de jeter un regard vers moi, à la recherche de soutien, visiblement.

Je hausse les épaules et caresse les cheveux de ma frangine, toujours incapable de prononcer un quelconque mot. Je ne peux pas juger les propos de Jeanne, étant moi-même mordue d’une grande perche… L’important étant surtout qu’elle aille bien et soit heureuse. Je dépose un baiser sur son front, essuie mes joues trempées et me dirige vers le berceau en montrant patte blanche au fameux Zabor qui a quitté ma soeur des yeux pour observer mes gestes. Loin de moi l’idée de faire quoi que ce soit au poupon qui se trouve emmitouflé dans une couverture, le visage serein alors qu’il tète de temps à autre une tétine, endormi. Je n’arrive pas à croire que ma petite sœur soit maman tout comme je ne parviens pas à réaliser que je suis à présent tata. Dire que j’aurais pu ne jamais le savoir !

Un petit sourire se dessine sur mon visage lorsque ses petites lèvres pleines laissent échapper la tétine.

— Ne lui faites pas de mal, gronde Zabor d’une voix rauque alors que je me penche sur le berceau pour rendre délicatement son bien à mon neveu.

— Elle ne lui fera rien, Zab, c’est ma sœur.

Je les écoute d’une oreille peu attentive, hypnotisée par le regard qui vient de me percuter. Deux grands yeux bruns semblent lire en moi comme jamais et je tombe instantanément amoureuse de ce petit être. Voilà la preuve que du beau peut ressortir de ces dernières années et c’est pour lui qu’on doit se battre, entre autres choses, afin que tout le monde puisse vivre en paix. Pour lui, pour les couples comme Jeanne et Zabor, comme Nal’ki et moi, pour qu’on puisse vivre cet amour au grand jour et sans risque. Ce n’est pas gagné, mais ce petit cœur est une raison supplémentaire de lutter.

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