Chapitre 72

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Entre peurs et incertitudes

Nal’ki

Le jour commence à se lever et aucun de nous ne s’est vraiment reposé, même si c’est pour des raisons différentes. Lévana a passé toute la nuit à discuter avec sa sœur et Gaspard, sous l'œil méfiant de Zabor, le père de l’enfant de Jeanne. Les Valkyries présentes et moi-même n’avons pas voulu nous immiscer dans leurs échanges et nous les avons laissés à leurs retrouvailles alors que nous nous sommes relayés pour surveiller les couples mixtes.

J’avoue que je les ai observés avec attention et curiosité. La première chose positive, c’est que tout le monde a l’air d’aller bien. Pas de virus qui est venu prendre la vie de tous les êtres féminins, pas de signes de maladie ou de crise. Ce qui a causé la catastrophe dans notre monde ne semble pas s’être implanté ici, ce qui est une excellente nouvelle et confirme notre choix de venir nous installer sur cette planète. Franchement, ça me fait plaisir. Et puis, l’autre chose qui me réchauffe le cœur, c’est que je me sens moins seul. Les couples se sont naturellement regroupés entre eux, se câlinant et se rassurant mutuellement. Les quelques enfants présents n’ont pas quitté leurs parents et… ils sont magnifiques. Peut-être que je suis biaisé mais je trouve que le mélange de nos gènes donne des résultats vraiment superbes. Bref, ce sont des considérations que je devrais écarter, mais le temps passe lentement quand on veille et je suis content de voir poindre les premiers rayons du soleil pour enfin passer à autre chose. Surtout quand je vois Lévana s’approcher de moi.

— Tout va bien ? Ta sœur… n’a pas trop changé ? demandé-je, ne sachant pas trop comment lui demander si elle n’est pas déçue de ses retrouvailles.

— J’imagine qu’elle a autant changé que moi… Cinq années se sont écoulées, mais… elle reste ma petite sœur. Elle a toujours ce même sourire et une petite part de naïveté de l’adolescente qu’elle était quand elle a disparu.

— Et tu sais si elle a fait tout ça de son plein gré ou si on l’a forcée ? Elle semble heureuse, en tout cas, même si son Zabor n’a pas l’air de rigoler beaucoup.

— Elle dit qu’elle a été embarquée et a servi de femme de chambre, assistante, jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Elle ne faisait pas partie des tests mais elle est tombée amoureuse de l’un des chercheurs… Faut croire qu’on a un penchant pour les étrangers, dans la famille, termine-t-elle plus bas en me souriant.

— Ça va, c’est rassurant si ça s’est passé comme ça. Elle n’est pas traumatisée au moins. Par contre, son chercheur aurait pu ne pas prendre de risque et attendre la fin de l’expérimentation… Il a fait le choix délibéré de la mettre enceinte, soupiré-je. Mais bon, peut-être qu’il n’a pas su résister. Ta soeur t’a dit si on pouvait espérer la collaboration des personnes présentes pour notre plan ? Ou au moins d’une partie ? Sans eux, ça va être chaud.

— Elle va leur parler… mais elle a peur que certains refusent pour protéger les enfants et les femmes. Elle suppose aussi que certaines femmes vont vouloir jouer le jeu. Elles veulent retrouver leurs familles et ne pas rester isolées ici.

— Bien, on va voir ce que ça va donner. Tu crois qu’on fait une réunion collective ou on essaie de les convaincre couple par couple ? Je t’avoue que je ne sais pas trop comment procéder avec ces couples de scientifiques et de terriennes qui n’ont pas l’air si opprimées que ça.

— T’en poses de ces questions, rit-elle. On n’a pas le temps de faire de l’individuel, je pense…

Elle a raison, mais ça va encore me retomber dessus, cette histoire, c’est évident. Alors, je me résigne et fais contre mauvaise fortune bon coeur.

— Bon, on les réveille tous et je vais essayer de les convaincre. Mais si j’y arrive, j’aurai le droit à plein de bisous ?

— Je ne conditionne pas les bisous, voyons ! Mais… peut-être qu’il y en aura plus si tu y arrives, ou qu’ils seront encore plus enthousiastes.

Avec cette motivation supplémentaire, je prends mon courage à deux mains et lance un appel en essayant de mettre autant d’autorité que possible dans ma voix.

— Réunion générale ! Rassemblement ! Restez “groupir” ! Capice ?

J’avoue que ma culture cinématographique reprend le dessus lorsque je suis un peu stressé et ça pourrait me gêner si les résultats n’étaient pas aussi efficaces. Tout le monde se lève et je constate que même Fatou et les Valkyries sont attentives à ce que je vais dire. Je ne sais pas trop comment présenter les choses mais là, je ne peux plus reculer.

— L’heure est grave, c’est le chaos sur la planète. Je sais que les miens en sont en grande partie responsables mais ça ne veut pas dire que c’est une bonne chose si ça continue à dégénérer comme ça. Comme vous le montrez et comme nous aussi, nous le démontrons, quand on s’allie, on peut faire de grandes et belles choses. Il n’y a bien que le Conseil qui pense que c’est contre nature et impossible mais nous avons les moyens de changer l’histoire de nos deux peuples et de commencer sur de meilleures bases notre histoire commune. Quoi qu’il arrive, nous ne repartirons pas et vous ne serez jamais assez forts pour nous éliminer tous. Moi, ce que j’ai à vous proposer, c’est de tenter un coup d’éclat. Un coup de folie aussi, sûrement. Mais cette lutte et cette guerre ont trop duré. J’ai besoin de votre adhésion pour mettre en place un plan dangereux mais plein de potentiel. Est-ce que vous êtes prêts à m’écouter ou bien vous ne souhaitez pas être mêlés à cette histoire ? Sachez que je comprendrai si vous préférez vous mettre de côté pour vous protéger ou protéger les vôtres… Mais pour que mon plan réussisse, j’ai besoin de votre participation… En couple…

Je laisse planer un instant de silence, le temps qu’ils comprennent l’enjeu de ce que je leur demande. Je capte des échanges de regards, des doutes, des peurs et je me dis qu’il faut que je sois plus précis si je veux les convaincre.

— Je comprends que vous ayez besoin d’échanger entre vous pour vous décider et que le faire en notre présence puisse être compliqué et nous allons donc vous laisser un instant pour que vous vous mettiez d’accord. Ce que je compte faire, c’est inviter tout le Conseil en leur faisant croire qu’on a des femmes pour eux, prêtes à fêter la réussite de la phase deux. Et une fois qu’ils seront tous là, on les neutralise et… ensuite on voit ce qu’on fait. Mais sans le Conseil ou avec un nouveau Conseil, on pourra changer les choses, j’en ai l’intime conviction.

Une nouvelle fois, un grand silence s’installe dans la salle. Je ne sais pas quoi en penser et me demande comment procéder.

— Ils ne sont jamais venus voir ce qu’il se passait ici, remarque Zabor, qu’est-ce qui vous fait croire qu’ils descendront ?

— C’est trop risqué pour les enfants, ajoute une femme d’une trentaine d’années en berçant sa fille.

— Ce que vous vivez ici n’a rien à voir avec ce que nous vivons, vous savez ? intervient Lévana. Ici on vous respecte, on vous traite même avec attention, quand depuis cinq ans, on nous réprime, nous les femmes. Nous ferons en sorte de protéger les enfants, mais on ne peut pas laisser les choses continuer ainsi.

— Et si on leur promet des femmes et du sexe pour fêter la réussite de l’expérimentation, ils viendront, c’est sûr, grogné-je. Quant aux enfants, ils ne risquent rien, on n’est pas des monstres quand même.

Si je m’agace comme ça, ça risque de les énerver mais en même temps, je ne peux pas cacher ce que je ressens. Il faut qu’ils voient que je suis aussi “humain” qu’eux.

— Vous n’êtes pas des monstres mais vous nous avez réveillés en pleine nuit sans tenir compte du traumatisme pour nos femmes ou nos enfants, continue Zabor qui prend un coup de coude de la part de sa compagne.

— Vos femmes ne sont pas des petites choses fragiles, marmonne Lévana en levant les yeux au ciel, et aux dernières nouvelles, personne n’a été malmené.

— Moi j’en suis, lance Jeanne, ce qui fait grimacer Zabor. Je veux rentrer chez moi et être libre de mes mouvements, retrouver ma famille et élever notre enfant dans le respect et la liberté des droits de chacun. Je suis persuadée qu’on peut tous vivre ensemble, on a bien réussi ici ! Zab, tu n’imagines même pas ce que vivent les femmes là-bas, certaines sont obligées de se cacher pour ne pas se retrouver à bosser pour vous contre leur volonté !

— Bon, ça fait une femme, indiqué-je. Qui d’autre ? L’idée, vous savez, c’est juste de faire une mise en scène le temps de les neutraliser… Et nous, ce qu’on cherche vraiment, c’est enfin la paix dans ce monde en guerre, même si vous n’avez pas encore pu trop voir ce côté des choses depuis que vous vivez dans ce cocon.

— Et si ça ne fonctionne pas, hein ? Ici, nous sommes tranquilles, on risque de subir des représailles, nous.

— Parce que vous croyez que vous allez vivre heureux ici sans que le monde extérieur ne vous touche ? Vous vous trompez, assuré-je. Déjà parce que nous, on est là et que ça vous prouve que vous vivez dans un monde parallèle si vous croyez qu’on ne peut pas vous trouver. Et ensuite, c’est le sort de la planète qui est en jeu. Si le conflit continue, toutes nos ressources respectives vont finir dans les armes, la violence, les traumatismes… C’est de ce monde-là que vous voulez pour ces enfants que vous avez faits ?

— Vous ne voulez pas retrouver vos familles ? Pouvoir faire découvrir notre pays à vos enfants ? Je me doute que tout ce qui compte, c’est leur bien-être et leur sécurité, mais pensez aussi à tous ces enfants sur le continent, toutes ces petites filles qu’on cache par peur pour elles. Vous pensez vraiment pouvoir vous regarder dans un miroir pour le reste de vos jours en sachant toutes celles et ceux que vous abandonnez en vous complaisant dans votre petit confort ?

J’adresse un sourire à Lévana pour la remercier silencieusement de son soutien qui semble avoir beaucoup plus d’impact que tous les discours que je peux tenir, même auprès des miens. Je sais bien que ce ne sont pas des combattants à qui j’ai affaire, que les quelques gardes, on les a neutralisés, mais quand même, ce sont des chercheurs. Ils devraient être en capacité de réfléchir, non ?

— Bon, désolé de vous brusquer un peu mais on n’a pas toute la journée non plus. Je vais faire une question simple. Si vous êtes partants pour nous aider, venez nous rejoindre à l’extérieur où on va vous attendre le temps que vous échangiez entre vous. Si vous n’en avez pas l’envie ou le courage, vous restez là et on vous traitera bien parce que non, on n’est pas des monstres, mais on vous parquera avec les gardes. Capice ?

Un murmure se répand parmi eux mais je garde l’air froid et décidé que j’ai pris. Comme dans les films que je regarde, je sais que c’est le seul moyen de leur montrer que je ne rigole pas. Je fais signe à Lévana, Verlox et les jumelles de me suivre et nous sortons ensemble pour leur laisser ce temps de réflexion indispensable à leur adhésion. Je sais que je joue avec le feu, mais je ne suis plus à un risque près.

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