CHAPITRE 10

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Il faisait sombre et il ne parvenait pas à se souvenir d'où il était. Il essaya d'ouvrir les yeux, mais rien ne se produisit, comme si son corps ne répondait plus aux appels de son cerveau. Pourtant, il réfléchissait et donc il était à peu près certain qu'il fonctionnait normalement. Il essaya de faire bouger ses doigts. Avec beaucoup de concentration, il parvint à peine à tendre l'auriculaire. Qu'est-ce qui se passait ? Pourquoi tout semblait si compliqué ?

Toujours aveugle, il se concentra sur ses autres sens pour déterminer où il se trouvait. Il ne sentait rien de solide sous ses pieds ou ses mains. Son corps lui paraissait plus lourd également, comme si quelque chose d'invisible l'écrasait sans discontinuité. Il essaya de renifler, mais aucune odeur ne lui parvient. Il restait l'ouïe et le goût, mais aucun de ces deux sens ne lui apporta plus de réponses. Il se trouvait dans le flou total.

Avec conviction, il tenta une nouvelle fois d'ouvrir les yeux. Il sentit ses paupières bouger, mais pas assez encore une fois pour lui permettre de voir clairement autour de lui. Cependant, plus les minutes passaient et plus ses mouvements se déliaient. Il ne savait pas où il se trouvait, mais ce qui le maintenait lui redonnait également de la force, petit à petit.

Quelque chose le démangeait terriblement derrière son dos, sans qu'il ne parvienne à déterminer ce qui provoquait cette sensation. Il sentait l'objet étranger enfoncé entre ses omoplates. Ça n'avait rien d'agréable, bien au contraire. Si seulement ses pieds touchaient quelque chose de solide, peut-être qu'il aurait pu concentrer ses forces pour l'arracher.

Il resta encore quelques secondes à flotter dans le vide avant de forcer sur ses paupières pour ouvrir les yeux. Il papillonna des paupières et les souleva lentement. Ce qui apparut sous ses yeux ne l'aida pas d'avantage. Il se trouva dans une sorte de gélatine orangeatre. Cela expliquait la difficulté qu'il éprouvait à se déplacer. Elle l'encerclait, l'étouffait, sans pour autant lui donner l'impression d'exister. Il pouvait passer la main au travers sans résistance, tout comme il pouvait essayer de croquer dedans et la sentir fondre sous sa langue et s'évaporer.

Les sensations dans ses jambes et ses bras revinrent progressivement. Il décida de forcer le passage pour s'échapper de sa prison gluante. Il tendit les bras en avant et progressa, déterminé. Ses doigts ne mirent pas longtemps avant de rencontrer une vitre sur leur passage. Il ne paniqua pas et longea la vitre des mains. Il opéra un tour sur lui-même avant de comprendre qu'il était enfermé dans ce qui ressemblait à un tube. Quelque chose l'avait enfermé ici. Si seulement ses souvenirs pouvaient lui revenir aussi rapidement que l'usage de ses jambes, il se porterait sans doute mieux.

— À... De...

Sa propre voix ne lui disait rien qui vaille. Elle était faible et sonnait de façon étrange, comme s'il avait pris trente ans pendant son sommeil. À moins qu'il ne soit devenu la Belle au bois dormant, ce n'était pas possible. Ses mains trouvèrent la vitre de nouveau et tapèrent dessus.

— À... L'aide ! articula-t-il avec difficulté.

Un bruit mécanique le figea sur place. Affolé, il regarda partout autour de lui pour en trouver la source. Quelqu'un avait forcément dû l'entendre. Venait-on l'aider ? Dans un bruit de succion écœurant, la gelée commença à être absorbée au-dessus et en dessous de lui.

Le bruit de la vague rouge avalant la voiture.

Le cri de sa fille.

La réalisation de sa mort à venir.

Les images défilèrent dans sa tête, toutes ranimées par ce son terrifiant. Il serra les bras sur son corps nus. Il avait survécu ? Comment ? Ou peut-être était-ce un purgatoire ? Il n'avait jamais cru à toutes ces conneries bibliques prophétiques. De toute manière, se dit-il en découvrant ce qui l'entourait, une fois son visage dégagé, le purgatoire ne ressemblait normalement pas à un laboratoire. Il ne s'y connaissait pas beaucoup en laboratoires, il n'était qu'un humble sonneur de cloches et un musicien, mais il avait regardé assez de séries Z catastrophes pour en reconnaître les stéréotypes : du blanc à perte de vue du sol au plafond, des tables grises métalliques couvertes d'instruments chirurgicaux dont il ne souhaitait pas comprendre l'utilité, des cages glauques, le tube à gelée où il se trouvait. Ou Dieu avait le sens de l'humour, ou il se trouvait dans une sacrée merde.

Lorsque la gelée fut totalement absorbée, la gravité le rattrapa et il tomba à genoux sur le support métallique à la base du tube, incapable de tenir debout plus longtemps. Ce ne fut qu'à cet instant qu'il réalisa qu'on l'avait entièrement dénudé. Gêné, il serra les cuisses pour cacher au mieux ses organes génitaux. Ses yeux balayèrent la pièce derrière la vitre en verre, à la recherche d'un signe de vie. Il y avait d'autres tubes à sa droite, mais tous étaient vides. De même pour les cages. Il chercha une fenêtre, une horloge pour lui donner des indications spatio-temporelles mais rien ne l'aida.

Ses pensées dérivèrent vite vers Inaya. Il ne savait pas s'il était rassuré de ne pas la trouver dans un de ces bocaux ou au contraire terrifié à l'idée que lui s'en soit tiré et pas elle. Ce n'était qu'une petite fille. Elle ne méritait pas de mourir emportée par une vague de sauce tomate tombée de l'espace. Elle devait forcément se trouver quelque part dans ce laboratoire. Pourquoi les personnes qui l'avaient amené ici n'en aurait pas fait autant quand elle ? Il soupira. Tant de questions et toujours cette fichue paroi en verre pour l'empêcher d'aller plus loin. Il n'était même pas certain d'en avoir la force de toute façon. Ses jambes tremblaient toutes seules alors qu'il était en position assise, au repos. Debout, il ne tiendrait pas plus de quelques secondes.

Il se rappela alors la chose qui était enfoncée dans son dos. Difficilement, il se retourna pour essayer de voir. Une expression d'horreur pur fit grimacer son visage quand il réalisa qu'un tuyau en plastique de la taille d'un ballon de football était planté entre ses omoplates. Il tendit son bras pour le saisir, mais il le toucha à peine qu'une décharge électrique le dissuada d'aller plus loin. Il retira sa main dans un grognement de douleur. Qu'est-ce que c'était que cette blague ? Il se doutait bien que ça devait avoir une quelconque utilité, mais laquelle ? Où étaient les médecins ?

Il tapa de nouveau sur la vitre, cette fois avec plus de vigueur. Il avait le droit de savoir, il se trouvait encore dans un pays libre !

— Excusez-moi ? Il y a quelqu'un ?

Le bruit de quelque chose de lourd tombé au sol résonna quelque part autour de lui. Il sursauta malgré lui et recula tant qu'il le put, jusqu'à être bloqué par son tube contre la vitre. Une série de claquements retentit derrière le mur. Il aurait juré que ça ressemblait au bruit que produisaient les raptors dans Jurassic Park. Dans le mur apparut un cadre blanc lumineux qui ressemblait à une porte. Le métal coulissa. Il aperçut un couloir couvert de métal avant qu'une forme titanesque ne lui bouche la vue. Quelque chose entra.

Oui, quelque chose, c'était bien les seuls mots qui lui venaient pour décrire ce qu'il avait sous les yeux. Ça n'avait pas de forme, ou plutôt, ça en avait tellement qu'il était impossible de lui donner du sens. La chose flottait comme un spectre, mais n'en avait pas la texture. Du moins, de ce que sa maigre culture internet lui avait appris. Bien que partiellement translucide, la créature brillait d'une couleur qu'il n'aurait su identifier, ni vert, ni jaune, ni blanc, ni noir. Il doutait qu'il existât un mot humain pour interpréter. Sous l'ectoplasme étrange, il distingua des mandibules, au bout desquelles se trouvait une dizaine de paires d'yeux. Ou peut-être des boutons. La créature avait aussi deux soucoupes sur ce qu'il pensa être son visage et qui ressemblaient également à quelque chose d'organique.

La bête produisit encore ce claquement inquiétant et s'approcha de son bocal.

— N... Non ! Non, non, non, non, non ! Reste-là ! paniqua-t-il.

La créature s'arrêta et pencha sa « tête » sur le côté, avant de se retourner. Il fronça les sourcils. Dans le dos, d'autres yeux brillaient au-dessus d'un trou béant où tournait sans relâche une espèce de langue violette. Il regarda la partie supérieure, puis celle arrière, confus. Où était la tête ?

— Aoum kliko trun ? grogna la bouche.

— Hein ? répondit le jeune homme, aussi confus qu'effrayé.

Une excroissance sortit de l'ectoplasme et entra dans la bouche. Elle trifouilla longtemps à l'intérieur avant qu'un signal sonore s'en échappe. Il fronça les sourcils. Est-ce que c'était seulement vivant ? Le bruit lui faisait pensait à un ordinateur. La bouche émit un nouveau sifflement, puis des mots, bien compréhensibles cette fois, s'en échappèrent.

— Toi. Humain.

Il attendit que la chose poursuive, mais elle n'ajouta rien. Il estima qu'il s'agissait d'une question et hocha donc la tête en réponse. Rien de bien nouveau sous le soleil jusqu'à présent.

— Toi. Nom ?

— Qu'est-ce que ça peut vous faire ?

La créature siffla et son bras s'avança vers la vitre. Il écarquilla les yeux.

— Connor ! Je m'appelle Connor ! Ne me tuez pas s'il vous plaît !

Le bras continua de progresser et traversa la vitre. Connor poussa un cri aigu et cogna contre la vitre comme un lapin pris dans les phares d'une voiture. Il se baissa pour éviter le membre, mais contrairement à cette chose, il ne pouvait pas exactement traverser la matière. Résigné, il ferma les yeux quand l'ectoplasme gluant effleura sa joue. Il tira une grimace alors qu'il fit tout le tour de son visage, avant de s'arrêter sur son front avec insistance.

— Connor, dit la créature, beaucoup trop proche.

Il ouvrit un œil. La « tête » de la chose avait traversé la vitre et ne se trouvait plus qu'à quelques centimètres de son visage. Une goutte de sueur, ou de bave ectoplasmique, coula de son front jusqu'à son cou. Connor ne parvint pas à prononcer le moindre mot, terrorisé. Qu'est-ce que ce truc lui voulait ? Pourquoi est-ce que ce genre de choses n'arrivait qu'à lui ? Il n'avait rien demandé à personne ! La créature pivota pour faire apparaître sa bouche. Connor se demanda alors pour la première fois de sa vie sérieusement si l'homme était vraiment l’« apex predator » décrit par les documentaires sur l'évolution. Cette chose, quelle qu'elle soit pourrait très bien le dévorer ici et maintenant sans que ça ne change rien à l'histoire de l'homme. Si tant était que l'Homme ait encore une Histoire après ce qui était arrivé.

— Qu... Qu'est-ce que vous me voulez ? demanda-t-il d'une toute petite voix.

S'il devait se faire manger, il préférait que ce soit fait rapidement. Cette attente n'était plus supportable. La bouche émit cet affreux claquement et, pour la première fois, Connor distingua de minuscules rangées de dents sur toutes les parois de l'orifice, et qui s'enfonçaient loin, loin dans sa gorge, au point qu'il ne puisse pas en voir le bout. Il déglutit. Une moissonneuse-batteuse organique.

— Connor. Connor, répéta la créature.

— Je ne comprends pas.

— Je. Vouloir. Connor.

La piste de l'anthropophagie se confirmait dans l'esprit du jeune homme. S'il avait eu assez de courage, il l'aurait repoussé d'un grand coup de pied, mais il craignait que ça ne fonctionne pas étant donné la facilité avec laquelle la chose avait traversé le verre. La créature émit un nouveau glapissement, et tendit de nouveau son bras vers lui, vers ses jambes cette fois. Le membre appuya sur ses chaussures et les absorba dans la membrane, avant de commencer à remonter le long de ses jambes. Connor comprit immédiatement qu'il se faisait absorber et poussa un cri de détresse. Il se débattit de toutes ses forces, éclaboussant les murs de la substance immonde dont était constituée la créature. Pourtant, ses jambes ne bougèrent pas, comme figées.

— Non ! Laissez-moi partir ! hurla le jeune homme. Je... Je ferai tout ce que vous voulez ! Ne me mangez pas, je vous en supplie.

— Connor. Stop ! hurla à son tour la créature d'une voix autoritaire qui le figea sur place.

Il n'osa plus émettre le moindre son. Des larmes coulaient le long de ses joues alors que l'ectoplasme continuait de progresser sur son corps. Ses bras se retrouvèrent bientôt prisonniers, puis il sentit la substance remonter le long de son visage. Il se força à garder les yeux ouverts. De la curiosité morbide sans doute. Une fois entièrement recouvert, il réalisa avec stupéfaction qu'il était toujours conscient. Comme pour la gelée plus tôt, il avait l'impression d'être écrasé de tous les côtés.

Soudain, une détonation. Il ne s'agissait pas d'une explosion comme celle qu'on voyait dans les films catastrophes, mais davantage quelque chose de plus organique comme un gargouillis ou... Un pet. Définitivement un pet comprit-il quand une fumée d'un vert foncé envahit le peu d'espace vitale qu'il lui restait. Il voulut tousser, mais pour une quelconque raison n'y parvint pas. Ses muscles se détendirent peu à peu et il fut pris d'une irrésistible envie de dormir.

Connor s'éveilla au son familier des hurlements de dizaines d'humains. Était-il de retour ? Il poussa un grognement et ouvrit de nouveau les yeux. Premier constat : il était toujours nu et gluant, mais cette fois-ci sur un sol plat et plus familier : de la terre. Comme une vache, il se trouvait dans un petit carré de verdure confortable. Il s'assit avec difficulté et réalisa qu'une femme parfaitement inconnue se trouvait là, le dévisageant de ses yeux vides d'espoir. Instinctivement, il plaça ses mains sur ses organes génitaux, le visage rouge.

— Qui... Qui êtes-vous ?

— Qu'est-ce que ça peut vous faire ?

Il comprit mieux pourquoi la créature s'était vexée plus tôt. Cette phrase n'avait rien de plaisant. La créature ! Il n'avait pas rêvé tout ce qui venait de se passer, n'est-ce pas ? Non, il ne serait pas couvert de cette substance collante si ça n'était pas vraiment arrivé.

— Vous savez où on est ?

— Non. Personne ne le sait.

— Peut-être qu'on peut trouver un moyen de s'échapper ?

— Non. Pas sans ça, dit-elle en pointant ce foutu tube en plastique qui dépassait de son dos.

Connor fronça les sourcils.

— Vous savez à quoi ça sert ?

— Tu as pris ton pouls ?

Il secoua la tête pour répondre que non, et posa deux doigts sur son poignet. Après quelques secondes, il le fit sur l'autre main, puis sur sa jugulaire. La panique le saisit en comprenant où elle voulait en venir.

— On est morts, dit-elle d'une voix sans émotions. Personne ne sait comment est-ce qu'on peut bouger, mais ça a un rapport avec ce tube. Alors n'y touche pas.

Sans un mot de plus, elle se détourna pour regarder le mur. Connor se tut et s'assit contre la paroi opposée. Dans quel bazar avait-il réussi à se mettre cette fois-ci ?

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